Les gens naissent et meurent. Sauf peut-être pour les membres de leurs familles et les amis, la plupart le font dans un total anonymat.

Il y en a d'autres qui, comme Richard Garneau, partent en laissant derrière eux mille souvenirs et une image d'eux-mêmes qui marquera à jamais la profession qu'ils ont pratiquée et les gens qu'ils ont côtoyés. Si ce géant de la scène médiatique a eu droit à des obsèques nationales, c'est parce que sa vie et sa carrière ont touché les Québécois. Le long parcours sportif et olympique de celui qu'on surnommait «le Grand» aura été sans tache. Sans anicroche ni bavure. Ils sont si peu nombreux à pouvoir présenter une image d'une telle impeccabilité que Garneau a fait déplacer la première ministre du Québec à des funérailles imprégnées de sobriété, toutes en musique et en hommage touchants.

Pour la dernière fois, nos vies ont croisé celle de Richard dans une salle parfaitement appropriée pour un homme de sa stature culturelle, la Maison symphonique de Montréal. De là-haut, il a sans doute rougi à la vue de tous ces gens venus le saluer. Des gens qui, pris par surprise, n'ont pas eu le temps d'une dernière conversation avec lui ou d'un dernier verre de rouge en sa compagnie.

Alain Stanké, qui a édité les cinq livres publiés par le disparu, a résumé la pensée de beaucoup de gens en affirmant que si seulement on avait pu savoir qu'il partirait aussi brusquement, on aurait pris le temps de lui dire qu'on l'aimait. Et dans un geste marquant de cette cérémonie, il a demandé aux gens de se lever, de mettre la main sur le coeur et de dire «je t'aime» à l'unisson.

Quel endroit pour célébrer le départ d'une légende quand on y pense! La Maison symphonique est une salle de concert répondant aux normes internationales les plus élevées en matière d'acoustique. Durant la cérémonie, en fermant les yeux, on n'avait pas de mal à imaginer la voix mielleuse de Garneau s'il avait pu jouir d'un son aussi riche dans une telle enceinte.

Ils étaient sans doute nombreux à se remémorer leur dernière blague en sa compagnie, blague dont il était souvent l'auteur. Garneau aimait rire, raconter des histoires, mais plus important encore, il nous prêtait une oreille. Il s'intéressait aux gens. Félix Séguin, qui était probablement le plus jeune commentateur de RDS aux Jeux de Londres, a eu le plaisir de s'attabler à quelques occasions avec Richard durant les Jeux. C'était souvent le vieux commentateur qui posait les questions au plus jeune. Il s'intéressait à lui et à sa jeune carrière, à son cheminement et à ses objectifs de carrière. Félix n'en revient toujours pas.

La dernière fois qu'il a pu le saluer et le remercier de tant de générosité à son endroit, c'était à l'occasion de la soirée organisée pour souligner la fin des Jeux dans un hôtel de Londres. Un dernier soir à Londres après trois semaines astreignantes de compétitions.

Un hommage imprévu

Ce soir-là, Alain Crête, un gars relativement jeune et solide, a quitté la salle vers minuit, complètement claqué. Sans égard pour ses 82 ans, à deux heures du matin, Garneau était toujours présent dans ce party bruyant dont il était le fêtard le plus âgé. Il avait l'intention de participer aux prochains Jeux de Sotchi, mais comme on ne sait jamais ce que la vie nous réserve, il préférait continuer à vivre pleinement ceux qui venaient de prendre fin.

Mike Piperni, le producteur délégué à l'information à RDS, était à ses côtés quand Gord Miller, le commentateur de TSN, a pris le micro pour souligner les 14es Jeux olympiques de Brian Williams, l'une des têtes d'affiche de la télévision sportive anglophone au pays. Williams, qui a souvent affiché un préjugé très favorable à l'endroit des athlètes québécois, a pris la parole en précisant qu'il appréciait l'honneur qu'on lui faisait, mais qu'il y avait sur place un homme comptant 23 Olympiques à son riche palmarès. Mal à l'aise comme toujours durant l'ovation chaleureuse qu'on lui a accordée, Richard ne savait trop comment réagir quand Piperni lui a suggéré d'aller leur dire quelques mots, ce qu'il a fait dans les deux langues.

«Quand j'ai quitté les lieux vers deux heures trente, il était toujours là, rappelle le producteur. Quelques heures plus tard, au petit déjeuner, quelle ne fut pas ma surprise de le voir arriver. Il m'a demandé s'il pouvait s'asseoir. Tu parles, j'étais honoré qu'il le fasse. Il m'a raconté qu'il voulait être à Sotchi, mais qu'il ignorait si la SRC allait vouloir de ses services. Si sa santé le lui permettait, il voulait certainement y être.»

Il a eu tort de s'inquiéter puisqu'il a été le premier commentateur choisi par Radio-Canada en vue des prochains Jeux d'hiver. On lui a communiqué la nouvelle à la fin de novembre.

Pierre Houde, qui a passé plusieurs heures d'antenne en sa compagnie à Londres, n'oubliera pas ses derniers moments avec lui. Un vieux routier du métier, il en parle encore avec émotion. «À l'heure du départ, j'ai pris une limousine avec lui vers l'aéroport. Là-bas, j'ai procédé à l'enregistrement de ses bagages. À Dorval, nous nous sommes fait l'accolade en nous promettant de nous revoir. Malheureusement nous avons manqué de temps», raconte-t-il.

