J’arrive au stade tôt le matin du mercredi 29 septembre 2004. Les quelque 30 employés permanents des Expos ce matin-là (ils étaient plus de 130 en 1994) sont à préparer le dernier match de la saison à Montréal. Bien sûr, il y a les rumeurs du départ de l’équipe qui perdurent depuis plus de 3 ans, mais nous sommes des passionnés et tant que les Expos sont à Montréal, pourquoi ne pas croire à une solution qui arrivera de nulle part et sauvera l’équipe? Tout le personnel baseball est quelque part dans le stade à faire le bilan de tous les joueurs de l’organisation afin de préparer la saison prochaine. De toute façon, on nous avait dit tout l’été que si l’équipe est encore à Montréal en septembre, elle serait de retour pour une autre saison.

Le dernier uniforme : 3e partie

Les préparations pour le match vont bon train lorsqu’une rumeur en fin d’avant midi provenant de Washington annonce une importante conférence de presse à propos du baseball dans la capitale américaine. Soudainement, la nervosité s’empare de tous les employés. On se dit, le baseball majeur serait-il aussi « nono » d’aviser les gens de Washington, mais sans le faire pour ceux de Montréal? Je me précipite vers le bureau de Claude Delorme qui a toujours été juste et clair avec les employés, mais il est en entretien avec Tony Taveras que le baseball majeur avait mis à la présidence du Club. Ça ne sent pas bon! Le téléphone ne cesse de sonner pour nous demander ce qui en est, mais on n’a pas de réponse à leur donner! On sent dans le visage de tous les employés que la réalité est en train de nous frapper! Est-ce vrai? Est-ce vraiment la fin? Je me précipite dans le vestiaire de l’équipe pour voir si quelqu’un sait quelque chose! Outre les préposés à l’équipement, il n’y a pas encore de joueur et les entraîneurs sont encore dans cette foutue rencontre pour évaluer les joueurs de l’organisation! De retour dans le bureau, Claude et Tony sont toujours enfermés à discuter! Bordel! Est-ce que quelqu’un va bien nous dire quelque chose? À ce moment, Monique Giroux, une employée des Expos depuis les tous débuts confirme que la conférence de presse à Washington est bel et bien pour annoncer le retour du baseball majeur à Washington! Paf! En pleine face! Juste comme ça! Même si tu t’attends à être frappé, étant donné les circonstances, le coup est solide et fait très mal!!!

Les choses se bousculent! Dans un moment hyperémotif, Claude Delorme et Tony Taveras confirment aux employés ce que l’on savait déjà! La suite est irréelle. Je m’en vais rejoindre Jacques Doucet sur la galerie de presse. On ouvrant la porte du studio, Jacques est debout regardant vers le terrain, mais je sais que son regard est vide! Je reste là sans dire un seul mot pendant plusieurs minutes. Les seuls mots qui sont sortis de la bouche de Jacques sont : « Ça se peut-tu??? » La préparation pour ce match est impossible. Les émotions sont dans le tapis!

Le match commence et l'on sent de la frustration, de la haine, de la tristesse, de la résignation quant à cette réalité. Les mots de Claude Raymond aux partisans après le match en font pleurer plus d’un! Même certains joueurs ne peuvent contenir leurs émotions. C’était la fin à Montréal, mais il restait encore trois matchs aux Expos contre les Mets à New York. Le voyage de Montréal à New York a été le plus silencieux de toute ma carrière.

Le dernier uniforme : 2e partie

Lors du dernier match de l’histoire des Expos, j’attends Jacques dans le lobby de l’hôtel afin de prendre l’autobus qui allait nous mener au stade Shea. Une fois dans l’autobus, Jacques me dit qu’il a préparé un texte pour la fin de l’émission, mais n’est pas convaincu qu’il sera en mesure de le terminer. Si c’est le cas, il veut que je le termine et que je ferme le show! Ouf! Déjà, la réalité me frappait de plein fouet. À 36 ans, je ne voulais pas que tout ça se termine. Que vais-je faire? Que m’arrivera-t-il?

Le dernier match commence et même si nous voulons faire notre travail comme des professionnels, tout est différent. Je ne pense qu’à la fin du match, à ma réaction et celle de Jacques! En 8e manche, un caméraman de RDS demande s’il peut filmer Jacques lors du dernier retrait. Jacques accepte sans même regarder celui-ci. Début de 9e manche et je sens dans la voix de Jacques qu’il réalise que c’est la dernière fois qu’il va décrire une manche des Expos. Lui qui a donné sa vie au baseball et aux partisans des Expos. Il voulait tellement que les gens apprécient le baseball et aiment les Expos. Lorsqu’Endy Chavez frappe son roulant au joueur de deuxième but, Jacques décrit le tout avec assurance. Durant la pause publicitaire, il sort son texte et il me regarde dans les yeux et me dit « je te confirme que tu devras finir le show ». Jacques s’est fait un honneur de terminer tous les matchs des Expos de la même façon et vous comprendrez que c’est de façon très professionnelle. Au retour, Jacques commence à lire son texte. Les feuilles tremblent, mais il réussit à contrôler ses émotions. Je suis tellement pris dans ses paroles que j’oublie complètement de me préparer à terminer l’émission. La panique s’empare de moi et au même moment la voix de Jacques tremblote. Il réussit à terminer son boniment, mais explose en pleurs lorsque terminé. Je regarde Bryan Burgess notre réalisateur, lui aussi avec un visage long et me fait signe de finir. Je reprends le micro, je regarde les cartons que Jacques a utilisés toutes ces années à la radio pour le guider. Jacques terminait toujours en répétant le pointage du match. Cela m’apparaissait complètement hors contexte, car on se foutait royalement du pointage de ce match lorsque l’idée m’est venue de simplement dire, « encore une fois la marque finale, 1969-2004 »