Le 22 septembre 2019, Patrick Neely, un jeune homme de 24 ans, est décédé au marathon de Montréal. Selon Urgences Santé, le service a reçu un appel à 9 h 55 pour un homme en arrêt cardiorespiratoire à quelques kilomètres de la ligne d'arrivée de l'épreuve du demi-marathon et les ambulanciers sont intervenus dans les sept minutes qui ont suivi. Par contre, des témoins de l’évènement indiquent que les secours ont tardé à venir, certains alléguant un délai d’environ 25 minutes avant que les ambulanciers arrivent sur place; d’autres reprochant aux policiers d’avoir été passifs face à la situation.

Remarquons que le départ du marathon était initialement prévu à 7 h 10, mais qu’il a été retardé de 50 minutes. Au matin de l’événement, l’organisateur du marathon de Montréal avait publié sur Facebook que « la sécurité du parcours n'était pas assurée à l'heure prévue du départ » alors que son producteur et directeur, Dominique Piché, avait déclaré être responsable de ce retard en raison d’un manque d’effectifs pour sécuriser le parcours. Il est à noter que Monsieur Piché a démissionné de ses fonctions le 25 septembre 2019.

Cet incident suscite d’importantes questions quant au délai d'intervention des services d’urgence à la suite du décès de Monsieur Neely. Le soutien médical était-il bien préparé? A-t-il agi dans un délai raisonnable? L’organisateur du marathon de Montréal avait-il aménagé le site de compétition de façon suffisamment sécuritaire? Afin de faire la lumière sur les circonstances du décès de Monsieur Neely, le bureau du coroner a ouvert une enquête.

Responsabilité civile et validité des décharges signées par les coureurs

Dans le cadre du marathon de Montréal, les coureurs devaient signer une décharge de responsabilité en cas de blessure, d’accident ou de décès, par laquelle ils reconnaissaient aussi être médicalement et physiquement aptes à participer aux épreuves. D’ailleurs, plusieurs organisateurs d’évènements sportifs exigent que leurs participants signent ce type de décharge. Or, l’article 1474 du Code civil du Québec ne permet normalement pas des limitations de responsabilité pour les préjudices moraux et corporels. En cas de dommage matériel, il sera essentiel d’établir que le dommage est la conséquence d’une faute lourde ou intentionnelle. Par conséquent, la signature d’une telle décharge par les participants n’a pas pour effet d’exclure automatiquement les obligations de l’organisateur envers eux.

Quelle est l’étendue des obligations de l’organisateur du marathon de Montréal face aux coureurs?

 

Même si un participant subit des préjudices suivant un accident, encore faut-il démontrer l’existence d’une faute et d’un lien de causalité pour établir la responsabilité de l’organisateur du marathon de Montréal. Spécifions que sa responsabilité ne peut être encourue que s’il est possible de prouver qu’il a manqué à ses obligations. Mais quelle est l’étendue de ses obligations face aux coureurs? Il existe des normes et règlements qui lui imposent de veiller à ce que les lieux où l’événement sportif est organisé soient raisonnablement sécuritaires. Par ailleurs, il a une obligation générale de prudence et de diligence dans l'information et la surveillance qu'il procure à ses participants afin de sauvegarder leur sécurité et leur santé. Cela lui commande notamment de prendre les précautions nécessaires pour prévenir les accidents, mais aussi d’anticiper les risques reliés à la pratique de son activité et prévoir les éventuels dangers de son parcours. Ceci étant, une activité exigeant un effort physique intense, comme un marathon, comporte des risques inhérents et ceux qui y participent librement acceptent ces risques. Or, une négligence quant aux normes de sécurité en place sur le parcours, eu égard à sa configuration et à sa présence d’effectifs, pourrait créer une situation qui devient étrangère aux risques qu’un coureur assume normalement.

