Reconnue pour son impressionnante force de caractère en tant que capitaine de l'équipe canadienne de water-polo féminin, Krystina Alogbo a dû surmonter une épreuve nettement plus éprouvante à l'extérieur de la piscine quand l'un de ses frères a été assassiné en janvier 2007.

Le 6 janvier, Alogbo a vécu la pire journée de sa vie quand son frère Jonathan a été abattu d'une balle de fusil en soirée, dans l'arrondissement Lachine de Montréal, alors qu'il essayait de fuir ses agresseurs. Ce meurtre a été classé comme une histoire reliée aux gangs de rue et Alogbo était en liberté sous caution en attendant son procès pour trafic de drogue.

Quelques jours avant son 21e anniversaire, la poloïste a appris cette nouvelle alors qu'elle se trouvait très loin de sa famille, au Colorado, en camp d'entraînement avec son équipe.

« J'étais en état de choc total quand j'ai appris la nouvelle. Je ne pouvais pas y croire et je m'inquiétais pour ma famille. Mais je souhaitais rester près de mon équipe parce que je ne voyais pas une meilleure solution étant donné que je me sentais entourée et protégée de la maison », a confié Alogbo en ouvrant son cœur.

« Grâce à mon équipe, que je considère comme ma deuxième famille, j'ai été capable de retourner à la maison et d'avoir la force pour aider ma famille à surmonter cette épreuve », a aussi révélé Alogbo au RDS.ca.

« Elle était très proche de lui et c'était très difficile pour elle de ne pas être avec sa famille dans un moment aussi douloureux. Elle a aussi été touchée différemment parce qu'elle a revécu le choc quand elle nous a aperçus à sa sortie de l'avion », a indiqué sa grande sœur Carolyne Daye.

Vivre le deuil de son frère à des milliers de kilomètres de sa famille est cruel, mais sa mère y a vu un soupçon de positif.

« Elle était peut-être la plus chanceuse dans cette épreuve parce qu'elle était entourée d'un groupe, son équipe. Dans le fond, elles sont comme des sœurs et elles ont été très proches de Krystina. Elles ont même passé une nuit blanche ensemble et elles étaient unies dans cette épreuve », a confié Simone Alogbo.

Voilà pourquoi la mère de Krystina remercie la vie que sa fille se trouvait dans un milieu autant tissé serré.

« Si elle avait été seule, sans ses coéquipières, je me demande si elle ne se serait pas profondément effondrée, mais Krystina est forte », a-t-elle ajouté.

Élevée sans avoir connu son père, Krystina était très proche des autres membres de sa famille et cette perte représentait un coup du destin affligeant.

« Son frère était quelque chose de précieux pour elle et nous tous. C'est particulier de dire cela, mais il était la perle de la famille même si ça ne semble pas être le cas. Il jouait un rôle très important pour nous », a rappelé sa mère.

« Il adorait Krystina et c'était réciproque. Il la protégeait et c'était lui le plus doux avec elle. Ça va toujours la marquer… », a continué Mme Alogbo.

En raison de leur différence d'âge de 15 ans, Carolyne a souvent joué un rôle maternel avec Krystina et cette souffrance a quelque peu modifié leur relation.

« On s'est aidée et ça nous a peut-être rapprochées davantage parce qu'on a réalisé à quel point la vie est précieuse. On est demeurée très proche même si j'ai été sévère avec elle en grandissant », a confié Carolyne au sujet de Krystina qui agit souvent comme gardienne pour ses enfants.

En plus de devoir se relever de cet obstacle majeur, l'athlète dont la grande gentillesse émane rapidement n'était pas au bout de ses peines. Durant la même année, l'équipe canadienne a échoué dans sa tentative de se qualifier pour les Jeux olympiques de Pékin.

« C'était vraiment difficile, mais ça m'a motivée parce que je suis encore à mon poste quatre ans plus tard et j'ai une autre chance d'accéder aux Jeux olympiques », a évoqué celle qui attire l'attention en raison de son impressionnant physique.

Le Canada était à 41 secondes de savourer sa qualification olympique

Alogbo soulève le fait qu'elle et ses coéquipières possèdent la chance de se qualifier pour l'aventure olympique de Londres, mais elles auraient pu avoir le billet tant convoité en poche si la chance avait été de leur côté.

En octobre dernier, l'équipe canadienne a frôlé l'exploit de vaincre les Américaines en finale des Jeux panaméricains pour obtenir leur place au sein du tournoi olympique. En avance 8 à 7 avec 41 secondes à écouler, les Canadiennes ont encaissé un but égalisateur avant de s'incliner - aussi incroyable que ça puisse paraître - en 19e ronde des tirs de barrage.

« Les dieux du water-polo semblaient contre nous », avait résumé l'entraîneur Pat Oaten à notre collègue Luc Bellemare.

Mais tout n'est pas perdu puisque le sort de cette formation se jouera dans le très relevé tournoi de qualification à Trieste, en Italie, qui sera disputé du 15 au 22 avril.

Le hic, c'est que seulement quatre places seront à l'enjeu dans cette compétition qui regroupera toutes les puissances européennes comme l'Italie, la Russie et la Hongrie puisque l'Angleterre a hérité de la sélection européenne en tant que pays hôte.

« Bien sûr, c'est stressant, mais nous avions joué à la hauteur aux Pan-Am et surtout dans les trois premiers quarts de la finale. On a démontré notre caractère d'équipe et si on reproduit cela, je suis confiante », a soutenu Alogbo qui est âgée de 26 ans.

