Les défis d'un homme en mission
Triathlon dimanche, 19 oct. 2014. 11:29 jeudi, 12 déc. 2024. 23:48Pierre Lavoie n’a besoin d’aucune présentation. Ses réalisations parlent d’elles-mêmes. Il a, entre autres, complété 31 Ironman, des marathons et de nombreuses compétitions de ski de fond. Il est également reconnu pour la création en 1999 du Grand défi qui porte son nom et qui a pour but d’encourager les jeunes de 6 à 12 ans à adopter une vie saine et active. Le triathlète de 50 ans a sillonné à de nombreuses reprises le Québec pour parler de sa passion pour l’activité physique et de la mission qu’il s’est fixée pour mieux faire connaître la maladie qui a tragiquement emporté deux de ses enfants, l’acidose lactique.
La Fondation Pierre-Lavoie donnera plus de 2,3 millions de dollars à 350 projets de différentes écoles du Québec cette année. Malgré sa notoriété, Pierre Lavoie demeure humble. Il n’est pas du genre à se vanter de ses exploits. Les causes qu’il défend sont, à ses yeux, beaucoup plus importantes. Si ses réalisations sportives et sociétales sont bien connues, il en est autrement de son mode de vie. Comment fait-il, malgré un horaire extrêmement chargé, pour performer de la sorte au triathlon? J’ai eu la chance d’en discuter avec lui.
FP : Pierre, à quel moment as-tu commencé à te mettre en forme?
PL : Je viens d’un petit village, L’Anse Saint-Jean, où je jouais au hockey comme tous les enfants lorsque j’étais jeune. C’est lorsque j’ai déménagé à La Baie en 1976, à l’âge de 13 ans, que j’ai changé. Je me souviens que je fumais. Je l’ai fait pendant sept ans sans pratiquer aucun sport. C’était comme ça à l’époque. Ce n’était pas dans les valeurs familiales de promouvoir le sport. Mon père et ma mère n’étaient pas des sportifs mais ils travaillaient fort physiquement. Mon père était bûcheron tout comme mon grand-père et mon frère. À l’époque on les considérait comme des athlètes puisqu’ils étaient des bûcherons! D’ailleurs mon grand-père a encore tous les records des bûcherons de la compagnie Price. C’était un homme fort et habile à la sciotte!
Dans les années 70, la course à pied était un sport marginal. Lorsqu’on voyait un joggeur, on l’appelait le fou en pyjama! Ma rencontre avec ma future femme, Lyne Routier , et sa famille sera déterminante. Elle était une sportive et personne ne fumait chez elle. Tout cela m’a donné la piqure de la course à pied. Le vélo et la natation ont suivi peu de temps après. C’est également dans ces années-là que j’ai pu gouter pour la première fois à mon sport préféré, le ski de fond. Contrairement à ce que bien des gens croient, mon sport favori n’est pas la course à pied, le vélo ou la natation mais bien le ski de fond! J’ai hâte de voir tomber la neige pour sortir mes skis au début du mois de décembre! Mon deuxième sport favori est de courir en forêt. Le troisième, nager dans un lac le soir quand le vent est tombé et que le soleil se couche. C’est magique!
FP : J’étais loin de me douter que le ski de fond était ton sport préféré!
PL : Je trouve que c’est un sport qui me permet de guérir mes blessures. Courir, lorsqu’on fait de la compétition et qu’on s’entraîne pour gagner nous force à pousser notre corps à la limite et cela entraîne inévitablement l’apparition de blessures. La meilleure façon pour moi de gérer mes blessures c’est de tout arrêter en hiver et de ne faire que du ski de fond de décembre à mars. J’ai fait cela toute ma vie. Je ne cours plus, ne nage plus et ne roule plus. Je skie! En plus de soigner mes blessures, je deviens en meilleure forme car c’est en ski de fond qu’on retrouve le meilleur entrainement VO2Max. Les fondeurs développent une capacité pulmonaire et physiologique à résister à l’effort qui fait en sorte que lorsque j’arrive au printemps, je n’ai besoin que de quelques semaines d’entraînement de triathlon pour me classer parmi les meilleurs au monde à un Ironman.
FP : As-tu déjà participé à des compétitions de ski de fond?
PL : J’ai déjà fait de la compétition dans ma région. Il existe un circuit bien organisé d’une quinzaine de courses par chez-nous avec de belles rivalités. J’ai souvent fait la course internationale de Keskinada mais jamais en tant que membre de l’équipe nationale car cela impliquait trop de sacrifices de ma part. Tu sais, j’ai commencé tardivement à m’exprimer sérieusement avec de bons résultats dans le sport. J’avais 28 ou 29 ans.
