KINGSTON, Jamaïque - La mégastar du sprint Usain Bolt tirera sa révérence en fin de saison, mais son successeur sortira sans doute, comme l'octuple champion olympique, de l'université technologique de Kingston, l'usine à champions de l'athlétisme jamaïcain qui organise, jusqu'à dimanche, ses Championnats nationaux, qualificatifs pour les Mondiaux 2017 de Londres.

« Tout le monde rêve d’être le nouveau Usain Bolt, parce que c’est une superstar », sourit Anthony Davis, le directeur des sports de l’université technologique (UTech) de Kingston.

Depuis quatre décennies qu'il travaille à UTech, Davis, 64 ans, a contribué à l'éclosion de Bolt, Shelly-Ann Fraser-Pryce, Asafa Powell et autres grands noms de la discipline, représentés sur une immense panneau à l'entrée de l'université.

Il n'avait que vingt ans lorsqu'il a été recruté en 1971 par Dennis Johnson, présenté comme l'architecte de la domination de la Jamaïque sur la scène internationale.

À son retour des États-Unis après ses études universitaires, l'ancien détenteur du record du monde du 100 verges, sélectionné pour les JO 1964 de Tokyo, décide de créer à Kingston une structure d'entraînement équivalente à celle connue à l'université d'État de San José, en Californie.

« On a essayé d’importer en Jamaïque le modèle de la NCAA (l'organisation qui chapeaute le sport universitaire aux États-Unis, NDLR) », raconte Davis.

Piste en herbe

« Avant Dennis, les étudiants pratiquaient beaucoup de sports différents, mais c’était surtout pour les loisirs. [...] Aujourd’hui, les athlètes se concentrent sur des sports spécifiques. Il a conçu un programme qui dure 10 à 11 mois par an », détaille le sexagénaire.

Le programme décroche très rapidement ses premiers succès, dès 1975 aux Jeux panaméricains de Mexico, où la Jamaïque remporte une médaille d’argent et trois de bronze.

L'idée est de permettre aux plus grands talents de rester en Jamaïque, dans leur environnement, plutôt que de devoir partir aux États-Unis, une expérience qui peut être déroutante.

Selon Anthony Davis, de grands espoirs, particulièrement ceux venant de villages de montagnes, se sont brûlés les ailes en acceptant une bourse d'une université américaine.

« Ils quittent le lycée, où on les guide de bout en bout, et doivent devenir des adultes du jour au lendemain », explique-t-il.

« En arrivant aux États-Unis, certains découvrent qu’ils n’ont obtenu qu’une demi-bourse qui ne couvre pas le prix des livres et du logement. En revanche, s’ils restent ici, ils ont moins de distractions et reçoivent le soutien de leurs familles », insiste le patron des sports d'Utech.

À UTech, les futurs champions profitent « avant tout d’un entraînement de haute qualité, qui s'appuie sur des méthodes scientifiques », insiste M. Davis.

Mais les installations n'ont rien à voir avec celles, ultra-modernes, des université américaines: la principale piste d'athlétisme est en... herbe et les salles de musculation n'ont pas l'air conditionnée malgré la chaleur étouffante de Kingston.

« Détermination sans borne » 

Ce n'est pas le seul paradoxe: avec une population de seulement 2,9 millions d'habitants et des moyens limités, l'île antillaise est un poids lourd de l'athlétisme mondial.

Depuis la création des Championnats du monde en 1983, la Jamaïque a remporté 110 médailles, dont 31 en or -11 pour le seul Bolt- et pointe à la 5e place du classement des nations.

Et ce n'est sans doute pas fini, même si Bolt, 30 ans, dispute sa dernière saison.

Les championnats scolaires d’athlétisme sont l'un des grands rendez-vous sportifs du pays pendant cinq jours.

« Avec 30 000 personnes dans un stade plein à craquer et des millions de téléspectateurs, les championnats sont le meilleur moyen d’entretenir la flamme chez nos jeunes », assure Paul Francis, l'un des entraîneurs d'UTech.

Si Elaine Thompson, championne olympique à Rio sur 100 et 200 m, domine le sprint féminin, le successeur de Bolt, chez les messieurs, tarde à se révéler.

À 24 ans, Tyquendo Tracey rêve de reprendre le flambeau.

« La plupart d’entre nous sont nés avec une détermination sans borne, assure-t-il. C’est difficile de battre un Jamaïcain. [...] Cette détermination vient du haut niveau de compétition, qui s'apprend dès le lycée. Cette compétitivité nous accompagne tout le temps ».