Deux héros
Amateurs vendredi, 24 août 2001. 12:03 samedi, 14 déc. 2024. 11:50
L'athlétisme est un sport particulier. Lors de tous les grands jeux on lui donne un statut spécial. Peut-être à cause de la devise des Olympiques qui dit «Plus haut, plus loin, plus fort», faisant ainsi une référence directe aux saut, à la course et aux lancers, la base de tous les sports en fait. Pour quelqu'un qui aime les sports d'équipe, l'athlétisme peut paraître un peu statique dans les premiers temps, mais finira par subtilement dévoiler ses charmes pour séduire les plus récalcitrants
Après quatre journées passées à couvrir l'athlétisme des jeux du Canada, j'ai fini moi aussi par m'emporter pour ces athlètes qui se défoncent sur la piste dans l'espoir d'améliorer un record d'un centimètre, de gruger quelques centièmes de secondes à un chronomètre vorace, de repousser leurs propres limites au-delà de ce que l'on croyait humainement possible.
L'athlétisme va très loin dans les émotions, l'athlétisme comme un parasite insatiable va puiser au plus profond de l'athlète ce qu'il a de meilleur en lui pour le laisser parfois défait, sans forces devant un mur qu'il n'a pu franchir. Ou pour le porter vers l'euphorie d'un succès qui le rapprochera des dieux de l'Olympe.
Courageuse Julie
Julie Boucher s'est écroulée à l'épreuve du 10,000m féminin. Alors que les autres coureuses gardaient le rythme vers une victoire, un record personnel ou simplement une course terminée, elle frappait un mur qui grandissait à chacun des pas qu'elle tentait péniblement de faire sur la piste. Chancelante, égarée, elle est tombée et a tenté courageusement de continuer de gagner quelques mètres sur ses genoux, martyre silencieuse d'un idéal qu'elle s'était fixée à atteindre.
Alors que la piste rugueuse lui arrachait la peau de la paume de ses mains, incapable de réfléchir elle continuait poussée par un seul but, un seul objectif qu'elle s'était fixé sur la ligne de départ de la course : amasser des points pour l'équipe. Noble pensée dans ce sport si individuel qui se rallie soudainement sous une même bannière. Il aura fallu l'intervention des entraîneurs de l'équipe pour mettre fin à ce sacrifice, pour ramener Julie dans le monde des vivants.
Alors qu'on la réhydratait tranquillement, le stade entier a retenu son souffle, ému par la leçon de courage et de détermination que venait de lui donner cette athlète de 23 ans. Julie n'a peut-être pas fini sa course, n'a certainement pas rencontré les objectifs qu'elle s'était fixés, mais elle pourra avoir l'intense satisfaction d'avoir tout donné pour une cause qui lui était chère.
Chevalier David
De tous les sauteurs, les perchistes sont les seuls qui font appel à un accessoire, ce qui les démarque un peu des sauteurs en longueur, en hauteur ou en triple saut. Cette longue perche qu'ils promènent à bout de bras les propulse vers le hauteurs les plus insensées, leur donnant des allures de Don Quichotte guerroyant des moulins à vent.
Pourtant ici les moulins à vent baissent les bras et les Don Quichotte deviennent de valeureux chevaliers des temps modernes qui attaquent sans relâche les barres qui tentent de se mettre en travers de leurs ambitions.
La compétition de perche a été extraordinaire, et de nouveaux héros en sont nés. Comme des chevaliers galopant vers l'ennemi leur lance au flanc, ils se sont tous élancés à l'attaque d'un record personnel, d'une marque à battre, d'une médaille à gagner. Au fur et à mesure que la barre montait, les chevaliers baissaient les bras, ne laissant que deux des plus valeureux tenter de continuer à combattre l'ennemi. Le plus jeune d'entre eux était un québécois, David Foley de Sherbrooke. Sa course légère et aérienne, sa perche flexible et souple entre ses mains, et surtout la détermination qui allumait son regard l'on porté bien haut, au-delà des 4m95 qui se dressaient devant lui. Seul un autre perchiste a réussi à franchir cette hauteur, un albertain de 20 ans, Jamie Johnson.
