Êtes-vous de ceux qui croient qu’il n’y a pas de grandes différences entre la marche et la course à pied? Si c’est le cas, je ne me moque pas de vous puisque j’ai longtemps cru la même chose. Mieux encore, j’avoue que j’avais ce petit regard hautain du coureur vis-à-vis le marcheur. Mais tout a changé à l’automne 2006. Une leçon apprise à la dure.

Mon père, Jacques (au centre sur la photo), aime marcher. Il est membre du Club de Marche de Beauport et, à toutes les semaines, il rejoint le groupe pour de longues marches à un rythme soutenu. Il est un AMMMOUREUX de la marche à tel point qu’il se lance constamment de nouveaux défis. Accompagné de son fidèle complice du club, André (à droite sur la photo), il a complété le tour du Lac-Saint-Jean à la marche en 5 jours. C’est plus de 50 kilomètres de marche par jour. N’essayez pas, n’essayez pas! C’est un peu excessif. Il veut prochainement faire le tour de la Gaspésie, toujours avec André. « C’est grand la Gaspésie papa » lui dis-je. « Je sais » me répond-il, sourire en coin.

Au printemps 2006, j’étais en pleine période d’entraînement pour le marathon d’Ottawa. J’étais dans la meilleure forme physique de ma vie. De passage chez mes parents, à l’Ile d’Orléans, mon père m’avait proposé de faire le tour de l’Ile avec lui et André en septembre. 68 kilomètres de marche tout d’un coup! Bof, j’avais accepté. Pourquoi pas. Rien ne pouvait être plus difficile que de courir un marathon. Que j’ai l’esprit obtus parfois. « N’oublie pas de t’entraîner un peu à marcher » m’avait conseillé mon père. « Oui, oui, bien sûr. » avais-je rétorqué avec un soupçon d’arrogance. Croyait-il vraiment que je ne serais pas capable de marcher à ses côtés?

J’avais oublié que mon père aimait se lever tôt. À 4h, le 26 septembre 2006, nous sommes partis de la résidence familiale à Saint-Pierre pour notre très longue marche. J’avais chaussé mes souliers de courses, ceux là même qui m’avait permis de compléter les 42 kilomètres à Ottawa. Ma sœur m’avait demandé de garder un œil sur papa, juste au cas. Elle est médecin.

Que tout allait bien au départ. Oh, j’ai bien remarqué que nous marchions d’un très bon pas, 7 km/h, mais je croyais que les deux « vieux » allaient ralentir après quelques kilomètres. Ce ne fut pas le cas. Pour égayer notre petit groupe, je m’étais muni d’un GPS et du livret d’information touristique de l’Ile d’Orléans. Je pouvais ainsi leur servir de guide. Tant qu’à y être, pourquoi ne pas redécouvrir cette magnifique île où j’ai eu la chance de grandir?

Nous avons fait notre première pause après 22 kilomètres, à la tour d’observation de Saint-François. « Dix minutes de pause » annonça mon père. Misère, j’avais une ampoule au pied droit. Ca ne m’était jamais arrivé. Ma fierté ne m’empêcha pas de leur demander quelques minutes de repos supplémentaire pour que je puisse panser mon « énôôrme » blessure. Nous nous sommes ensuite reposés à nouveau 15 kilomètres plus loin, près de la superbe église de la paroisse de St-Jean. Un autre petit dix minutes de repos. Mon ampoule me faisait souffrir. Et quel était ce mal que je commençais à ressentir aux mollets?

Pour notre pause du dîner, une belle heure de repos, ma mère, mon épouse et mes trois enfants nous attendaient au quai de Saint-Laurent. Nous avions, à ce moment, marché 46 kilomètres. Vous savez cette affirmation qui dit qu’un muscle qui se repose devient froid et douloureux? Et bien c’est tellement vrai. Lorsque mon père et André se sont levés après le lunch, je ne pouvais plus marcher. Des crampes! J’ai alors compris que les muscles utilisés pour ce sport n’étaient pas tout à fait les mêmes que pour la course à pied. « Veux-tu abandonner? » me demanda mon père? « Pas question » répliquai-je.

Je n’avais pas le choix, pour continuer je devais courir. Je suis donc parti seul, comme un éclaireur. C’était douloureux, mais moins que de marcher. Après 9 kilomètres d’un jogging léger, je me suis arrêté à la chocolaterie de Sainte-Pétronille, celle où s’arrête mon collègue Pierre Vercheval à chaque fois qu’il visite son père, à l’Ile d’Orléans. J’étais vidé. Tout mon corps me disait de renoncer. Je marchais et courais depuis 8 heures. Un coup de fil sur le téléphone cellulaire de mon père me permit d’apprendre que je possédais une trentaine de minutes d’avance sur eux.

Je suis tout de même reparti. Il me restait 13 kilomètres pour compléter le tour de mon île. Selon mon GPS, je marchais à 3 km/h! Une tortue. Une petite pluie venait de commencer à tomber et je marchais comme un homme saoul, affublé de sévères troubles de la coordination. Heureusement, je n’ai pas croisé de policiers!

Les deux « vieux » m’ont finalement rejoint à une centaine de mètres de l’arrivée, après 68 kilomètres de marche. Eux souriants, moi mourant, nous avons complété notre épreuve en un peu moins de 11 heures de marche. Le simple fait de gravir les 3 marches menant à la porte d’entrée de la maison fut un véritable supplice. Et je ne vous raconte pas le difficile processus m’ayant permis de me dévêtir pour prendre une douche.

Mon père avait raison, la marche d’endurance, comme il la pratique, est un sport aussi difficile que la course de fond. C’est un sport qui sollicite des muscles bien différents de ceux du jogging et qui permet de garder la forme. Voilà la belle leçon d’humilité que je retiens. J’ai également compris que ce tour de l’Île d’Orléans à la marche pouvait s’effectuer en deux jours. C’est ce que je ferai cet été avec mon épouse. Sage décision de couple!