C'est moi sur la photo. J'ai l'air d'avoir 12 ans, mais j'en ai 20.

C'était le 14 juillet 2002. La veille, j'étais entré dans un Dollarama et j'en étais ressorti avec deux grandes feuilles de carton, un gros marqueur noir puis une bobine de ficelle. Vous voyez le résultat. Ça ne paraît peut-être pas, mais j'avais passé une bonne partie de la soirée là-dessus.

« Si tu mettais autant d'énergie à te chercher une job, t'en aurais probablement une... », m'avait rouspété mon coloc Guillaume, m'interrompant en pleine création en passant dans le salon.

Il avait raison. On venait de finir le cégep et plusieurs de mes compagnons d'études avaient déjà pris le virage professionnel avec le vent dans les voiles. Moi, ma carrière, à l'instar de celle de Peter Bergeron, tardait à prendre son envol.

Mais je m'en foutais. C'était mon premier été à Montréal et ma priorité, c'était les Expos. Je vivais à 15 minutes du Stade olympique, la vraie vie pouvait attendre.

J'ai grandi à 800 kilomètres de la station de métro Pie-IX, élevé par des parents qui aimaient autant la « grand-ville » que j'aimais les Braves d'Atlanta. Ça ne veut pas dire que j'ai hérité de mon amour du baseball du voisin. Seulement, j'ai fini par comprendre que je ne verrais pas de vraie « game » avant de pouvoir voler de mes propres ailes.

C'est mon chum Guillaume, le coloc, qui m'a finalement emmené pour la première fois au Stade. C'était le dimanche de Pâques, en 2001. On était à peine 8000 là-dedans. Du lot, je devais bien être le seul qui se disait qu'il n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Je n'aurais voulu être nulle part ailleurs.

On avait pris les billets les moins chers, derrière la clôture dans la gauche. Loin du marbre, mais très près des deux circuits frappés par Randy Knorr. Pour vous, c'est peut-être juste une marque de soupe en poudre. Pour moi, c'est un receveur réserviste qui avait bien choisi sa journée.

Les deux longues balles de Knorr avaient sifflé par-dessus la tête de Cliff FLoyd, qui patrouillait alors le champ gauche pour les Marlins de la Floride. Le même Cliff Floyd qui, un an plus tard, fraîchement échangé à Montréal, avait claqué l'un des trois circuits des Expos dans une même manche contre Tom Glavine. On était 17 000 pour cette victoire-là contre les Braves. C'était fou raide.

Cette année-là, l'année de la photo, j'ai dû assister à la moitié des matchs locaux des Expos. La 47 sur Masson, la 139 sur Pie-IX. Si l'autobus se faisait trop attendre, je partais à la course et le temps de le dire, j'étais sous le mât que je pouvais voir du balcon de mon appartement.

J'ai eu la chance de voir quelques parties d'un point de vue particulier, privilégié. En début de saison, un stage à la section sportive d'un quotidien montréalais m'avait permis d'intégrer pour la première fois la confrérie à laquelle j'aspirais à me greffer. Vêtu de ma plus belle chemise, je me pointais au Stade en milieu d'après-midi, à temps pour la tournée des vestiaires et la pratique au bâton, et j'apprenais en regardant aller les gars de beat.

Sur la galerie de presse, j'essayais de ne jamais me tenir bien loin de Serge Touchette, du Journal de Montréal. Les matchs plates n'existaient pas aux côtés de celui que ses confrères surnommaient "Touche", un vétéran de la profession qui m'avait épaté par ses connaissances encyclopédiques du sport, la justesse des angles avec lesquels il abordait les sujets du jour et le même sens de l'humour qui rendait chacun de ses papiers incontournables.

À l'époque où j'ai fait leur connaissance, M. Touchette et ses collègues de la Presse Canadienne, Richard Milo et Michel Lajeunesse, avaient pris en grippe un releveur aux aptitudes limitées du nom de Britt Reames, dont chaque gaffe était suivie des remontrances d'usage.

Un soir, le jeune droitier s'était amené sur la butte avec sa moyenne de points mérités de 5,51 pour éteindre un feu contre les Rockies du Colorado. Aussitôt, l'échec avait été envisagé sans trop de compromis sur la passerelle, mais Reames, cette fois, était parvenu à sortir son équipe du pétrin, domptant la menace avec un éclatant retrait sur des prises.

« Ouais, je l'ai toujours aimé, ce petit-là... », avait laissé tomber "Touche", pince-sans-rire, pendant que son bouc-émissaire retraitait fièrement vers l'abri.

C'est à Britt Reames, à "Touche", à mon costume d'homme-sandwich, à mon chum Guillaume, à Randy Knorr et à tant d'autres personnages et anecdotes que j'ai pensé hier soir quand j'ai pris place, non sans un bon frisson dans le dos, sur la galerie de presse du Stade olympique pour la première fois en douze ans.

Ce n'était pas comme avant, mais c'était mieux que rien. Pas mal mieux, même.

Et vous, à quoi avez-vous pensé le soir où le baseball majeur est revenu à Montréal?