Il y a vingt ans, le record de El Gerrouj
Athlétisme dimanche, 5 août 2018. 12:05 mercredi, 11 déc. 2024. 05:49Septembre 2010, je suis installé à mon bureau dans la salle des nouvelles de RDS lorsqu’un collègue occupant le poste de répartiteur (chef de pupitre) m’interrompt dans ma préparation du bulletin Sport 30. Il m’indique que Bruni Surin vient de se pointer à la réception avec un coureur marocain s’appelant Hicham El Guerrouj, convaincu que nous serions très heureux de réaliser une entrevue avec ce dernier. Ce collègue, qui ne travaille plus à RDS, me demande si ça vaut la peine et si ce nom bizarre me dit quelque chose.
Ma mâchoire se décroche presque lorsque je réalise que El Guerrouj est au Québec et à quelques mètres seulement de moi. Pour l’amateur d’athlétisme que je suis, il représente la quintessence de la perfection sur piste. À l’époque, une émission comme le 5 à 7 n’existait pas et accueillir un athlète tel que lui pour une entrevue en direct était impossible.
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Je m’empresse de demander à un cameraman de me suivre à la réception et c’est là, tout près des ascenseurs, que je pose une dizaine de questions à El Guerrouj. Je sais qu’on conservera une seule de ses réponses, un court extrait d’une vingtaine de secondes, pour le bulletin de nouvelles. Mais peu m’importe, je profite égoïstement du moment pour me gâter et discuter avec celui qui est considéré comme un des meilleurs coureurs de tous les temps!
Il quitte ensuite dans le plus parfait anonymat en direction de la Boutique Endurance de Montréal qui l’a invité pour célèbre son 25e anniversaire. Seule la réceptionniste de RDS, d’origine marocaine, a compris ce qui venait de se passer. C’est un peu comme si, pour les amateurs de hockey, Wayne Gretzky venait de passer sans s’annoncer.
Cette anecdote m’est revenue en tête cette semaine à l’occasion du vingtième anniversaire d’un des plus anciens records de l’athlétisme, celui du 1 500 mètres de Hicham El Guerrouj. Le 14 juillet 1998, il enregistrait un formidable chrono de 3:26.00 lors de la réunion Golden Gala de Rome! Depuis, personne ne s’est approché de cette marque et aucun athlète actuel ne semble être capable de le faire. À preuve, le Kenyan Timothy Cheruiyot a réussi la meilleure performance mondiale de l’année sur cette distance lors de la plus récente étape monégasque de la Ligue de Diamant. Mais son temps de 3:28.41 est à une éternité du record de El Guerrouj.
Un athlète de légende
Hicham El Guerrouj occupe une place à part dans le livre d’histoire de l’athlétisme. Le spécialiste des courses de fond et demi-fond, né en 1974, a remporté à quatre reprises les Championnats du monde d’athlétisme sur 1 500 mètres de 1997 à 2003 de même que trois titres mondiaux en salle. En 2004, à Athènes, il est devenu seulement le deuxième athlète de l’histoire, après le Finlandais Paavo Nurmi, à réussir le doublé du 1 500 mètres et 5 000 mètres lors des mêmes Jeux olympiques.
En plus de son record au 1 500 mètres, il détient toujours ceux du mile (3:43.13) et du 2 000 mètres (4:44.79) tout comme les meilleures performances de l’histoire du 1 500 mètres et du mile en salle.
De 1996 à 2004, une très longue période dans une discipline compétitive comme l’athlétisme, pratiquement personne ne pouvait le battre et sa domination était époustouflante. Il parvint à établir la meilleure performance mondiale de l’année sur 1 500 mètres huit années de suite! Deux de ses trois seules défaites pendant ces années fastes sont malheureusement survenues lors des finales des Jeux olympiques de 1996 et 2000. La seule tache à son dossier.
Au cours de sa carrière, El Guerrouj a couru à le 1 500 mètres sous les 3:30 à 31 reprises grâce à sa foulée facile, ample et peu énergétique. Le Temple de la renommée de la Fédération internationale d’athlétisme lui a ouvert toutes grandes ses portes en 2014.
Une course inoubliable
Tous ceux ayant assisté à la course record de El Guerrouj, et dont on célèbre le vingtième anniversaire, s’en souviennent. Cette performance ne fut pas le fruit du hasard puisque la forme du Marocain affichée lors des meetings du début de la saison 1998 laissait présager de belles choses. Il avait d’ailleurs ouvertement annoncé qu’il s’attaquait à la marque mondiale détenue depuis 1995 par l’Algérien Noureddine Morceli (3:27.37).
Il adopta sa stratégie de course habituelle consistant à imposer un rythme rapide dès les premiers tours de piste avec l’aide de lièvres avant de prendre la tête à la mi-parcours. Il se lança dans un long sprint dès les 700 mètres tout en contrôlant ses adversaires grâce à des accélérations progressives judicieusement disposées et calculées jusqu’au fil d’arrivée.
Lorsque son chrono s’affiche sur le tableau indicateur, un court silence tombe sur le stade avant que les milliers de spectateurs n’explosent de joie. Tous comprennent que le moment est historique. Cette nouvelle marque est une seconde et 37 centièmes plus rapide que la précédente. Dans un univers où les records s’améliorent à coup de millièmes de seconde, c’est un exploit herculéen!
Difficile à battre
Combien de temps encore avant que le record de 3:26.00 de Hicham El Guerrouj ne soit battu? Probablement plusieurs années. Quelques décennies? Pourquoi pas.
Ce chrono est joli et facile à retenir. Pas de centièmes de secondes. Juste un joli et précis 3 minutes et 26 secondes. Déjà, il est une sorte de Graal de l’athlétisme dont les meilleurs coureurs de la planète ont entrepris la quête.
À la toute fin de l’entrevue que j’avais réalisée avec lui en 2010, El Guerrouj m’avait chaleureusement remercié. J’avais alors osé lui dire que je courais moi aussi. Il m’avait poliment demandé quels étaient mes meilleurs temps. Ma formidable lenteur par rapport à la sienne n’avait pas semblé le décevoir. Et c’est en me disant que lors d’une prochaine rencontre nous irions courir ensemble qu’il était parti.
Je m’accroche à l’espoir de le revoir un jour!