Dès lors un combat impitoyable allait se dessiner entre eux. Leurs lances affûtées allaient croiser la piste, chacun tentant de vaincre les dragons qu'il trouverait sur son chemin. A 5m05, le jeune David vacille. Un premier essai fait tomber la barre, un second la ramène aussi. Au troisième la foule retient son souffle, séduite par le jeune athlète qui affronte si bravement les démons de la piste. Dans les estrades son entraîneur lui prodigue ses conseils, témoin impuissant devant le spectacle de cette lutte sans merci qui laissera immanquablement un vainqueur et un vaincu dans l'affrontement qui se dessine. David démarre. La perche palpite entre ses mains. Il accélère, pique la perche sous la barre et il s'envole. Sa montée est interminable, puis il pivote et son corps entier bascule vers le haut, ses pieds tentant de toucher la lune qui s'est levée pour assister à la scène. Il passe au-dessus de la barre mais ses jeunes mains encore trop gourmandes dans cette vie qui a tant à lui donner touchent à la barre qui se rebiffe à ce contact et tombe vers le sol en signe de protestation 4m95. Le record des Jeux du Canada est battu, et David se retire avec la médaille d'argent.
Le dragon n'était pas mort et un autre chevalier allait continuer la lutte. Jamie Johnson avait réussi là où David avait failli, soit à 5m05. Ancien champion canadien junior, détenteur du record toujours en vigueur dans cette catégorie soit 5m11, l'or déjà en poche il allait, pour le plaisir de l'art, tenter de repousser un peu plus loin ses propres limites.
Les juges de pistes, tels des bourreaux, hissent la barre à 5m15. Ce serait la troisième fois que l'on battrait le record des jeux ce soir-là. Le premier essai prend Jamie à contre-pied. Il avait baissé sa garde dans l'espoir d'en apprendre un peu plus sur l'adversaire. Le deuxième essai le rapproche encore un peu plus de l'objectif, mais pas suffisamment pour qu'il crie victoire. Mais au troisième il s'envole puissant et gracieux et réussit une nouvelle marque des Jeux du Canada à 5m15. La foule jubile, Jamie exulte, le monde de l'athlétisme est heureux.
Et Jamie voudra leur en mettre plein la vue. Il pousse sa chance jusqu'à 5m25, mais sa gourmandise le trompera et il devra bien malgré lui rester sur son appétit bien qu'ayant une médaille d'or à se mettre sous la dent.
Chevaliers de l'ère électronique , David Foley et Jamie Johnson ont réveillé bien des émotions en tous ceux qui les suivaient sur la piste. Ils ont pu montrer que lorsqu'on a le cœur accroché à la bonne place, il n'y a pas de sommets que l'on ne peut pas atteindre.
Après quatre journées passées à couvrir l'athlétisme des jeux du Canada, j'ai fini moi aussi par m'emporter pour ces athlètes qui se défoncent sur la piste dans l'espoir d'améliorer un record d'un centimètre, de gruger quelques centièmes de secondes à un chronomètre vorace, de repousser leurs propres limites au-delà de ce que l'on croyait humainement possible.
L'athlétisme va très loin dans les émotions, l'athlétisme comme un parasite insatiable va puiser au plus profond de l'athlète ce qu'il a de meilleur en lui pour le laisser parfois défait, sans forces devant un mur qu'il n'a pu franchir. Ou pour le porter vers l'euphorie d'un succès qui le rapprochera des dieux de l'Olympe.
Courageuse Julie
Julie Boucher s'est écroulée à l'épreuve du 10,000m féminin. Alors que les autres coureuses gardaient le rythme vers une victoire, un record personnel ou simplement une course terminée, elle frappait un mur qui grandissait à chacun des pas qu'elle tentait péniblement de faire sur la piste. Chancelante, égarée, elle est tombée et a tenté courageusement de continuer de gagner quelques mètres sur ses genoux, martyre silencieuse d'un idéal qu'elle s'était fixée à atteindre.
Alors que la piste rugueuse lui arrachait la peau de la paume de ses mains, incapable de réfléchir elle continuait poussée par un seul but, un seul objectif qu'elle s'était fixé sur la ligne de départ de la course : amasser des points pour l'équipe. Noble pensée dans ce sport si individuel qui se rallie soudainement sous une même bannière. Il aura fallu l'intervention des entraîneurs de l'équipe pour mettre fin à ce sacrifice, pour ramener Julie dans le monde des vivants.
