Le 1er novembre dernier, la ville de Tokyo, au Japon, a accepté sans grand enthousiasme la décision du Comité international olympique (CIO) de déplacer le marathon et la marche vers le nord du pays lors des Jeux olympiques de 2020. Les responsables du CIO ont affirmé que c’était la bonne chose à faire pour éviter les fortes chaleurs de saison.

 

Le gouverneur de la capitale nipponne a tenu à préciser qu’il s’agissait d’une décision sans accord de la part du CIO et qu’il s’y opposait. Qu’à cela ne tienne, ces épreuves d’endurance seront plutôt présentées sur l’île d’Hokkaido, dans la région de Sapporo, là où s’étaient tenues les compétitions de ski et de sauts à ski des Jeux olympiques d’hiver de 1972. Les températures estivales seront certainement plus clémentes qu’à Tokyo.

 

Le président du CIO, Thomas Bach, avait probablement encore en tête le dernier Championnat du monde d’athlétisme, à Doha, lorsqu’il a annoncé cette nouvelle. Des images de marathoniens et marcheurs abandonnant, complètement exténués, ont fait le tour du monde. Malgré les départs tardifs en plein milieu de la nuit, le mercure affichait tout de même plus de 30 degrés celsius et l’humidité était très élevée.

 

Il n’y a pas que les autorités du pays du Soleil-Levant qui sont fâchées par ce déménagement du marathon et de la marche. Plusieurs athlètes également! Au Canada, celui qui pourfend avec le plus de véhémence cette décision est le marcheur Evan Dunfee. Ce n’est pas n’importe qui! Dunfee représente un réel espoir de médaille pour le Canada puisqu’il a terminé au troisième rang du 50 kilomètres dans l’insoutenable fournaise de Doha le mois dernier.  Lors des Jeux olympiques de Rio, en 2016, il avait terminé au pied du podium sur la même distance. Il a longtemps détenu le record national et nord-américain sur 20 kilomètres (1h20:13).

 

Depuis l’annonce du CIO, Dunfee n’hésite pas à partager sa frustration sur ses différents médias sociaux, des propos qu’il appuie avec moult exemples et études. Cette semaine (18 novembre), il a réagi à une déclaration de Thomas Bach qui expliquait que les athlètes comme Dunfee qui se plaignent du déplacement de leurs épreuves voulaient simplement profiter d’un avantage concurrentiel car ils pouvaient faire mieux que les autres sous la chaleur.

 

La réponse de Dunfee, incisive, n’a pas tardé à fuser.  « Nous, les athlètes, passons des années et dépensons beaucoup d’argent à nous préparer. Il est frustrant de voir le tapis être tiré sous nos pieds sans qu’on puisse réagir et avoir notre mot à dire. »

 

La faute des médias

 

Il explique que la situation à Doha n’était pas aussi terrible que les médias l’ont dépeinte.  Ce n’est pas la chaleur ou l’humidité qui a fait le plus de tort aux marathoniens et marcheurs et qui explique le nombre élevé d’abandons.

 

D’abord, écrit-il, l’heure de départ fixé à minuit. Cela a eu un impact sur la préparation réglée au quart de tour de ces élites qui devaient planifier leurs repas et modifier leurs rythmes circadiens.

 

Selon le marcheur canadien, le parcours en boucle de sept kilomètres n’était pas une bonne idée puisqu’il est beaucoup plus facile d’abandonner lorsque vous terminez une boucle et que vos entraîneurs ou une équipe médicale sont là. Sur un long parcours où l’athlète est plus isolé, il a tendance à s’accrocher d’avantage.Andrey Petrov, épuisé

 

Bien sûr, il est d’accord pour dire que la chaleur accroit les risques, mais seulement si la préparation est déficiente. Il vante le travail des organisateurs de ces Mondiaux qui, selon lui, étaient prêts. Des tables de ravitaillements supplémentaires avaient été installées, des bains de glaces étaient disponibles avant les départs et les intervenants médicaux étaient considérables.

 

Dunfee explique que les médias ont rapporté de nombreux coups de chaleurs à Doha alors que c’est faux. Un seul athlète a été mené à l’hôpital et il allait mieux peu de temps après. Il ne faut pas, selon lui,  confondre un évanouissement de fatigue avec un coup de chaleur, beaucoup plus dangereux.

 

Il ajoute que les athlètes ayant abandonné auraient dû prendre une part du blâme. L’humidité, et non la chaleur, était la difficulté principale à affronter. Plus elle est élevée, plus la température corporelle grimpe, ce qui lance le signal au cerveau que le corps est plus chaud qu’il ne l’est en réalité. La manière simple de pallier cette sensation est de constamment refroidir la peau avec des serviettes froides ou des sacs de glace. Il dit que plusieurs de ceux qu’il a vu abandonner ne l’avaient pas fait.

 

Le champion canadien de marche estime que les scientifiques n’ont pas assez eu l’occasion de prendre la parole et que le CIO, en déplaçant le marathon et la marche à Sapporo, ne récompensait pas les athlètes sérieux qui savaient comment bien se préparer.

                                                                                                                                    

Le CIO veut-il simplement faire attention à son image? Si c’est le cas, Dunfee demande pourquoi d’autres épreuves de longues haleines comme le triathlon ou le vélo n’étaient pas également reprogrammées dans le nord du pays. Thomas Bach

 

Il croit que la bande de Thomas Bach fait payer les coureurs et marcheurs pour protéger l’image olympique et éviter toute presse négative. Pour éviter de revoir des images d’athlètes épuisés qui s’effondrent comme à Doha.

 

Dunfee termine en publiant une liste des températures au départ des compétitions de marche et de course des Jeux olympiques et Championnats du monde des dix dernières années. Dans bien des cas, la température et l’humidité étaient élevées et un grand nombre d’athlètes  avaient abandonné. Et pourtant, le CIO n’avait jamais réagi. 

 

Il se demande pourquoi la plus haute instance olympique le fait maintenant. Pourquoi cette décision qui l’empêche lui et des centaines d’autres de vivre leur rêve olympique dans la ville hôtesse.

 

Dunfee donne un peu l’impression d’être le David de la légende qui affrontait Goliath. Il est cependant fort peu probable qu’il gagne sa bataille contre le CIO. Mais à une époque où les dirigeants du CIO prennent des décisions sans consultations, il est rassurant de voir que certains athlètes se tiennent debout et se font entendre.