MONTRÉAL – On a connu le Éric Gagné version Game Over, alors que son arrivée au monticule sous Welcome to the Jungle était suffisante pour terrifier les frappeurs. Mais, au moment de quitter le Québec, en 1993, Gagné a eu besoin d’appui pour déployer ses ailes. 

À cette époque, le lanceur de 17 ans devait apprendre à sortir de sa zone de confort. Il représentait le Canada au Championnat mondial junior, à Windsor, et cet environnement anglophone semblait plus effrayant, à ses yeux, que n’importe quel frappeur de son âge. 

La vie a bien fait les choses puisque Ryan Dempster est devenu le coéquipier rassurant recherché. 

Ryan Dempster« J’ai eu beaucoup de bons coéquipiers, mais Ryan a été vraiment important pour moi. Peut-être qu’il ne le sait même pas, mais il a eu un gros impact », a entamé Gagné. 

« Je ne disais pratiquement rien en anglais quand je suis arrivé avec l’équipe canadienne. Ryan, c’est un clown! Il est toujours de bonne humeur, il fait des tours de magie. Il m’a aidé à m’intégrer, à faire un peu rire les autres en anglais et à ne pas être trop stressé. C’est le joueur qui m’a le plus influencé comme coéquipier », a vanté le Québécois de 46 ans. 

Quand on a voulu savoir pourquoi, selon lui, Dempster avait démontré toute cette ouverture à son endroit, Gagné s’est amusé à dire « qu’il devait trouver que je faisais pitié à parler en anglais comme ça ».

En évoquant ce chapitre de son parcours, Gagné revit une panoplie de bons souvenirs. 

« Quand t’es jeune, tu ne connais rien. T’as 17, 18 ans, tu t’amuses et, tout ce que tu veux, c’est être capable de trouver 5-10 piastres pour acheter une bière après la partie. C’était le bon vieux temps. Tu veux juste jouer au baseball et t’amuser », a convenu le droitier. 

Mais l’influence de Dempster a fait du chemin longtemps puisqu’elle a mieux préparé Gagné pour les relations humaines dans les Majeures. 

« Ça m’a permis de me sentir un petit peu plus à l’aise avec les anglophones et même les Dominicains. Dans le sens que, même si tu parles français, tu partages quelque chose en commun avec les autres », a noté Gagné. 

« Parce que veux, veux pas, quand tu arrives avec l’équipe canadienne et que tu ne parles pas anglais, les trois ou quatre Québécois vont aller dans leur petit coin et faire leurs affaires ensemble. C’est la même chose au niveau professionnel, ça fait des cliques. Ryan comprend le sentiment d’appartenance à une équipe. [...] Il rassemble les gens, il est toujours positif. Bref, c’est un bon ambassadeur pour le baseball », a souligné Gagné qui trouve très naturel de le voir désormais animer une balado (Off the Mound) dans laquelle il s’entretient avec des personnalités importantes du monde du baseball. 

Par une magnifique coïncidence, Gagné aura eu le privilège d’effectuer son premier départ dans les Majeures, le 7 septembre 1999, contre Dempster et les Marlins en Floride. D’ailleurs, Gagné avait frappé un coup sûr contre Dempster et les deux lanceurs n’avaient alloué aucun point mérité dans ce duel remporté 2-1 par les Marlins de Dempster. 

Sans les Expos, Gagné veut aider la relève

Le lien qui les unit s’est poursuivi en 2017 quand ils ont renoué avec l’action pour compléter le jeune personnel de lanceurs du Canada à la Classique mondiale de baseball. 

« On était les deux vieux, les deux grands-pères », rigole Gagné. 

« C’était le fun parce que je le voyais souvent pendant la période des camps d’entraînement, mais on n’avait jamais joué ensemble. C’était agréable d’aider les jeunes et de représenter le Canada », a ajouté celui qui a plusieurs amis en commun avec Dempster dont Justin Morneau. 

Gagné n’a pas un parcours sans tâche, mais c’est tout à son honneur de redonner à la relève. Il sait très bien ce qui peut mener des Québécois – comme Abraham Toro et Charles Leblanc - à se démarquer de la grande compétition au baseball professionnel. 

Éric Gagné et les joueurs de l'ABC« Quand tu es un joueur professionnel, c’est que tu es bon. La différence, pour avoir une bonne carrière ou même se rendre dans les Majeures, c'est d'avoir confiance en soi-même et être à l'aise dans son environnement », a indiqué Gagné qui a souvent accueilli des joueurs à son domicile pour leur prodiguer des conseils et s’entraîner avec eux. 

« C’est ce qui manque un peu dans la game aujourd’hui. On entend toujours parler de statistiques et de données, mais on s’attarde rarement sur l’esprit d’équipe et des choses qu’on ne peut pas calculer. On dit, de plus en plus, qu’on doit laisser les jeunes jouer et s’amuser, les laisser vivre des émotions et faire des niaiseries parfois. Ça aide à exprimer sa personnalité et s’épanouir », a-t-il poursuivi alors que Dempster lui avait donné les outils pour le faire.

Gagné a accepté de pousser l’entraide à un autre niveau en collaborant à un camp de 12 jours de près de 40 joueurs de l’ABC (Académie de baseball du Canada) en Arizona. 

« Je voulais qu’ils puissent se sentir comme des gars des Majeures. Comme ça, quand ils continueront de monter les échelons, ils ne seront pas trop perdus ou subjugués. Sinon, quand t’as peur ou que tu es intimidé, ton corps ne fonctionne pas aussi bien. Je veux leur montrer qu’on est ensemble là-dedans, on essaie tous de s’aider », a lancé l’ancien des Dodgers, des Rangers, des Red Sox et des Brewers. 

Les jeunes ont pu visiter la « Mecque du baseball » comme le dit Gagné, ils ont joué des matchs sur les plus beaux terrains d’entraînement et ils ont rencontré plusieurs personnalités dont Trevor Bauer et Jonny Gomes. Ah oui, ils ont également affronté des tirs de Gagné!

« On veut leur montrer par où on est passés, les erreurs qu’on a commises et essayer de les guider dans la bonne direction », a admis le droitier. 

Son objectif, c’est leur prouver que, comme Russell Martin, Phillippe Aumont, Abraham Toro et lui l'ont fait - et bientôt Charles Leblanc -, ils peuvent jouer dans une équipe des Majeures. 

« Les petits culs du Québec, je ne devrais peut-être pas dire ce mot, on n’est pas habitués de voir le monde à Los Angeles. On ne pense pas vraiment que c’est possible. Mais c’est le fun s’ils peuvent regarder Russell, Abraham, moi ou bien Charles. »

Le chemin demeure laborieux. Surtout dans les mineures où les jeunes doivent survivre avec des miettes et bien des sandwichs au beurre d’arachide. 

« On essaie de les préparer parce que ce ne sera pas facile. Ils vont rusher un peu et voyager partout sans voir leur famille. J’ai eu beaucoup de hauts et bas pendant ma carrière donc je veux redonner aux jeunes. On essaie d’avoir un impact positif », a ciblé Gagné.

Cela dit, durant son enfance, Gagné avait le privilège de regarder les Expos et de s’imaginer sur la butte du Stade olympique. 

« J’ai été chanceux, mais l’équipe est partie. Par contre, on a des joueurs qui sont de bons ambassadeurs. C’est notre job de les aider », a-t-il conclu avec un message qui accrochera quelques joueurs.