« J’ai songé à arrêter. »

 

La saison dernière, les sœurs Justine et Chloé Dufour-Lapointe n’avaient ni la tête ni le cœur au ski acrobatique. La flamme s’était éteinte, ou presque. Mais elles ont continué. C’est ce qu’elles devaient faire, du moins elles tentaient de s’en convaincre. Maintenant, elles savent : elles veulent skier. Elles veulent gagner. Retrouver cette motivation n’a pas été si simple.

 

À l’hiver 2017, leur mère a reçu le diagnostic que tous redoutent : cancer des poumons, stade 4. Personne n’avait vu venir le coup. C’est arrivé soudainement.

 

Pendant un an, les sœurs Maxime, Chloé et Justine ont continué leur carrière de skieuse, sans dévoiler publiquement le mal qui les affligeait. Les entraîneurs savaient. Ceux qui devaient savoir savaient.

 

Un an plus tard, en janvier 2018, le temps était venu de l’annoncer. Ce serait une sorte de libération, surtout que leur mère allait bien et que les Jeux de PyeongChang approchaient. La famille craignait toutefois la réaction du public, des partisans. Rien n’en fut. Les sœurs, et la famille, ont reçu un support incomparable. Elles étaient alors confortées dans leur décision. C’était la bonne chose à faire.

 

Vous connaissez la suite. Justine et Chloé se qualifient pour les Jeux. Maxime n’y parvient pas, mais elle y assiste comme spectatrice. Justine, en puisant au fond d’elle-même, récolte la médaille d’argent. Une victoire. Chloé termine 17e. Elle fond en larmes. Elle est vidée. « Ça n'a pas été facile après les Jeux de 2018 », raconte Chloé. « Ça n'a pas été du tout ce que je voulais faire comme performance, mais j'ai fait ce que j'ai pu.  J'ai manqué de force, j'ai manqué d'énergie. J'ai donné tout ce que je pouvais, mais la tête n'était pas toute là. Ça m'a pris du temps à me rebâtir et à me créer une flamme », ajoute-t-elle avec émotion.

 

L’entretien se déroule dans un café de la rue St-Denis, quelques heures après le lancement de ligne de vêtements Tissées Serrées, début novembre. La discussion est authentique. Justine regarde sa sœur Chloé faire cette confidence. On la sent envahie par l’émotion. Elle l’admet. « Tu me refais penser à tout le cheminement qu'on a eu », avoue-t-elle, alors qu’elle ne peut retenir ses larmes. « Après avoir vu ma mère continuer à vouloir se battre, à vouloir vivre et quand elle me regarde, je n'ai pas envie d'arrêter de skier parce que je me dis : Non, Justine, tu ne serais pas la fille de ta mère. Ta mère ne serait pas fière de toi », confie-t-elle, étreinte par l’émotion.

 

Elles ont songé à arrêter leur carrière, ce que Maxime avait fait au printemps 2018. « J'y ai pensé, mais autant mon coeur n'était plus là, autant ma passion du sport était toujours présente », admet Chloé. « Tu te mets à penser : est-ce que je prends le côté facile d'arrêter? J'ai décidé que non, parce que dans la vie je me bats, comme ma mère se bat. »

 

Justine abonde dans le même sens, « c'est clair, oui, j'y ai pensé. Je me sentais tellement épuisée. J'étais tellement épuisée d'être forte et d'être solide pour tout le monde. » Et d’ajouter du même souffle et avec conviction, « maintenant, je l'ai retrouvée cette force de vouloir me battre. J’ai pris le recul nécessaire pour me dire, oui la maladie fait partie de nos vies, mais c'est ce que tu vas en faire du restant de ta vie ­­[qui compte]. »

 