FP : Qu’est-ce que t’apporte l’activité physique?
PL : Le sport me procure du bien-être et une période de réflexion. C’est là que je trouve mes idées, mon énergie, mon dynamisme et ma volonté de vouloir foncer. C’est facile de se lever le matin et de déclarer qu’on s’en va à la guerre, mais les gens qui ne sont pas en forme se sentent rapidement fatigués et découragés. Être en forme, c’est être prêt à aller à la guerre à chaque jour et pendant toute la journée. C’est un incroyable sentiment de bien-être et les gens qui ne vivent pas ce que ça représente d’être en forme ratent quelque chose d’important. Le corps est une machine d’efficacité et ce qui la rend inefficace, c’est notre sédentarité physique et psychologique. Il est tout autant important de s’entraîner physiquement que de lire et se creuser la tête. C’est la meilleure façon de vivre vieux en ayant une vie remplie et pleine de plaisir. La course à pied m’a beaucoup appris sur le corps humain, sur ses capacités et ses faiblesses. J’ai compris qu’on doit s’occuper de notre corps et qu’il est capable de livrer beaucoup plus qu’on ne le croit. Il suffit de lui permettre de s’adapter. C’est la raison pour laquelle on voit tellement d’entraînements par intervalles de nos jours. Pendant quelques minutes, on pousse notre corps à courir plus vite jusqu’à l’inconfort. Il réagit en se renforçant. Et lorsque tu retournes courir, tu réalises qu’il a réagi positivement à ce qu’on vient de lui faire.
FP : Tu fais beaucoup de course à pied. T’es-tu déjà blessé?
PL : Il y a plusieurs mythes autour de la course à pied, entre autres avec les blessures. Mais si on porte de bonnes chaussures et qu’on fait attention à notre posture, on réduit de beaucoup le risque de blessures. Moi j’ai la chance d’arrêter l’entraînement des trois sports du triathlon pendant l’hiver. Lorsque je recommence à courir, je revis le plaisir de laisser mon corps s’adapter tranquillement. Si je recommence trop vite, je me blesse. Et c’est encore plus vrai lorsqu’on vieillit car la récupération est plus lente. C’est ce que je découvre présentement à 50 ans.
FP : As-tu un entraîneur?
PL : J’ai toujours eu un entraîneur lorsque je participais à des compétitions importantes de triathlon à travers le monde. Cependant, au cours des dernières années, je me suis entraîné seul. J’aurais été incapable de suivre les recommandations d’un entraîneur en raison de mon horaire de fou. Je savais que j’avais 15 heures à faire dans une semaine et je m’arrangeais avec ça! Mais depuis deux ans, c’est Pierre Svarman qui m’entraine. Il est très connu dans le milieu et il est excellent car il fabrique de bons plans et se déplace souvent aux compétitions des athlètes qu’il conseille. Il a autant de plaisir ou de rigueur à coacher des athlètes de haut niveau que des gens ordinaires.
FP : Comment fais-tu pour concilier ton entrainement avec ta charge de travail?
PL : Ça prend de l’organisation! Les athlètes ont cette capacité à organiser leur horaire. Des gens me disent souvent qu’ils n’ont pas de temps dans une journée pour s’entrainer ou se mettre en forme. Je leur demande alors de me montrer leur horaire et leur fait réaliser qu’il y a plusieurs moments où c’est possible de le faire. Plutôt que de s’assoir une heure entière pour dîner ou de se reposer et de relaxer après le souper il est possible de bouger. Pour un athlète comme moi, chaque minute est calculée. Il n’y a jamais de période creuse. Je me lève, je lis la Presse et je sors. J’ai calculé que depuis cinq ans, je roule 100 000 kilomètres par année au volant de ma voiture. Malgré tout je réussi à trouver le temps de m’entraîner pour des triathlons Ironman grâce à l’organisation. Je me lève tôt et maximise mes journées. Les conditions climatiques ne me freinent pas puisque je dois utiliser la moindre minute pour m’entraîner. Je peux, par exemple, faire du vélo sous la pluie ou en pleine noirceur. Je suis un gars discipliné et si jamais j’ai trop de boulot, je m’emploie à mettre en application ma recette gagnante, soit de m’entraîner au moins six heures par semaine. Je considère que c’est un bel équilibre si cela est jumelé à une bonne alimentation et à de bonnes heures de sommeil.
