MONTRÉAL - Tel un vieux cauchemar qui revient nous hanter à l’occasion, le 20e anniversaire du déclenchement de la grève de 1994 au baseball majeur ressasse de pénibles souvenirs pour les amateurs sportifs de Montréal, mais une lueur d’espoir pointe à l’horizon deux décennies plus tard.

Décrétée le 12 août, la grève ne laissait pas croire - même aux plus pessimistes - que la saison de rêve des Expos ne vivrait jamais sa conclusion, que les Séries mondiales seraient annulées pour la première fois depuis 1904 et que l’agonie de l’organisation ne pourrait plus être freinée.

Le fil des événements demeure bien connu alors que le bras de fer avec les dirigeants du baseball majeur s’est éternisé pour éviter l’instauration d’un plafond salarial redouté par les joueurs et le président de leur association, Donald Fehr.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cet interminable conflit de 233 jours qui a mené aux sacrifices de Marquis Grissom, Ken Hill, John Wetteland et Larry Walker, quatre pièces indispensables de la formation, lors de la vente de feu effectuée tôt en 1995.

À partir de cet instant, le domino de l’effondrement des Expos n’a jamais pu être stoppé poursuivant son lent déroulement jusqu’au déménagement de l’équipe après la saison 2004.

Étant l’un des visages du conflit, Fehr était parfois perçu comme l’un des responsables du coït interrompu par les fervents des Expos qui rêvaient déjà de la première conquête de la Série mondiale de leur histoire.

« Parfois, je ressens des regrets du fait que les Expos soient partis de Montréal. Mais si je devais me sentir responsable, ça voudrait dire que j’aurais pu faire quelque chose pour éviter cela sauf que ce n’était pas le cas. L’Association des joueurs n’aurait pas pu faire la différence dans ce dossier », a expliqué Fehr dans un entretien téléphonique exclusif avec le RDS.ca.

Donald FehrSelon ce qu’il précise, ce n’était pas en raison d’un manque de volonté, mais plutôt parce que leur mandat ne leur accordait pas de pouvoir à ce niveau.

« La loi américaine confère certains droits aux syndicats, mais ils sont très limités dans d’autres aspects. Je vais exagérer une situation au maximum, mais prenons l’exemple d’une épicerie dans laquelle les syndiqués veulent modifier les heures de travail et les salaires. Par contre, ils ne peuvent pas exiger le déplacement du magasin de quelques kilomètres, ça ne fonctionne pas ainsi », a-t-il simplifié.

Si les Expos n’ont pas su remonter la pente après l’arrêt de la saison 1994 et le démantèlement de leur noyau, certaines organisations ont revu leur jardin fleurir au fil du temps. Ainsi, Fehr refute du revers de la main les allégations selon lesquelles l’entente obtenue par son groupe a mené à la mort d’une équipe.

« Je ne souscris pas à cet énoncé. Le pacte que nous avons eu a permis aux A’s de rester à Oakland, aux Brewers de prospérer à Milwaukee et à d’autres plus petits marchés comme Pittsburgh de fonctionner. Même quand les Pirates ne gagnaient pas beaucoup, ils pouvaient dégager des profits », a riposté Fehr.

« C’est dommage à dire, mais je crois que la situation à Montréal était déjà rendue trop loin pour que nous puissions la réparer », a ajouté celui qui dirige maintenant l’Association des joueurs de la LNH.

Avec un tel verdict, il aurait été intéressant de découvrir si les Expos auraient pu sortir la tête de l’eau pour de bon si les propriétaires, dont Claude Brochu et Jacques Ménard, avaient trouvé les fonds nécessaires – ou décidé de les investir – pour retenir leurs vedettes en 1995.

La renaissance des Expos, Fehr y croit

Malgré ce constat sur ceux qui étaient surnommés « Nos Amours », Fehr se dit emballé par la possibilité de leur retour et il a évidemment eu vent des démarches entamées pour orchestrer leur renaissance.

Pedro Martinez« Je garde espoir que tôt ou tard, le baseball majeur procède à une expansion et qu’une occasion viable se présente pour Montréal de ravoir une équipe sauf que c’est hors de mon mandat », a déclaré Fehr sur un ton honnête.

« Je crois que ce serait une chose très excitante. J’aimais venir assister à des matchs à Montréal et j’adore encore y venir pour le hockey. C’est une ville merveilleuse et tous ceux qui la visitent pensent la même chose », a poursuivi celui qui a apprécié l’expérience des deux matchs préparatoires du printemps, une expérience qui semble vouloir se répéter.

Quand le sablier du sort des Expos a commencé à s’égrener, les Expos disposaient d’un étincelant dossier de 74-40 et d’une rare avance de 6 parties sur les Braves d’Atlanta au sommet de la division Est de la Ligue nationale.

Le tort causé par la grève, dans laquelle même le président américain Bill Clinton s’est impliqué, n’a jamais été réparé. Fehr ne veut toutefois pas franchir la ligne de lancer la pierre à ceux qui ont liquidé les munitions explosives qui étaient à la disposition de l’ingénieux gérant Felipe Alou.

« Le sort des Expos s’est joué avec leurs propriétaires et ceux des autres équipes avec les opportunités qui s’offraient à eux. Étant donné que je n’ai pas été dans leurs souliers et que je n’ai pas enduré la pression qui reposait sur eux, je ne vais pas remettre en doute leur décision. Par contre, ç’aurait été agréable que ça ne se termine pas ainsi », a convenu celui qui a obtenu le dernier mot dans la négociation.

Malgré l’intervalle de 20 ans depuis le conflit de 1994, Fehr n’a pas changé son « bâton » d’épaule par rapport à sa pertinence.

« Ça peut sembler étrange, mais je ne me sens pas différemment à propos de la grève que c’était le cas à l’époque ou après la résolution du conflit. Je dis cela parce que, selon les lois américaines, les joueurs avaient deux choix devant eux : aller en grève ou accepter l’implantation d’un draconien plafond salarial ce qui aurait été injuste et inapproprié pour le baseball à mon avis », a-t-il maintenu.

« C’était regrettable de devoir passer par un tel processus et on aurait aimé éviter cette option, mais c’est ainsi que la loi est bâtie. »

Cliff FloydCette conviction n’est pas partagée par tous les intervenants. Rick Sutcliffe, ancien joueur et analyste à ESPN dont la carrière a pris fin avec cette grève, a critiqué les motivations de l’Association des joueurs.

« La grève a mis fin à plusieurs carrières. J’ai vécu plusieurs conflits de travail avant celui de 1994 et nous avions toujours des choses à obtenir. Mais cette fois, les joueurs avaient tout ce qu’ils pouvaient espérer. Pour certaines raisons, l’Association des joueurs en voulait davantage, mais nous étions complètement dans l’erreur », a-t-il tranché.

Difficile de trancher sur l’épineux dossier, mais l’entente obtenue tient toujours la route et le climat d’opposition n’est plus réapparu à coup sûr comme c’était coutume auparavant.

« Le résultat demeure que les joueurs ont conservé un marché libre pour les salaires et les propriétaires ont accepté un partage considérable des revenus. Ce système a été légèrement modifié depuis, mais les fondations sont les mêmes. Le baseball a connu de grands succès et de belles prospérités inégalées à certains endroits », a relevé Fehr, qui se réjouit donc d’avoir maintenu sa position.

Comme le passé ne peut point être effacé, mais seulement corrigé, Warren Cromartie et ceux qui militent pour le retour des Expos ont visé juste avec leur approche.

*Avec la collaboration de Marc Griffin