MONTRÉAL - La carrière d'Éric Gagné sera à jamais teintée en raison du Rapport Mitchell, dans lequel son nom figure sur la liste des 89 joueurs identifiés par l'ex-sénateur américain comme ayant fait usage de produits dopants. Avec «Game Over : l'histoire d'Éric Gagné», écrit par le journaliste Martin Leclerc, Gagné ne cherche pas la rédemption, mais plutôt à se déculpabiliser.

Car s'il parle pour la première fois de son utilisation d'hormones de croissance humaines (HGH) — cinq fois, entre 2002 et 2004, pour accélérer la guérison de blessures —, Gagné révèle aussi l'immense culpabilité qui l'habite. Une culpabilité qui l'empêche d'apprécier ses exploits, que ce soit l'obtention du trophée Cy Young en 2002, ses 55 sauvetages en 2003 ou son incroyable séquence de 84 sauvetages consécutifs, qui s'étend sur trois saisons.

«Je ne sais pas pourquoi je me sens si coupable, c'est difficile à expliquer. Peut-être c'est parce que j'aime tant le baseball, a-t-il dit à la Taverne Gaspar, où avait lieu le lancement officiel, mardi. Je ne sens pas que j'ai triché, je trouve que c'est de valeur que j'aie menti aux autres joueurs en disant que j'ai toujours été 'clean'. C'est ce que j'essaie d'expliquer un peu dans le livre. Mais je ne sais pas pourquoi je me sens coupable. Je savais que ce n'était pas légal. Ça ne m'avait jamais été prescrit par mon médecin. Je savais que ça allait m'aider.

«Je sais ce que les autres ont fait, mais ce n'est pas une excuse pour ce que moi j'ai fait. Et ce n'est d'ailleurs pas pour ça que je l'ai fait: je l'ai fait pour me guérir. Mais je comprends la déception des partisans, qui peuvent regarder le sport professionnel aujourd'hui en se disant qu'on leur a menti.»

On sent que Gagné est toujours chatouillé par cette réputation de tricheur que lui a accolée le Rapport Mitchell, même s'il insiste pour dire que ce n'est pas pour améliorer ses performances qu'il a pris ces HGH. Une phrase du livre, que lui a dite son ex-conjointe Valérie Hervieux, résume bien sa pensée: «le talent ne s'injecte pas».

L'adage dit faute avouée à moitié pardonnée. Croit-il que ce livre l'aidera à savourer sa belle carrière?

«Ça va m'aider. C'est un processus, a-t-il admis. Prendre ta retraite cinq ans à l'avance, ce n'est pas facile, parce que la seule chose que j'ai faite dans la vie, c'est de jouer au baseball. Je sais à quel point j'aimais le baseball, tous les sacrifices que j'ai dû faire pour atteindre les Majeures, par quoi j'ai passé. C'est un peu ça que je tente d'expliquer aux gens. Oui, vous savez que j'ai fait des millions, que j'ai pris des produits dopants, mais il y a plus que ça.

«Il y a les maudits voyages en autobus, pas d'air climatisé en plein Arizona, les maigres salaires des mineures. Mais quand t'es jeunes, tu ne connais pas mieux et tu t'arranges avec ce que tu as. C'est le cheminement qui est plus intéressant que le résultat.

«Là, c'est certain que je suis content, j'ai vécu mon rêve. Mais mon rêve n'était pas de jouer dans les Majeures, c'est d'être heureux. Mon rêve change à chaque jour. Quand j'ai gagné le Cy Young, j'étais mélangé. Je ne savais plus où j'en étais. J'avais atteint le sommet et je n'avais pas pensé à ce que je ferais après. Il faut alors se fixer d'autres objectifs. C'est ce que j'ai fait alors et que je fais aujourd'hui.»

D'ailleurs, ce bouquin de 319 pages est tout sauf un livre sur le dopage. Leclerc, qui a couvert la carrière de Gagné depuis ses débuts à l'Académie Baseball-Canada, donne voix au lanceur de Mascouche, qui raconte son improbable épopée, du programme sport-études de l'école secondaire Édouard-Montpetit, à Montréal, jusqu'aux plus hauts sommets du Baseball majeur.

Leclerc et Gagné sont devenus amis au fil des ans, une relation marquée par l'honnêteté.

«J'étais très dur avec Éric quand je couvrais les activités de l'ABC, se rappelle Leclerc. Éric était un petit rebelle qui avait des problèmes à l'extérieur du terrain et je disais que s'il n'était pas plus sérieux, il allait gaspiller un beau talent. Éric était venu me voir — et ça, ça m'avait beaucoup impressionné — pour me dire que ce que j'écrivais sur lui était très dur, mais qu'il l'acceptait parce que c'était vrai. On est toujours restés en contact à partir de ce moment-là, même quand je couvrais la politique. Le jour où il a été rappelé dans les Majeures, en 1999, il m'a appelé avant d'appeler sa mère!»

La complicité que vivent les deux hommes se retrouve dans ce bouquin publié aux Éditions Hurtubise, dans lequel Gagné, maintenant âgé de 36 ans, se met à nu. Rien n'est caché aux lecteurs. Le lanceur s'attarde notamment sur son difficile passage à Boston, où il est rapidement devenu le bouc émissaire de la «Red Sox Nation», les ardents, mais parfois cruels partisans de l'équipe. Ce passage a été suivi d'une descente aux enfers que Gagné étale sans censure, jusqu'aux bons moments vécus avec les Capitales de Québec, où il a effectué ses derniers lancers officiels.