Ce ne sont pas tous les athlètes qui peuvent aspirer à représenter librement et fièrement leur pays lors de compétitions internationales. Le cas du marathonien sud-soudanais Guor Marial en est un exemple probant, mais désolant.

Le jeune homme de 30 ans a vu le jour dans un petit village situé dans le sud du Soudan. À cette époque, le Sud-Soudan n’existe pas encore. En effet, ce pays n’a été fondé qu’en juillet 2011 après plusieurs années d’une guerre civile terriblement meurtrière entre le nord et le sud. Pour éviter les affres de cette guerre à leur garçon de 15 ans, les parents de Marial l’aident à fuir vers l’Égypte, puis les États-Unis en 1994. C’est là, au New Hampshire, qu’il découvrira la course à pied et, surtout, qu’il y excelle!

Au cours des années qui suivront, le Soudanais grimpe sur le podium de la plupart des compétitions où il s’aligne. Son talent est tel qu’il parvient, au début de l’année 2012, à réaliser le temps minimal requis pour se qualifier au marathon des Jeux olympiques de Londres. Un problème se pose toutefois, celui de faire en sorte que le Comité international olympique (CIO) accepte sa présence aux Jeux olympiques. C’est tout sauf simple!

Sous quel drapeau ira-t-il courir aux Jeux? Il ne peut pas représenter les États-Unis où il a le statut de réfugié depuis plus de dix ans. Il lui est également impossible de courir sous les couleurs du Soudan du Sud puisque ce pays est indépendant depuis à peine quelques mois. Les règlements du CIO stipulent que le comité national d’un pays doit avoir au moins deux ans d’existence pour être reconnu officiellement. Guor Marial refuse alors l’offre du Soudan de défiler sous ses couleurs. Il n’ira pas, affirme-t-il, trahir les deux millions de personnes qui sont mortes pour la liberté lors de la guerre civile en représentant le nord alors qu’il est du sud. Et surtout, il ne veut pas offenser l’âme des 28 membres de sa famille, dont huit frères et soeurs, qui perdirent la vie lors de ce conflit.

Il ne lui reste alors qu’une seule option, rarement utilisée, celle de se présenter aux Jeux olympiques en tant qu’athlète indépendant. Il faudra cependant une très longue procédure pour en venir à cette solution ultime. Le CIO affirme alors vouloir donner une chance au Soudan du Sud, plus jeune pays de la planète, d’appartenir à la communauté internationale.

C’est donc en tant qu’athlète orphelin, athlète sans pays, que Marial participe aux Jeux olympiques de Londres à l’été 2012. Il termine 47e de la course de 42,195 kilomètres avec un chrono de 2 h 19 :32. Il est satisfait, mais rêve déjà à sa prochaine participation olympique en 2016 au Brésil. Cette fois, il a bien l’intention de courir pour représenter son pays d’origine, le Soudan du Sud. L’histoire se voudra toutefois bien différente.

Une bourse contestée

Le 22 février 2013, Guor Marial devient officiellement un citoyen américain tout en conservant sa nationalité sud-soudanaise. Pour souligner l’événement, il change son nom. Dorénavant, il faudra l’appeler Guor Mading Maker. Il devient également étudiant à l’université Iowa State. Malgré quelques blessures, il améliore son chrono de Londres en terminant 34e à New York en 2013 en moins de 2 h 13 minutes. Les Sud-Soudanais surveillent ce coureur d’exception et retirent une grande fierté à le voir obtenir de bons résultats. Tous ont hâte de le suivre aux prochains Jeux olympiques.

Son statut de coureur élite entraîne cependant des déboursés importants. Il doit s’entraîner au Kenya et parcourir le globe pour participer à un grand nombre de compétitions. Tout cela coûte cher et il ne peut certainement pas compter sur l’appui financier du Sud-Soudan et de sa toute nouvelle Fédération athlétique. Impossible également pour lui de demander de l’aide au Comité national olympique du Sud-Soudan, car… il n’y en a pas!

Guor Marial

Maker se tourne donc vers le CIO qui a toujours gardé un oeil paternaliste sur le jeune homme depuis qu’il a couru comme athlète olympique indépendant (AOI) aux Jeux de Londres. Sa demande est acceptée par l’organisation qui régit les Jeux et il reçoit une bourse olympique lui permettant de poursuivre son entraînement pour se qualifier pour les Jeux de Rio, en 2016. Cette annonce, accueillie avec joie par Maker, s’est toutefois transformée en cauchemar au cours des derniers jours. Son rêve de prendre part aux Jeux olympiques sous les couleurs sud-soudanaises est maintenant en veilleuse.

Un conflit a éclaté entre Guor Mading Maker et la Fédération athlétique sud-soudanaise qui souhaite que le coureur lui remette la totalité de sa bourse du CIO. La Fédération invoque sa règlementation qui stipule que ses athlètes concourent et s’entraînent en tant qu’équipe sous une seule administration et direction. L’argent reçu par Maker doit, selon l’argumentaire sud-soudanais, aider tous les athlètes du pays et non pas un seul. La Fédération menace même de lui retirer l’accréditation nationale requise pour représenter la nation, ce qui l’empêcherait d’être aux Jeux olympiques.

Plutôt que de s’incliner devant ces menaces, Maker monte au front et publie un message sur sa page Facebook pour rallier ses fans. Il explique que c’est à lui, et à lui seul, que le CIO a accordé la bourse et que rien ne l’oblige à la céder à la Fédération athlétique du Sud-Soudan. Devant ce qu’il qualifie « d’affront national », le secrétaire général de la Fédération, Kamal John Akol, réplique en annonçant la suspension immédiate (11 janvier) de Maker pour toutes les activités de course à pied à l’intérieur et à l’extérieur du Sud-Soudan. « Puisque Maker refuse de reconnaitre la Fédération de son propre pays, alors il n’a qu’à s’en trouver une ailleurs qui le fera », ajoute-t-il.

Une solution à trouver

Au moment d’écrire ces lignes, le conflit ne semble pas vouloir se régler facilement. S’il veut participer aux Jeux olympiques de Rio, Maker doit absolument obtenir l’approbation de la Fédération sud-soudanaise. Il pourrait toujours brandir son passeport américain, mais ses meilleurs chronos ne font pas de lui le marathonien le plus rapide des États-Unis. Et le CIO ne peut plus rien pour lui puisqu’il n’a pas le droit d’inviter un athlète indépendant aux Jeux sous le seul motif que ce dernier ne parvient pas à s’entendre avec les autorités sportives de son pays.

La seule et unique façon pour Guor Mading Maker d’être au départ du marathon de Rio en 2016 repose sur un règlement entre lui et la Fédération sud-soudanaise. Malheureusement, c’est une question d’argent qui est au coeur de la mésentente et s’il y a un point sur lequel les deux parties impliquées n’entendent pas céder, c’est celui-là!

Entretemps, Maker poursuit son entraînement au Kenya. Il a refusé de répondre à un ultimatum de 72 heures du Sud-Soudan de se présenter devant les autorités de son pays d’origine pour venir s’expliquer en personne. Il affirme ne pas avoir assez d’argent pour se payer le déplacement. Son rêve olympique, malgré tout son talent, risque de ne pas se réaliser. Plus que jamais, il est un orphelin du CIO.