Houde dit pleurer le départ d'un demi-frère ou d'un demi-père. Durant ces Jeux, ils ont eu l'occasion de discuter de choses personnelles, de leur vie respective. «J'ai pu lui dire des choses qu'on ne raconte pas à son propre père, probablement par pudeur. Je le dis le plus sincèrement du monde, la vie m'a fait tout un cadeau en me permettait de passer un mois à ses côtés.», ajoute-t-il.

Une dernière conversation, une dernière blague

On ne peut évoquer tous ces derniers moments en compagnie de Richard Garneau sans penser à son inséparable ami des 40 dernières années, Serge Arsenault qui a été, avec Pierre Nadeau et François Godbout, au nombre de ses meilleurs amis.

Pour eux, ça s'est fait par téléphone. C'était le 26 ou le 27 décembre. «Demain, ne m'appelle pas à l'hôpital car je serai de retour à la maison», lui a annoncé Richard.

On allait lui accorder son congé parce que l'infection au coeur dont il était affligé était maintenant sous contrôle. Ne restait plus qu'à passer un scan avant sa sortie pour s'en assurer. Malheureusement, le scan a révélé que le diagnostic qui avait forcé son hospitalisation était erroné. On a découvert un anévrisme de l'aorte. L'opération qui a suivi a mal tourné. Il s'est retrouvé branché à un respirateur pendant plusieurs jours avant de rendre l'âme.

«Il avait demandé à ses médecins de lui faire retrouver la forme pour Sotchi et, pourquoi pas, pour les Jeux de Rio (en 2016). Richard n'avait pas de passé et de présent. Il regardait toujours vers l'avenir. Il avait toujours la tête pleine de projets», dit Arsenault.

Ils se parlaient pratiquement tous les jours. Vers 17 heures, le téléphone de l'un sonnait chez l'autre. Ils pouvaient se parler de tout et de rien, souvent durant plus d'une heure.

«L'expérience des Jeux au sein de l'équipe de RDS, en présence de jeunes très motivés, l'avait vraiment chaviré d'émotion, raconte son vieux chum. Il m'a dit que je ne pouvais pas savoir ce que cela avait représenté pour lui de vivre les Jeux avec ces gens-là. Richard, c'était l'humilité suprême. Il avait toujours l'impression qu'on lui accordait des privilèges.»

Leurs appels quotidiens étaient devenus des automatismes. Il y pense encore quand arrive 17 heures. «Je me sens comme quelqu'un qui cesse de fumer et qui a le réflexe de chercher une cigarette. Vers 17 heures, il me semble que mon corps penche vers le téléphone. C'est en effectuant ce geste automatique que je me rends compte à quel point il me manque.»

Et cette toute dernière conversation téléphonique de décembre, ça ressemblait à quoi? Le visage d'Arsenault s'illumine d'un grand rire. Ils jasaient parfois de choses sérieuses, mais il leur arrivait aussi de déconner. Il y avait des fous rires. Ça se terminait toujours par une boutade. Ce ne fut pas différent, cette fois-là.

En terminant l'appel, Arsenault lui a lancé: «Et puis, Richard, ta libido, comment ça va?»

«Serge, va chez l'diable», a rétorqué son ami hospitalisé.

«Après 40 ans d'amitié et mille heures de conversation, c'est la dernière chose qu'il m'ait dite», conclut Arsenault, l'oeil rieur.

Il n'a jamais travaillé

Qui mieux qu'un fils qui a vécu de près cette glorieuse carrière peut résumer le plus adéquatement ce qu'a été le grand-père, le père et le commentateur? Stéphane Garneau a déridé l'assistance en affirmant que son père a fait le tour du monde, mais qu'il n'a jamais vraiment travaillé.

«Pour lui, ce n'était pas du travail; c'était comme respirer. Que ce soit pour une compétition à Rivière-du-Loup ou une épreuve olympique à Londres, le plaisir était le même», a-t-il dit.

Il connaissait tellement tous les stades du monde et il avait une telle connaissance des athlètes qu'il pouvait décrire parfaitement une compétition à laquelle il n'avait pas assisté en s'inspirant uniquement des statistiques finales de l'événement. Il savait comment les choses s'étaient passées.

«C'est ainsi qu'il a pu développer une mémoire phénoménale, a-t-il expliqué. De nos jours, quand on est à la recherche d'une information, on se tourne vers Google. Moi, j'appelais mon père. Encore là, il n'avait pas à travailler très fort. Toutes les informations étaient logées dans sa tête.»

Il fallait entendre François Godbout raconter le rôle important que Garneau a joué grâce à son influence dans l'obtention des Jeux de Montréal en 1976 et l'admiration mutuelle qui existait entre l'ex-maire Jean Drapeau et lui. Ils avaient mis toutes leurs énergies et tout leur coeur dans cette cause.

Je laisse le dernier mot à Godbout: «Richard fut ce que nous voudrions être».

En effet, qui n'aimerait pas traverser une année entière sans se créer le moindre ennemi? Qui n'aimerait pas bénéficier d'un respect si fort qu'il laisserait les drapeaux en berne au moment de son départ?