 

Dans un autre ordre d’idées, l’organisateur a le devoir de porter une attention particulière aux participants plus vulnérables présents sur son parcours. À cet effet, il appert que Monsieur Neely souffrait d’une condition cardiaque, l'ayant même indiqué sur son dossard. En autorisant la participation d’individus présentant des conditions médicales particulières, l’organisateur doit adapter ses mesures de sécurité en conséquence et prendre les moyens raisonnables pour leur éviter des risques imprévisibles. Mais il n’a pas pour autant l’obligation de garantir un parcours exempt du moindre défaut ou de pallier toutes les éventualités pouvant survenir. Dans certains cas, la victime peut aussi assumer une part de responsabilité et contribuer elle-même à la réalisation de son préjudice. Par exemple, si un individu, qui participe à un marathon sans avoir la forme physique requise pour y prendre part ,est victime d’un accident, on pourrait lui reprocher d’avoir commis une faute d’appréciation en se prêtant à une activité qui lui est contre-indiquée. En revanche, il pourrait y avoir un partage des responsabilités si la victime parvenait à établir que l’organisateur avait été négligent en omettant de vérifier les aptitudes physiques de ses participants avant de leur permettre l’accès au marathon.

 

Enfin, il est essentiel que l’organisateur mette en place un plan d’intervention post-dommage et soit en mesure de bien gérer un accident. Si un accident survient, l’organisateur pourrait engager sa responsabilité s’il ne fournit pas des consignes de sécurité appropriées à la victime ou s’il n’a ni l’équipement ni les dispositifs requis pour lui venir en aide. De plus, l’organisateur est tenu à une obligation de porter secours, c’est-à-dire intervenir auprès de la victime sans avis ni délai et s’assurer que le personnel hospitalier soit sur place en temps utile. Si l’organisateur manque à cette obligation, il pourrait être responsable des dommages causés à la victime, et ce, même s’il n’a commis aucune faute dans le cadre de la blessure initiale.

 

Dans le cas de Monsieur Neely, il y a lieu de se demander si l’arrivée des ambulanciers a été retardée par une configuration inadéquate des lieux ou encore si le nombre de défibrillateurs était suffisant ou si une intervention réalisée plus rapidement et un personnel médical plus nombreux avaient pu sauver sa vie. Sur ces points, l’organisateur explique dans une déclaration officielle que le départ retardé du marathon n’avait pas de lien avec l’évènement, spécifiant que « le recrutement de personnel, la planification et la préparation liées au soutien médical pour l’événement sont en cours depuis près d’un an et toutes les ressources étaient en place de manière appropriée le jour de la course, dont plus de 50 défibrillateurs et plus de 80 professionnels de la santé sur le parcours, ainsi que 8 ambulances dédiées à l’événement ».

 

À la lumière de ce qui précède, nous constatons qu’un organisateur a, en principe, une obligation de moyens envers ses participants, soit de déployer tous les efforts nécessaires pour veiller à ce qu’une activité se déroule bien. Or, il n’est pas tenu de mettre ses participants à l’abri de tout risque d'accident.  

 

L’organisateur du marathon de Montréal pourrait-il être poursuivi ?

 

C’est possible. Monsieur Neely étant décédé, il ne peut naturellement pas intenter de recours lui-même. C’est sa famille qui pourrait instituer en son nom une action en responsabilité civile. Cependant, les dommages ne sont pas les mêmes pour la succession que pour la victime elle-même. Sa famille pourrait, entre autres, demander que lui soit attribuée une valeur pécuniaire pour indemniser la douleur vécue en raison de la perte d’un être cher. Une telle réclamation repose essentiellement sur l'âge et sur la perte de gains futurs de la personne décédée.

 

Actuellement, il n'y a pas de poursuites civiles instituées contre l’organisateur du marathon de Montréal, mais rien n'empêche qu'il puisse en faire l’objet éventuellement. Notons qu’advenant une poursuite, d’autres parties pourraient potentiellement être mises en cause, par exemple les autorités policières.

Les circonstances entourant l’incident sont encore à ce jour nébuleuses, mais une enquête est en cours pour y obtenir des explications. Il sera donc intéressant de suivre les développements dans cette affaire.