Dans le cadre de sa série « 25 ans d'émotions », RDS présente mercredi à 19 h 30 le reportage sur Joannie Rochette intitulé « Ma plus grande fan ».

Lorsque j’ai connu Joannie Rochette, c’était une adolescente au plus pur du terme. Un tantinet rebelle, imbue de cette arrogance propre à cette période de la vie, mais déjà dotée d’un regard clair qui voyait les sommets qu’elle voulait conquérir. Une assurance à construire dans un monde pas toujours facile où les artifices jettent parfois des paillettes sur les efforts considérables qu’il faut faire pour arriver à l’excellence.

C’était en 2000 et nous étions dans un autobus à Calgary qui assurait la navette entre l’hôtel et le Saddledome, où avait lieu la compétition. Joannie était en compagnie de son entraîneure Manon Perron, et patinait chez les novices, compétition qu’elle avait d’ailleurs remportée avant d’enfiler un second titre l’année suivante, chez les juniors.

On était alors au cœur du règne de Jennifer Robinson sur le patinage féminin canadien. Elle en était à son deuxième titre consécutif d’une série de cinq. Mais Joannie s’amenait, prenait de l’expérience, changeait d’entraîneur avant de revenir vers Manon qui l’avait vue grandir, évoluer, s’épanouir. Lorsque Jennifer a pris sa retraite en 2004, échappant ce qui aurait été un sixième titre consécutif, elle laissait la glace è deux patineuses d’avenir : Cynthia Phaneuf, qui surprenait tout le monde en l’emportant cette année-là, et Joannie Rochette, qui avait une présence et un charisme remarquable sur la patinoire.

Joannie allait vite prendre la couronne abandonnée l’année suivante par Cynthia et la garder durant six championnats consécutifs. Elle apportait un nouveau souffle au patinage féminin, et devenait une patineuse de plus en plus en vue sur la scène internationale. Elle gravissait les échelons aux championnats mondiaux, grimpant jusqu’à la deuxième place en 2009, année préolympique. Ça augurait bien pour les Jeux de Vancouver.

Joannie Rochette et Manon PerronJoannie y figurait parmi les têtes d’affiche et la pression allait être forte. Patiner chez soi, devant un public qui adule ses athlètes est à la fois motivateur et effrayant. Et le succès passe d’abord par la confiance en soi, les chakras bien enlignés et les petits soucis laissés derrière soi. Jusqu’à ce que l’impossible surgisse, jusqu’à ce que la tragédie frappe. Le décès brutal de la mère de Joannie, venue l’encourager à Vancouver, aurait pu anéantir la jeune femme. Personne n’aurait trouvé à redire si elle s’était retirée de la compétition, si elle était allée panser ses blessures loin de la foule et du bruit, si elle avait pleuré sa mère dans l’intimité.

Mais Joannie a choisi de vivre son deuil autrement. D’en faire une ode à celle qui lui avait donné la vie, et dont on venait de retirer la sienne brutalement. Sa mère était venue à Vancouver pour la voir toucher à son rêve olympique et y donner le meilleur d’elle-même. Elle irait donc jusqu’au bout. C’est difficile ici d’imaginer toute la force qu’il aura fallu à cette athlète pour enfiler les sauts complexes, les combinaisons difficiles, interpréter avec justesse ses chorégraphies sans perdre l’assurance nécessaire à l’exécution de ces manœuvres.

Boris Verkhovsky, entraîneur-chef au Cirque du soleil, m’avait dit un jour qu’il ne pouvait prendre à l’entraînement, un athlète qui sortait directement du cours de théâtre. « Au théâtre, disait-il, on doit dépouiller complètement les élèves de leur assurance, les fragiliser pour aller au cœur de leurs émotions. Lorsqu’ils sont avec moi, ils doivent être persuadés qu’ils sont les meilleurs au monde pour se lancer dans des manœuvres risquées. Il n’y a pas de place pour le doute et l’émotion. »

Joannie RochetteJoannie venait d’être dépouillée de ce qu’elle avait de plus sacré au monde, sa mère, sa force, son inspiration. Pourtant, elle a choisi de se relever et de lui faire honneur. Ce qu’elle a réussi avec brio. Troisième après le programme court, elle a brillé dans le programme libre, terminant à moins d’un demi-point de la médaillée d’argent, la Japonaise Mao Asada. Le courage et la grandeur de Joannie ont fait le tour du monde. Jamais une médaille de bronze n’aura été autant célébrée, autant glorifiée. Nous avons tous encore en tête ce moment d’intenses émotions quand, terminant son programme libre, Joannie a levé ses yeux mouillés de larmes vers le ciel, dans un ultime salut pour cette mère qui une fois de plus avait veillé sur elle.

La leçon de courage que Joannie Rochette a servi ce jour-là en a inspiré plus d’un. Noble dans sa douleur, fière dans sa réussite, fidèle à ce qu’elle est, elle a traversé l’épreuve avec dignité, marquant encore plus ses admirateurs de partout sur la planète que si elle avait remporté la compétition. C’était une médaille de bronze pour un cœur en or.