#BellCause : Christine Girard, de l’échec à la consécration
Haltérophilie mercredi, 29 janv. 2020. 07:00 vendredi, 13 déc. 2024. 05:35De l’échec à la consécration
Dans le cadre de la journée Bell Cause pour la cause, Christine Girard, ex-haltérophile, a accepté de partager son histoire. Une histoire méconnue de plusieurs, et pourtant, elle est aujourd’hui championne olympique. Un titre qu’elle n’aurait pas obtenu après plusieurs épreuves, dont un « échec » et une dépression. Voici son récit.
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12 août 2008. Gymnase de l'université d'aéronautique de Pékin. Christine Girard participe à la compétition d’haltérophilie des Jeux olympiques, dans la catégorie des 63kg. Ce sont ses premiers Jeux. L’haltérophilie est un sport important en Chine. C’est salle comble; l’ambiance est survoltée.
Christine aborde les Jeux avec des objectifs très personnels, centrée sur elle-même. Elle sait qu’elle se bat contre des rivales dopées; des filles qui ont de la barbe, dit-elle à cette époque. C’est la triste réalité de son sport. Sans l’accepter pour autant, elle ne peut rien y faire.
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Le début de la journée se déroule à merveille. La perte de poids est bien contrôlée. Elle réussit ensuite ses trois essais à l’arraché, « ce qui est rare en compétition internationale », précise Christine. Elle égale même une marque personnelle. « J’étais vraiment fière de moi. »
Elle s’attaque ensuite à l’épaulé-jeté. Encore là, tout commence bien. Le premier essai est réussi. La suite est toutefois différente. « À ma deuxième barre, j’ai fait une erreur technique qui m’a fait manquer mon épaulé », se remémore Christine, lors d’un long entretien qu’elle nous accordé, chez elle, en janvier. « C’est quelque chose que je ne faisais jamais. Moi ma force, c’était ma force justement, et l’épaulé c’est un mouvement de force. »
Elle parvient à chasser cette déception rapidement et à se concentrer sur le 3e essai. Cette fois, l’épaulé est réussi mais elle ne parvient pas à lever la barre à bout de bras. Essai raté.
Un sentiment d’échec envahi Christine. Elle termine alors 4e.
« J’ai eu des pensées pour ma famille qui s’était rassemblée à l’université de Rouyn-Noranda pour regarder ma compétition, en direct, à 3h du matin », raconte-t-elle. « Je savais qu’ils avaient mis beaucoup d’efforts dans l’organisation et je me disais : Mon Dieu qu’ils doivent être déçus de moi », ajoute Christine, émotive.
« En tant qu’athlète notre job c’est de s’entraîner à être parfait. C’est de s’entraîner à ne pas faire d’erreur quand ça compte, et là ça comptait. Je venais d’échouer à mon job d’athlète », explique Christine.
Les heures qui suivent, elle ne voit plus clair. Elle est dans un brouillard. « Pour moi, c’était la plus grande défaite de ma vie. Et la nuit suivant mon échec, je ne cessais de me demander : Comment ai-je pu me rendre là? Comment ai-je pu faire cette erreur? Le questionnement était profond », se souvient Christine.
« Si j’avais osé en parler, si j’avais osé m’ouvrir à ce moment aux personnes qui étaient là pour m’aider, peut-être que je l’aurais vécu différemment mais je ne l’ai pas fait. Je suis restée seule dans la nuit à pleurer et à me demander pourquoi. »
Après une nuit de questionnement sans trouver le sommeil, elle se rend à une entrevue, en direct, à 6h du matin. « À la fin de l’entrevue, la journaliste m’a demandé si je regrettais d’avoir manqué de courage et de détermination au point de manquer une médaille », raconte-t-elle. « Ma première réaction a été de me dire: Ah mon Dieu, c’était ça. C’est pour ça que j’ai échoué. Je ne suis pas assez courageuse et assez déterminée », se remémore Christine, les larmes aux yeux.
« Le plus difficile, c’est que j’ai pris ça comme vérité. J’ai échoué par manque de courage et détermination. Dans des moments où on est dans le brouillard, on est sensible aux mots, on est fragile. Et cette journaliste, sans le savoir, elle m’a brisée », ajoute-elle en essuyant ses larmes.
C’est donc avec ce sentiment d’échec qu’elle rentre à la maison, en Abitibi. Elle y retrouve son copain, Walter, avec qui elle habite, ainsi que toute sa famille. Les premiers jours sont festifs mais rapidement c’est le retour à la réalité. Elle doit panser la plaie des Jeux; accepter le droit à l’erreur. Elle s’y attaque à l’aide de sa psychologue sportive. La démarche sera longue.