Habituellement, je m’entraîne deux ou trois heures en semaine et profite des fins de semaine pour en faire un peu plus. Bien sûr, lorsque j’ai besoin de m’entraîner pour une course importante, je vais augmenter le nombre d’heures. Et puisque mon corps est habitué à de l’entraînement intensif, il retrouve rapidement ses repaires lorsque j’augmente la durée des entraînements. La clé ensuite, c’est de m’arranger pour atteindre mon « peak » de performance juste au bon moment. Pour atteindre ce « peak », je dois prendre du poids pour emmagasiner de l’énergie et du gras de façon à être capable de passer dans mes périodes de fort volume d’entraînement. Par la suite, je travaille sur ma vitesse et me voici à mon « peak » peu de temps après, une courte période qui dure environs trois semaines.
FP : Tu as pris part à 31 Ironman et de nombreux marathons. De quelle compétition gardes-tu le plus beau souvenir?
PL : J’en ai trois qui me viennent en tête. Mais je me souviens du Ironman à Lake Placid en 2001. Je n’avais pas de jambes à vélo et j’étais très loin de la tête lorsque j’ai amorcé mon marathon à la fin. Le parcours de course était difficile et après un 180 kilomètres de vélo où j’avais forcé comme un fou pour garder le rythme, j’ai réussi à courir mon marathon en 2h56! J’étais très fier car celui qui avait gagné avait fait seulement trois secondes de moins que moi sur la distance. C’est très valorisant de courir sous les trois heures dans un Ironman, il n’y pas beaucoup de Québécois qui l’ont fait je crois.
FP : Tu as 50 ans. Te vois-tu t’entraîner à un haut niveau pour encore de nombreuses années?
PL : Certainement! C’est une question de tempérament. Je connais des gens qui sont âgés de 60, 70 et 80 ans qui poussent encore la machine. Des gars comme Pierre Harvey, Michel Leblanc, Jocelyn Vézina et Gaetan Beaulieu sont devant moi et ils ne ralentissent pas. Ce sont des modèles pour moi. Ce sont des athlètes qui ont performé à l’époque et qui le font encore. Ça me rassure de savoir que dans dix ans, je pourrai faire comme eux. Ils me prouvent que le corps, contrairement à ce qu’on peut penser, est capable d’être compétitif longtemps si tu t’en occupe bien. J’ai 50 ans et je vais aussi vite que lorsque j’en avais trente. Il est temps de repousser les paramètres de retraite d’un athlète. C’est un message fort pour la société, celui d’être actif et de prendre soin de sa santé pour augmenter sa qualité de vie de plusieurs années. Notre système de santé est en train d’exploser en raison de tous ceux qui entrent à l’hôpital à 64 ans! C’est beaucoup trop tôt. L’espérance de vie des québécois est de 81 ans mais la moyenne de la vie active demeure à 64 ans. C’est long vivre 17 ans sans rien faire. Tout cela coûte très cher à la société. On doit absolument remonter la moyenne de cette espérance de qualité de vie.
FP : De quelle façon le sport a-t-il changé ta vie?
PL : De plusieurs façons. Entre autres, en me permettant d’aider à trouver le gêne de l’acydose lactique en faisant des randonnées de vélo pour intéresser les chercheurs. Aujourd’hui, le Grand Défi Pierre Lavoie est bien implanté et j’en suis fier. On peut faire du sport pour soi-même. Mais lorsque tu deviens une personnalité, tu as le devoir de t’impliquer et de redonner. Les athlètes ont une grande responsabilité vis-à-vis des problèmes de notre société. Celle de faire comprendre que la sédentarité est mauvaise. Nous devons tous être des ambassadeurs pour promouvoir la bonne forme. Le sport inculque des valeurs qui, lorsqu’elles sont appliquées dans le travail ou dans la vie de tous les jours, nous permettent de performer. L’activité physique, c’est beaucoup plus que de courir sur le bord de la route!
FP : Quelles seront tes prochaines compétitions?
PL : J’avais deux marathons de prévus, mais une blessure (déchirure du soléaire) m’a obligé à cesser mon entrainement. Je suis donc en période de guérison. Heureusement, le ski de fond va commencer. Je suis le président d’honneur de la Gatineau Loppet à la mi-février. C’est la plus importante course de ski de fond au Canada avec 3 000 fondeurs. C’est mon sport préféré et je veux bien faire en terminant parmi les premiers. Je serai également au tour de Mont Valin le 15 mars pour la finale provinciale chez les maîtres. Je n’ai jamais raté cette course depuis 1990. Le 31 mai 2015, je serai en Caroline du Nord pour tenter de me qualifier pour le championnat du monde du demi-Ironman qui sera présenté en Autriche trois mois plus tard. C’est une distance sur laquelle je préfère me concentrer en raison de mon horaire de fou. Puis, à la mi-juin, ce sera le départ du Grand défi Pierre-Lavoie. Et je travaille sur un projet majeur de course à pied ou de vélo pour l’automne à Montréal. Malheureusement, je ne peux pas encore en parler.