Alors qu'on la réhydratait tranquillement, le stade entier a retenu son souffle, ému par la leçon de courage et de détermination que venait de lui donner cette athlète de 23 ans. Julie n'a peut-être pas fini sa course, n'a certainement pas rencontré les objectifs qu'elle s'était fixés, mais elle pourra avoir l'intense satisfaction d'avoir tout donné pour une cause qui lui était chère.
Chevalier David
De tous les sauteurs, les perchistes sont les seuls qui font appel à un accessoire, ce qui les démarque un peu des sauteurs en longueur, en hauteur ou en triple saut. Cette longue perche qu'ils promènent à bout de bras les propulse vers le hauteurs les plus insensées, leur donnant des allures de Don Quichotte guerroyant des moulins à vent.
Pourtant ici les moulins à vent baissent les bras et les Don Quichotte deviennent de valeureux chevaliers des temps modernes qui attaquent sans relâche les barres qui tentent de se mettre en travers de leurs ambitions.
La compétition de perche a été extraordinaire, et de nouveaux héros en sont nés. Comme des chevaliers galopant vers l'ennemi leur lance au flanc, ils se sont tous élancés à l'attaque d'un record personnel, d'une marque à battre, d'une médaille à gagner. Au fur et à mesure que la barre montait, les chevaliers baissaient les bras, ne laissant que deux des plus valeureux tenter de continuer à combattre l'ennemi. Le plus jeune d'entre eux était un québécois, David Foley de Sherbrooke. Sa course légère et aérienne, sa perche flexible et souple entre ses mains, et surtout la détermination qui allumait son regard l'on porté bien haut, au-delà des 4m95 qui se dressaient devant lui. Seul un autre perchiste a réussi à franchir cette hauteur, un albertain de 20 ans, Jamie Johnson.
Dès lors un combat impitoyable allait se dessiner entre eux. Leurs lances affûtées allaient croiser la piste, chacun tentant de vaincre les dragons qu'il trouverait sur son chemin. A 5m05, le jeune David vacille. Un premier essai fait tomber la barre, un second la ramène aussi. Au troisième la foule retient son souffle, séduite par le jeune athlète qui affronte si bravement les démons de la piste. Dans les estrades son entraîneur lui prodigue ses conseils, témoin impuissant devant le spectacle de cette lutte sans merci qui laissera immanquablement un vainqueur et un vaincu dans l'affrontement qui se dessine. David démarre. La perche palpite entre ses mains. Il accélère, pique la perche sous la barre et il s'envole. Sa montée est interminable, puis il pivote et son corps entier bascule vers le haut, ses pieds tentant de toucher la lune qui s'est levée pour assister à la scène. Il passe au-dessus de la barre mais ses jeunes mains encore trop gourmandes dans cette vie qui a tant à lui donner touchent à la barre qui se rebiffe à ce contact et tombe vers le sol en signe de protestation 4m95. Le record des Jeux du Canada est battu, et David se retire avec la médaille d'argent.
Le dragon n'était pas mort et un autre chevalier allait continuer la lutte. Jamie Johnson avait réussi là où David avait failli, soit à 5m05. Ancien champion canadien junior, détenteur du record toujours en vigueur dans cette catégorie soit 5m11, l'or déjà en poche il allait, pour le plaisir de l'art, tenter de repousser un peu plus loin ses propres limites.
Les juges de pistes, tels des bourreaux, hissent la barre à 5m15. Ce serait la troisième fois que l'on battrait le record des jeux ce soir-là. Le premier essai prend Jamie à contre-pied. Il avait baissé sa garde dans l'espoir d'en apprendre un peu plus sur l'adversaire. Le deuxième essai le rapproche encore un peu plus de l'objectif, mais pas suffisamment pour qu'il crie victoire. Mais au troisième il s'envole puissant et gracieux et réussit une nouvelle marque des Jeux du Canada à 5m15. La foule jubile, Jamie exulte, le monde de l'athlétisme est heureux.
Et Jamie voudra leur en mettre plein la vue. Il pousse sa chance jusqu'à 5m25, mais sa gourmandise le trompera et il devra bien malgré lui rester sur son appétit bien qu'ayant une médaille d'or à se mettre sous la dent.
Chevaliers de l'ère électronique , David Foley et Jamie Johnson ont réveillé bien des émotions en tous ceux qui les suivaient sur la piste. Ils ont pu montrer que lorsqu'on a le cœur accroché à la bonne place, il n'y a pas de sommets que l'on ne peut pas atteindre.