La vie suit son cours. Christine reprend ses études à temps plein, tout en s’entraînant huit fois par semaine. Ce n’est pas tout. Walter, son conjoint, fait des démarches pour être accepter dans la GRC, ce qui signifie un possible déménagement. Le retour à la vie normale est chaotique. « Toute ma vie continuait de bouger alors que moi j’aurais mis pause. J’ai embarqué dans une roue qui roulait plus vite que moi » précise Christine.
Pendant des semaines, elle préfère refouler les moments d’angoisse, en se disant que « ça va passer, ça va aller mieux. On va faire comme si tout allait bien mais conduire dans une tempête les yeux fermés ce n’est pas l’idéal. »
Christine évite de penser au possible déménagement mais le 24 décembre 2008, Walter reçoit la confirmation qu’il attend depuis longtemps : il est accepté dans la GRC. « J’étais contente pour lui, vraiment, mais j’étais incapable de lui dire parce que j’avais trop de peine pour moi. J’ai décidé de me taire, faire semblant d’être contente parce que je ne voulais pas lui enlever son moment. C’était important pour lui », raconte Christine, émotive.
Walter quitte pour Regina en février pour sa formation. Christine sait, à ce moment, qu’elle aura à prendre plusieurs décisions et pour éviter l’angoisse reliée à ces décisions, elle plonge dans son stage et son entraînement. « Je n’ai pas écouté la personne que j’étais. Je me concentrais sur les deux rôles qui me préoccupait : étudiante et athlète. Et j’ai oublié Christine Girard. »
Les alertes sont de plus en plus nombreuses : « la fatigue, le sentiment de ne jamais réussir à atteindre quoi que ce soit, ne jamais me coucher en paix, ne jamais me lever en paix. J’étais dépassée par les événements mais je me disais, il faut juste que je continue. »
« J’ai repoussé, repoussé, repoussé jusqu’à la journée, et je m’en souviendrai toujours : j’étais en stage, j’enseignais les mathématiques en secondaire 4. Une de mes élèves m’a posé une question et j’ai dû lui faire répéter trois fois la même question. C’était comme si mon cerveau m’avait lâché. Je n’étais plus capable de me concentrer suffisamment longtemps pour comprendre sa question qui était pourtant très simple. Quand elle m’a posé la question la troisième fois, et que je n’étais pas certaine comment lui répondre, ça été un élément déclencheur. Il faut que je fasse quelque chose, ce n’est pas moi ça. »
Christine prend rendez-vous rapidement avec un médecin. Le diagnostic tombe rapidement : dépression et épuisement professionnel.
« Moi, je le savais que j’étais épuisée. Mais quand elle m’a regardée dans les yeux et qu’elle m’a dit : Oh qu’il y a de la tristesse dans ces yeux-là », raconte Christine les yeux pleins d’eau. « Cette perception qu’elle a eue de moi, je me suis dit elle ne me connaît pas et elle voit ça. C’est sûr que ça parait, ça veut dire que c’est là pour vrai. Ç’a été troublant. »
Christine est ébranlée. Elle avait l’impression d’avoir cheminé sur son deuil du moi parfait, de son échec de Pékin, mais il y avait beaucoup d’éléments. Il fallait qu’elle se laisse le temps.
Elle a mis son stage sur pause. Elle a diminué l’entraînement. Et elle a dormi, des heures et des heures. Mais surtout elle a pris le temps de prendre le temps, ce qu’elle n’avait pas fait depuis Pékin.
Ensuite, est venu le temps des questions : « je suis rendue où, je suis qui, je veux quoi, je m’en vais où, avec qui et comment? » ont été les questions auxquelles elle devait répondre. « J’ai dû passer étape par étape et me solidifier dans mes décision », précise Christine. « Ça m’a appris à dire, non, et à imposer mes limites. »
« Le diagnostic m’a donné le droit de parler, plus que je ne me le donnais avant. Je m’étais ouverte beaucoup avec mon conjoint et ma famille, j’osais parler davantage », ajoute-t-elle.
Accepter nos limites et les faire respecter. C’est ce que fera Christine dans les mois et les années qui suivront, en route vers les Jeux de Londres.
