Courir pour sa communauté : l’histoire de quatre jeunes atikamekw
Course à pied dimanche, 28 janv. 2018. 12:55 vendredi, 13 déc. 2024. 16:57On peut courir pour être en forme. C’est d’ailleurs la raison première qui pousse tant de gens à lacer leurs chaussures avant de s’élancer pour quelques kilomètres de jogging. On peut également courir pour porter un message d’espoir. Vous connaissez tous une histoire de gens prêts à relever des défis de course à pied les forçant à se dépasser pour promouvoir des causes qu’ils chérissent et veulent promouvoir. Celle que je vous raconte aujourd’hui est inspirante.
En ce dimanche 28 janvier, quatre jeunes coureurs âgés de 14 ans à 17 ans ont participé au Marathon de Miami, en Floride, sous une chaleur torride de 27 degrés Celsius. Une aventure difficile, mais extraordinaire de 42,2 kilomètres vécue au milieu de plusieurs autres centaines de coureurs provenant du monde entier.
Leur histoire a ceci d’intéressant alors qu’elle est celle de quatre jeunes de la communauté atikamekw de Manawan, une communauté des Premières Nations située dans la région de Lanaudière, en Haute-Mauricie. Jon-Nathan Ottawa-Dubé, 17 ans, Naythan Flamand, 15 ans, Kyshan Ottawa, 15 ans, et Mathis Ottawa, 14 ans, ont décidé de s’impliquer pour vaincre certains de leurs démons personnels, mais également pour inciter les jeunes qu’ils côtoient à adopter de saines habitudes de vie.
Leur entraîneur, Valère Dubé, un marathonien accompli et infirmier au sein de la direction des Services de santé de Manawan, n’est pas peu fier du dévouement de ses ouailles avec qui il a couru à Miami. Il n’hésite pas à vanter leur implication au sein de la communauté. « Dès qu’ils peuvent aider avec leurs souliers de course, ils se lancent littéralement dans le projet », explique-t-il.
Monsieur Valère est à l’origine de l’intérêt des jeunes pour la course à pied. « Je courrais aux alentours de Manawan et sur la piste de course aménagée au village. Je courrais en forêt sur des distances allant de cinq à cinquante kilomètres. Lorsqu’ils m’ont vu, ils ont voulu se joindre à moi. Ce fut le début d’un long parcours enrichissant à leurs côtés. »
Le Marathon de Miami n’était pas leur premier défi de course à pied. Bien au contraire! Ils ont d’abord commencé par de petites courses de deux, cinq et dix kilomètres près de Manawan avant d’augmenter les distances en suivant les recommandations de leur entraîneur.
Cela les a amenés à parcourir de très longues distances. Par exemple, en février 2017, ils ont relié en trois jours Manawan et Ottawa (456km) en pleine nature. Leur but était de présenter deux lettres au ministre de la Santé et au ministre des Affaires autochtones et du Nord pour leur demander de revoir leurs politiques sur les services de santé non assurés à l’égard des Premières Nations vivant à l’extérieur de leur communauté.
En octobre dernier, Jon-Nathan, Kyshan et Mathis ont couru le 42km du Marathon Waterfront de la Banque Scotia de Toronto.
Ces jeunes coureurs ont été touchés par les problèmes de santé vécus par de nombreuses personnes de leur communauté au cours des derniers mois. Ils ont trouvé une source de motivation supplémentaire dans l’élan de solidarité qui s'est exprimée envers des familles éprouvées par la maladie ou des problèmes de toxicomanie.
« En août 2017, un des nôtres à Manawan revenait de l’hôpital pour passer ses derniers moments auprès de sa famille. Il souffrait d’un cancer agressif et les médecins ne lui donnaient que quelques semaines à vivre. Son vœu le plus cher était de se marier, mais il n’avait pas d’argent pour se le permettre. J’ai donc décidé d’organiser une collecte de fonds pour lui. Les jeunes et moi avons pris nos souliers de course et avons couru jusqu’au village voisin de Wemotaci à 127 kilomètres. Après neuf heures de course, nous avions amassé plus de 2 000 dollars, suffisamment d’argent pour couvrir les frais de la cérémonie », se souvient fièrement Valère Dubé.
Ce dernier ajoute que les communautés amérindiennes québécoises connaissent une montée fulgurante de la consommation de drogue et d’alcool. Les effets sont dévastateurs et se traduisent par un état de mal-être profond qui entraîne des troubles de santé mentale, de l’anxiété, des dépressions et des suicides. Il est donc essentiel d’offrir aux jeunes une chance de s’en sortir en s’investissant dans des projets sportifs. La course à pied est un de ceux-là.
« La course les a transformés! Un des garçons souffrait de bégaiements et s’isolait. Il demandait même à sa mère de téléphoner à sa place au restaurant du village pour commander un repas. Aujourd’hui, il le fait lui-même et se mêle aux autres jeunes. Un second avait des problèmes d’alcool et commençait à expérimenter les drogues. De plus, il avait abandonné l’école. Aujourd’hui, aux côtés des trois autres, il tente de retourner en classe et obtient du soutien. »
Naythan, Kyshan, Jon-Nathan et Mathis n’entendent pas s’arrêter là. Valère Dubé leur a fait découvrir le plaisir de courir de même que l’importance d’être des modèles pour leur communauté. Ils envisagent de poursuivre sur leur lancée en visant une participation aux marathons de Boston et d’Ottawa. L’ultra-marathon de Tremblant serait également dans leur ligne de mire. Bref, ils n’ont pas peur des défis.
« Pour le marathon à Miami, les jeunes avaient choisi un thème : Manawan Iriniwok, Iskwewok kaie Awacak, (Manawan, les hommes, les femmes et les enfants). Ils voulaient honorer les gens de notre communauté. Oui, nous avons vécu de nombreux traumatismes, mais nous sommes encore ici et le serons toujours demain. Nous sommes Manawan et formons une communauté serrée qui veut guérir. Un peu comme à la course, à chaque foulée, nous réapprenons à vivre en nous tournant vers l’avenir », conclu philosophiquement Valère Dubé.