SARAJEVO - Le 18 mai 1978, pour la première fois de son histoire, la radio locale interrompt ses programmes : Sarajevo vient d'être désignée ville-hôte des Jeux olympiques d'hiver de 1984.

Nikola Bilic, l'envoyé spécial de Radio Sarajevo à Athènes, où était réuni le Comité international olympique (CIO), se souvient encore de son émotion.

« J'étais tellement enthousiaste que je n'ai pu prononcer qu'une seule phrase au téléphone », se remémore ce vétéran du journalisme bosnien.

Sarajevo, alors capitale de la République de Bosnie au sein de la fédération yougoslave, l'avait emporté, contre toute attente, sur ses rivales japonaise Sapporo et suédoise Göteborg.

« Très vite, Sarajevo était devenue un grand chantier. On retapait le stade, on construisait le palais des glaces, des pistes de ski, de bobsleigh et des tremplins en montagne. Et tout avait été achevé au bout de deux ans », raconte M. Bilic.

La guerre intercommunautaire (1992-1995), tellement invraisemblable seulement huit ans avant, a réduit à néant l'ensemble de ces infrastructures, dont la plupart se trouvaient sur la ligne du front.

Dix-huit ans après le conflit, on aperçoit le tracé d'une tranchée longeant la piste de bobsleigh sur le mont de Trebevic. Le serpent en béton armé, percé ici et là par des roquettes, repose dans une magnifique forêt de pinède.

« Un conte de fées »

Sur le mont Igman, deux tremplins où le Finlandais Matti Nykänen était devenu l'empereur du saut à skis, ressemblent à un gigantesque monument délabré.

Face à ces vestiges, difficile d'imaginer la ferveur d'une ville qui "était une seule âme".

« Tout le monde était heureux. Dans la rue, des inconnus s'attardaient pour échanger sur Olimpijada, chacun avait une idée sur comment faire », raconte Drago Bozja, l'un des responsables de l'organisation des J0-1984.

« Dans les autres républiques yougoslaves, on pensait qu'on ne serait pas capable d'organiser les Jeux. Nous aussi d'ailleurs. Lorsque le maire m'a convoqué chez lui pour me demander à rejoindre l'équipe d'organisation, je lui ai dit que je ne connaissais rien en ce sport. Il me répond "Moi, non plus, mais on apprendra" », raconte M. Bozja, à l'époque chef des services de secours en montagne.

À l'approche des JO, Sarajevo attend toujours la neige et la situation devient préoccupante.

« Lors de la cérémonie d'ouverture, au stade de Kosevo, toujours pas de neige. On avait couvert la pelouse avec de la toile blanche. Puis les premiers flocons se sont mis à tomber lorsque la patineuse artistique croate Sanda Dubravcic a commencé à gravir les marches pour allumer la flamme olympique. Un conte de fées », se souvient, mélancolique, Nikola Bilic.

Pour Ismet Huseinovic, un artisan du cuivre de la vieille ville ottomane, « Sarajevo n'a jamais eu avant et n'aura plus jamais un tel événement ».

Le très populaire Vucko

« Nous avions défendu l'honneur de Sarajevo, mais aussi de toute l'ex-Yougoslavie. On était tous ensemble, tous les peuples yougoslaves, et on voulait que ça soit un succès », dit M. Huseinovic, qui avait fabriqué pour l'occasion plus de 50 000 souvenirs, notamment à l'effigie du très populaire Vucko (Petit Loup), la mascotte des JO.

Les JO de Sarajevo avaient été « le dernier grand projet de la Yougoslavie fraternelle », estime le biathlète Tomislav Lopatic, qui y a participé.

« Tout le monde vivait pour ces jeux qui avaient été préparées et organisées avec le coeur. C'étaient des jeux de toutes les communautés yougoslaves", explique le quadruple champion de la Yougoslavie de biathlon.

"Pourtant, une année ou deux après, on commençait à se diriger vers la catastrophe", s'attriste ce Serbe de Pale, près de Sarajevo, fief des Serbes de Bosnie pendant la guerre, aujourd'hui entraîneur de la sélection nationale bosnienne de biathlon.

"Cette guerre a sapé mes ambitions au meilleur moment de ma carrière", déplore-t-il en regardant ses médailles, ses coupes et ses photos de sportif qu'il conserve dans le garage de sa maison.