Maxime, la grande sœur, n’a pas été confrontée au dilemme de continuer à skier. Elle avait déjà prise cette décision, le temps était venu. Son défi n’était pas pour autant plus simple, au contraire. Elle devait s’adapter à un tout nouveau mode de vie, celui d’étudiante en médecine, tout en apprenant à vivre avec la maladie de sa mère. Et elle aussi fait le même constat, « c'est maintenant que ça se passe. C'est maintenant que ma mère est en santé. C'est maintenant que je peux passer des beaux moments avec elle. C'est hors de question que j'en laisse passer un. »

 

« Allez au bout de vos rêves »

 

C’est le message que leur mère leur a lancé. Et qu’elle-même applique. Allez au bout de ses rêves. C’est maintenant que ça se passe, disait Maxime. Ils en ont discuté longuement, et plusieurs fois. Ils, parce que le papa est là, on l’oublie, mais il est bien présent. Il est la force tranquille.

 

Ils ont donc discuté, pour accepter, pour retrouver la flamme et pour trouver un équilibre. « On a dû s'adapter à la maladie. Notre équilibre, ç’a été d'avoir des moments, plus précieux, qu'on veut prendre et ne pas se sentir coupable. »

 

Le sentiment de culpabilité vient facilement chez les athlètes de haut niveau; ils pourraient toujours en faire plus. Ce qui fait dire à Justine que « ça prend beaucoup de courage pour prendre la décision de prendre une pause. De dire non, je ne vais pas aller m'entraîner aujourd'hui parce que j'ai envie d’être avec ma mère. »

 

Depuis la saison dernière, Justine et Chloé ont décidé de couper une journée d’entraînement par semaine. Au lieu de 6, c’est maintenant 5.  
 

« Est-ce que je suis devenue moins forte? » questionne Justine. « Non. Est-ce que je suis plus en santé et plus heureuse? Oui. Il faut prendre ce genre de décisions. Mais quand je suis au gym et quand je vais être en ski watch out!, l'intensité va être là », prévient la plus jeune des sœurs.

 

Les performances dans tout ça? Les podiums? Les Globes? Les Jeux de 2022? Y pensent-elles? Oui, ça demeure des objectifs. Mais la priorité n’est pas là. « Un moment donné, il faut vivre », mentionne Justine. « Oui je veux voir les Jeux dans ma soupe et y penser tous les jours, mais est-ce que c'est ça vivre? Vivre, c'est d'être, à tous les jours, à 100% dans tout ce que tu fais. »

 

C’est l’équilibre qu’elles ont trouvé. Profiter de chaque moment, que ce soit en ski ou en famille.

 

La saison approche. La première Coupe du monde aura lieu à Ruka, en Finlande, le 7 décembre. Cette année, Justine et Chloé ont hâte, on le sent. La flamme est rallumée. « On y va avec un plus grand sourire que la saison dernière », avoue Chloé. « Je voyais la vie en orange l'an passé, au lieu de la voir en rose. Aujourd'hui, je suis capable de la voir plus belle, plus positive, moins triste. Ce vouloir de compétition a toujours été là, mais ce n’était plus la priorité », ajoute-t-elle, avec détermination. « Dans les prochaines semaines, je veux que mes expériences de Coupe du monde soient ma priorité. »

 

Et cette année, elles quitteront vers l’Europe sans ce sentiment de culpabilité de quitter la famille. « C’est certain qu’on y a pensé, qu’on s’est posé toutes ces questions, comme je me suis dit : je ne peux pas croire que ma mère ne verra pas mes enfants », déclare Chloé, avec sa franchise désarmante. « Tu te dis : est-ce que je continue ou je vais ailleurs? C'est rough. Je me suis posé ces questions et la réponse est que je ne le sais pas, ma mère non plus. Mais, aujourd’hui, qu’est-ce qui me rend le plus heureuse? Skier. C’est pourquoi je te dis, je vais y aller une année à la fois. On va y aller au feeling » conclut-elle, alors que l’émotion gagne tous ceux présents.

 

Après un tel entretien, authentique et sincère, on retient que « Tissées serrées » c’est bien plus qu’une marque de vêtements. C’est une famille. La famille Dufour-Lapointe.