IBUSUKI, Japon (AP) - Il a été sacré champion du monde militaire en 1995, mais son véritable fait d'armes reste la finale de l'Euro 2000. Roger Lemerre a fait montre ce soir là à Rotterdam de toutes ses qualités de stratège, en permettant à la France de battre l'Italie, après avoir tiré ses dernières cartouches.

De véritables obus plutôt que des balles à blanc, puisque Robert Pires, Sylvain Wiltord et David Trezeguet à peine entrés en jeu en tant que remplaçants, avaient fait basculer en faveur des Bleus un affrontement qui semblait perdu.

"J'ai gardé mes vieux grognards, et mes fantassins ont fait le reste quand les premiers ont courbé l'échine", devait dire Lemerre au sortir de cette compétition qui a fait entrer l'équipe de France dans l'histoire. Elle est devenue la première formation à enchaîner dans cet ordre victoire en Coupe du monde puis dans le championnat d'Europe des Nations.

Adjoint d'Aimé Jacquet lors du Mondial remporté par les Tricolores il y a quatre ans, ce Normand aujourd'hui âgé de 60 ans, a officiellement été nommé sélectionneur national le 27 juillet 1998.

Fidèle à "Mémé", il a logiquement opté en prenant ses fonctions pour le changement dans la continuité. Pas de grandes révolutions, mais plutôt de petites touches pointillistes, qui portent la véritable "griffe Lemerre". Un style plus offensif, qui l'a vu progressivement abandonner le trio de demi-récupérateurs cher à son prédécesseur pour un 4-2-3-1 plein d'allant, favorisant l'utilisation maximale de la largeur du terrain.

"Roger est un gagneur. Il pense que c'est uniquement dans la victoire que l'on devient plus fort", explique Marcel Desailly, nommé capitaine après la retraite de Didier Deschamps au terme de l'Euro 2000. Jacquet avait comme messager "Dédé", Lemerre loin de décider seul, a pris "Marcelo" comme intercesseur. "Roger aime venir me consulter pour savoir comment le groupe réagit à ce qu'il a proposé", révèle Desailly.

Homme de dialogue même si certains trouvent sa communication embrouillée, Roger Lemerre est proche des joueurs. Car proche du terrain. L'ex-pro, aux 414 matches de Division-1 -Sedan, Nantes, Nancy, Lens- et six sélections internationales, a en effet gardé une âme d'enfant. Toujours en short aux entraînements, il ne s'épargne aucun footing, et adore les jeux de ballons notamment avec Fabien Barthez. Adroit, balle au pied comme psychologiquement, il s'est montré récemment lors du stage de Tignes homme d'intégration. Les tennis-ballon disputés en compagnie de Djibril Cissé et ses petits mots d'encouragement à l'égard du jeune attaquant auxerrois, ont grandement contribué à la fusion dans le groupe des Bleus de ce diamant brut dont il attend beaucoup.

Né le 18 juin 1941 à Bricquebec (Manche), soit un an après le fameux appel du général De Gaulle, Lemerre a forcément un aspect martial.

Intransigeant avec lui-même comme avec les autres. Lucide sur la réussite comme sur l'échec. "A partir d'aujourd'hui, je reste et je resterai le premier supporter du soccer français", avait-il indiqué après le France-Islande (3-2) du 9 octobre 1999. La France venait de se qualifier difficilement pour l'Euro 2000, après avoir frisé l'élimination. Lemerre avait envisagé l'échec. Il était donc prêt à démissionner, et avait prévu un discours de avait lu en semant le trouble.

Le paradoxe est en tout homme, et Roger Lemerre n'échappe pas à la règle. Droit, intègre, exigeant de part une éducation catholique stricte qui devait faire de lui un instituteur, il a une fois semble-t-il dérogé à ses principes d'équité, lors de l'épisode Lionel Charbonnier.

Officiel gardien numéro 2 de l'équipe de France, Charbonnier n'avait pas admis que Bernard Lama soit rappelé pour remplacer Fabien Barthez blessé, avant Russie France, en octobre 1998, et avait quitté le stage et... définitivement l'équipe de France. Car en bon militaire -il a servi à Vincennes avant de prendre en charge le bataillon de Joinville puis l'équipe de France des armées-, Roger Lemerre préfère une injustice à un désordre. Et en ex-excellent défenseur sacré trois fois "meilleur joueur de l'année" (1966, 68, 69), il sait tacler à la carotide. "L'équipe de France est au-dessus de tout", explique-t-il.

Mais derrière le chef de commando -il l'a prouvé lors de sa "pige" d'entraîneur à Lens, sauvé in extremis de la relégation en 1997, avant le titre de champion de France l'année suivante-, sommeille un humaniste, un pudique, un tendre dont la petite Laura a pratiquement le même âge que Théo, le dernier fils de Zinedine Zidane né la semaine dernière. A l'Euro 2000, il était longuement resté figé les yeux vers le ciel après la victoire pour communier avec un papa disparu pendant l'épreuve.

Habité par le doute qui fait progresser, Lemerre ne cache pas ses interrogations. "Si mon chapeau savait pour qui je vote, je mangerai mon chapeau", avait déclaré le fin lettré, au lendemain du fameux France-Islande. Avant de confirmer finalement qu'il restait bien à la tête de l'équipe nationale.

Outre Cissé, Willy Sagnol, Mikael Silvestre, Philippe Christanval, Johan Micoud, Ulrich Ramé, et Grégory Coupet lancés dans le grand bain par Lemerre, lui doivent beaucoup. Homme de coups et de coupes, il sait devoir compter sur la jeune garde pour achever son chef-d'oeuvre. Même si son contrat a d'ores et déjà été reconduit jusqu'en 2004 par la Fédération française de soccer.