Après une longue et fructueuse carrière sur la scène internationale, la plongeuse Jennifer Abel est fin prête à entamer un nouveau chapitre de sa vie.

 

L'athlète âgée de 30 ans a annoncé mardi par l'entremise d'une lettre qu'elle avait plongé en compétition pour la dernière fois, elle qui a savouré l'expérience olympique à quatre reprises et qui est montée sur le podium à deux reprises, aux JO de Londres en 2012 avec Émilie Heymans, puis tout récemment à Tokyo 2020, avec Mélissa Citrini-Beaulieu.

 

Elle a également confié qu'elle se préparait désormais au rôle de mère, elle qui partage sa vie avec le boxeur David Lemieux depuis quelques années.

 

Reconnue notamment pour sa puissance phénoménale, Abel aura été l’une des rares plongeuses au monde à avoir su exécuter le « double vrille », un plongeon normalement réservé aux hommes.
 

En 2008, à 16 ans seulement, Jennifer Abel est devenue l’une des plus jeunes plongeuses canadiennes à représenter le pays aux Jeux olympiques.

 

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Lettre à la petite fille métisse qui voulait plonger


Par Jennifer Abel

 

Aujourd’hui tu annonces ta retraite. Mais avant que tu tournes définitivement cette page, j’ai des choses à te dire.

 

Avant toi, il y avait peu de filles métisse en plongeon. Peut-être parce qu’elles se sont fait dire comme toi que les filles noires, c’est en athlétisme ou en basketball qu’on les retrouve, et non à la piscine. Mais toi, ton rêve, c’était de plonger. Tu es bien tombée parce que ta mère t’as toujours dit que tu pouvais faire ce que tu voulais dans la vie. Et tu n’as pas écouté les esprits fermés.

 

Tu as toujours plongé pour le plaisir. Ton souhait n’était pas de te rendre aux Olympiques, loin de là. Tu voulais juste être dans l’eau, tout le temps. C’est peut-être aussi parce que c’est seulement à la piscine que ton identité était claire. Or, à un moment, il a fallu reconnaître que tu avais le potentiel pour te mesurer aux meilleures plongeuses du monde. C’est à 16 ans que tu connaîtras tes premiers Jeux olympiques. Ce sera plus grand que nature pour la jeune fille que tu es; les caméras, les spectateurs, la pression. Pour les 15 prochaines années, cette routine deviendra ton quotidien.

 

Tu enfileras les Coupe du monde, les Championnats du monde, les Séries mondiales et... les Jeux olympiques. Quatre Jeux olympiques au total pour être plus précise. Un jour, tu deviendras l’athlète la plus décorée du Canada aux Championnats du monde aquatique. Et tu remporteras 68 médailles aux Séries mondiales, en plus de deux médailles olympiques.

 

Tu connaîtras aussi l’envers de ces médailles. Des déceptions, tu en auras. Des remises en question aussi. Et tu partiras un jour à la quête de ta véritable identité à l’extérieur de la piscine. Ce sont tes deux quatrièmes places aux Jeux de Rio en 2016 qui te donneront l’envie de tout arrêter. Tu vas te demander qui est Jennifer si elle ne gagne pas de médaille? Ça va te prendre du temps avant de retomber en amour avec ton sport. Mais ce sera un point tournant dans ta vie. C’est dans l’adversité que tu apprendras à mieux te connaître… et à t’aimer davantage. Pas aimer l’athlète; juste apprécier la jeune femme.

 

Ton dernier cycle olympique sera le plus difficile de ta carrière. Surtout les deux années qui auront précédé les Jeux de Tokyo. La pandémie a été éprouvante, physiquement et mentalement. Tu te demanderas pourquoi tu te lèves, pourquoi tu t’entraînes et pourquoi tu te pousses à aller jusqu’au bout.

 

La réponse viendra lors de l’épreuve en synchro, lorsque tu remporteras la médaille d’argent avec ta partenaire Melissa. Cette médaille sera non seulement un baume sur deux années difficiles, elle viendra clore en beauté ta carrière internationale.

 

On va s’être parlé souvent toi et moi, seules dans notre chambre du village olympique à Tokyo. Je t’ai demandé de me tenir la main avant mon ultime événement individuel. J’avais peur. Je n’avais plus de repères, j’étais épuisée. C’est toi, la petite fille métisse qui voulait plonger qui m’a rappelé que le plus important c’était d’avoir du plaisir; de sourire. Que peu importe le résultat, je pourrais être fière de moi. 

 

Quand on est sorties de l’eau après notre dernier plongeon, on a tout de suite su que c’était la fin. La petite fille avait vécu sa passion jusqu’au bout et elle a passé le flambeau à l’autre Jennifer, pour qu’elle poursuive sa route.

 

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J’ai vécu des moments extraordinaires dans ma carrière. C’est maintenant le moment de débuter un nouveau chapitre. Les yeux pleins d’eau et le cœur léger, je voudrais remercier tous les gens qui m’ont permis de vivre une carrière aussi remplie : ma famille, mes entraîneurs, mes partenaires de plongeon, mon fiancé, ma belle-fille, mon agente, mes thérapeutes et ma nutritionniste.

 

Ma vie d’athlète m’a préparé pour ma vie d’adulte et maintenant, ma nouvelle vie de maman. Je sais aujourd’hui comment me pardonner après un échec, où aller puiser ma force face à l’adversité et avec quelle énergie on doit travailler pour réussir.