Elle déménage en Colombie-Britannique et s’entraîne dans son garage. Elle changera d’entraîneurs quatre fois, en quatre ans. Sa perspective change. Elle ne voit plus des embûches sur sa route vers Londres, elle trouve des solutions. Ce n’est pas toujours facile, mais sa nouvelle capacité à se montrer vulnérable, à exprimer ses peurs et dévoiler ses faiblesses, lui permettent de ne pas vivre les moments d’angoisse seule. Elle se confie à son conjoint Walter, avec qui elle trouve les pistes de solution.
Jeux de Londres 2012… une semaine avant
24 juillet 2012. Une semaine avant sa journée de compétition aux Jeux, Christine participe à un camp d’entraînement avec Walter, en France. Elle se blesse à l’épaule droite, déjà fragilisée par une déchirure au labrum subie des années auparavant. Catastrophe.
« Comment j’ai pu passer à travers toutes les épreuves des dernières années pour en arriver là, la vie m’en veut », pense-t-elle à ce moment. « J’étais frustrée et incrédule. »
Mais cette fois, Christine a eu la capacité d’en parler avec son conjoint après quelques heures de frustration. « Il m’a dit : tu n’as jamais été dans une situation idéale et clairement, de ne pas être capable de lever ton bras une semaine avant les Jeux, ce n’est pas l’idéal. Mais tu es devenue une experte à rendre des situations non idéales, idéales pour toi. Tu as une épaule blessée, mais tu es plus forte que jamais, ta technique est meilleure », ont été les mots de Walter.
Une semaine plus tard, après plusieurs traitements de physiothérapie, Christine marche vers son site de compétition, l’âme en paix. Elle veut juste participer à la compétition et avoir du plaisir « Tout ce que j’avais vécu pendant les quatre années précédentes m’avait permis d’avoir cet état d’esprit. »
Christine réussit un essai à l’arraché, mais aggrave sa blessure. Son physio donne « sa vie pour traiter son épaule ». Walter et son entraîneur s’assurent qu’elle ne manque de rien. Christine réalise qu’elle n’est pas seule.
Grâce à sa technique, et au courage, elle réussit ses deux premiers essais à l’épaulé-jeté. Elle aura un classement. Lequel? Ça l’importe peu, compte tenu de l’état dans lequel elle s’est présentée. De toute façon, elle n’a aucune idée du poids sur ses barres. « Dans ma préparation pour mon dernier essai, j’ai senti mes entraineurs différents, j’ai senti une atmosphère différente. J’ai alors compris que la prochaine barre me vaudrait une médaille », se rappelle Christine.
« Je réussis l’épaulé mais, encore une fois, je suis incapable de garder la barre à bout de bras. Pour moi, c’est un retour quatre ans en arrière. Je me vois terminer 4e. J’ai une pensée pour mes parents. Je suis extrêmement déçue. Je me retourne pour quitter et je vois mon conjoint qui me montre trois doigts. Je ne comprends pas. Quoi? Il me dit : tu as une médaille! Ça ne se peut pas! » Christine éclate de joie. Elle a réussi. Ils ont réussi. Elle est médaillée de bronze des Jeux de Londres.
Une médaille qui confirme une longue démarche. « J’avais eu raison de continuer de croire en cette fille. La médaille venait confirmer toutes les décisions que j’avais prises. Même ma dépression prenait tout son sens parce que sans ma dépression, je ne gère probablement pas ma blessure une semaine avant les Jeux », explique celle qui est maintenant médaillée d’or des Jeux de Londres.
Pour ajouter à cette histoire, déjà hors de l’ordinaire, le CIO lui a octroyé, en 2016, la médaille d’or des Jeux de Londres et la médaille de bronze des Jeux de Pékin après disqualification de rivales convaincues de dopage. Des médailles qu’elle a reçues en décembre 2018, bien des années après sa retraite.
Maintenant, Christine est maman de trois jeunes enfants; étudiante à temps plein en ergothérapie; en plus d’être impliquée dans la lutte antidopage. « J’ai la grande chance de me connaitre bien comme personne. Je sais qui je suis, je connais mes limites, et je sais mieux les appliquer, même si c’est parfois plus difficile avec les enfants ! »
« Ces médailles vont toujours avoir le même message : la peur ce n’est jamais une raison de ne pas faire quelque chose. Mon retour aux études est un bon exemple. Ce n’est pas parce que c’est difficile, que c’est inquiétant, que c’est hors de ta zone de confort que tu ne devrais pas le faire, au contraire, parfois, c’est ce qui vaut le plus la peine », précise Christine.
Avant d’ajouter, « j’espère que mes médailles vont symboliser à mes enfants le droit de rêver et toute l’importance de croire en soi. »
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