Depuis de nombreuses années, le water-polo ne jouit pas de la meilleure réputation au chapitre de l'arbitrage et de l'objectivité, ce qui ajoute au risque de devoir se qualifier en sol européen.

« C'est évident que ça sera difficile surtout sur le plan politique de la compétition parce que l'Europe veut ajouter un pays pour rejoindre l'Angleterre qui est un peu plus faible que les autres formations. En Europe, ils aiment dire que le water-polo ne se joue pas à l'extérieur de leur continent. Par contre, si on joue à la hauteur de nos moyens, aucun arbitre ou aucune politique ne pourra enlever le ballon du but adverse et c'est la mentalité que nous allons adopter », a précisé Alogbo.

En plus de rêver à sa première présence olympique, la capitaine croit que sa troupe peut aspirer à un podium en parvenant à se qualifier puisque les joueuses ont atteint la maturité nécessaire.

« Je suis assez vieille et l'équipe aussi, c'est maintenant que ça doit fonctionner. Notre équipe compte sur seulement deux joueuses (Rachel Riddel et Christine Robinson) qui ont participé aux JO à Athènes en 2004. Elles nous racontent souvent qu'elles étaient jeunes et qu'elles ont aimé cela, mais que ce ne serait pas la même chose cette fois; on forme vraiment une grande famille », a détaillé la redoutable adversaire aux cheveux bouclés noirs.

Possible de lever un pneu de plus de 400 livres

À l'image de sa vie, Alogbo ne recule devant aucun défi ce qui explique la confiance qu'elle dégage dès le premier contact. Lors de la préparation de l'équipe pour les Pan-Am, elle a une fois de prouvé que sa détermination était impressionnante en soulevant un pneu de 407 livres!

Sa réussite s'est rapidement retrouvée sur Youtube et elle a accepté de raconter le contexte.

« Nous étions en entraînement à Albuquerque et il y avait ces gros pneus dans le gymnase. Mon entraîneur physique Alain Delorme était présent et il s'est souvent entraîné avec ces objets. Je lui ai demandé de m'expliquer comment le lever, mais il m'a dit que je le ferais la dernière journée parce que je devais me concentrer sur notre préparation. »

« J'étais vraiment énervée quand le moment est arrivé. On avait fait un entraînement avant et je trouvais qu'il avait fait par exprès pour que je sois épuisée, mais j'avais ce but dans ma tête et je voulais le prouver à mes coéquipières. »

« J'ai pensé aux matchs de qualification et je l'ai fait deux fois. Pour moi, si j'ai cette énergie, je peux accomplir plusieurs choses. Maintenant, je suis prête à l'essayer avec le pneu de 700 livres », a même lancé Alogbo.



Nul doute, elle pourra utiliser cette force contre ses opposantes surtout que le water-polo est reconnu pour son côté fort robuste et même salaud.

« On dit souvent que c'est plus salaud chez les femmes. On a joué contre des hommes à l'entraînement et ils trouvent qu'on joue tès salaud…, lance-t-elle en riant. On se grafigne et on a aussi plus de maillot à agripper! Du côté masculin, c'est plus de la force et quand tu reçois un coup, c'est tout un coup. À mes yeux, c'est un sport plus physique que salaud. »

Pratiquant le water-polo depuis l'âge de huit ans, elle a évidemment reçu une multitude de coups, mais quel a été le pire, celui qu'elle n'oubliera jamais?

« J'avais environ 14 ans et c'était mon premier tournoi contre des filles de 18 ans. Une adversaire m'avait tiré la bouche comme un crochet de poisson et m'avait frappé dans l'eau. Je pleurais et je disais que je ne voulais plus jouer… Mais mon entraîneur m'a appris de ne plus me laisser faire et les coups ne me font plus mal », s'est-elle souvenue.

Elle doit d'ailleurs beaucoup à un entraîneur en particulier, Dan Berthelette, qui l'a aidé à grandir dans ce sport et dans la vie.

« J'ai vécu des moments difficiles dans ma vie dont de ne jamais rencontrer mon père ce qui a déterminé qui je suis devenue dans la vie. Dan a vraiment été une inspiration pour moi et il représente comme un père. Il m'a appris à canaliser mon énergie », a remercié Alogbo.

« Il l'a beaucoup aidée dans plusieurs choses étant donné que j'étais monoparentale. C'était bénéfique d'avoir l'autre côté de la médaille ou un autre son de cloche. Il l'a gardé dans la bonne ligne à plusieurs niveaux et il lui a permis de développer confiance en elle dont en la nommant capitaine », a confirmé sa mère.

Visage du water-polo féminin au Canada, Alogbo rend fiers les membres de sa famille, mais elle y parvient surtout quand elle ne porte pas son maillot.

« J'admire son côté sportif, mais je retiens avant tout ses qualités personnelles car elle vivra avec cela toute sa vie. Elle a un cœur d'or et c'est un être très cher pour cette raison », a louangé Carolyne qui attribue le caractère de sa petite sœur aux femmes fortes de son entourage.

« Ce qui me rend le plus fière d'elle, ce sont plus les moments d'amour qu'elle a démontrés envers les jeunes et ses coéquipières. Elle ne refuse jamais les demandes pour parler devant les jeunes. Elle trouve que c'est important probablement avec tout ce qui s'est passé dans sa vie; elle prend cela à cœur et elle leur donne l'espoir qu'on peut changer la vie! », a conclu Mme Alogbo.