L’idée était géniale : raviver les souvenirs des Expos le temps d’une fin de semaine pour rappeler au baseball majeur que Montréal a déjà été une très bonne ville de baseball… et qu’elle pourrait le redevenir.

L’évènement était grandiose : près de 100 000 personnes ont retrouvé le chemin du Stade pour voir les Blue Jays battre, deux fois plutôt qu’une, les Mets contre qui les Expos ont disputé le dernier match de leur histoire le 3 octobre 2004 à New York. C’était au Shea Stadium où, ironiquement, tout avait commencé en avril 1969.

Le week-end a été un grand succès : au terme d’un long calendrier préparatoire, la frénésie qui a marqué l’escale montréalaise des Mets et des Jays a bien entendu retenu l’attention à Montréal et au Québec. Elle a aussi fait le tour du baseball majeur, les faits saillants des deux matchs et les gradins remplis offrant des images parfaites pour combler ce qu’il restait à combler avant le « Play Ball » qui lançait dimanche la saison de balle.

Mais est-ce que ce succès, aussi retentissant et impressionnant soit-il, confirme que le baseball majeur est vraiment viable à Montréal?

Attention avant de crier oui trop vite.

C’est évident que le succès du dernier week-end vaut mieux qu’une demi-réussite. Que si les amateurs de balle avaient boudé les Jays et les Mets en se refusant du même coup le plaisir de faire revivre les souvenirs heureux des z’amours, la croisade mise de l’avant pour mousser le retour du baseball majeur à Montréal n’aurait pas valu la peine d’être poursuivie.

Mais ce succès, aussi retentissant soit-il, ne permet pas de balayer du revers de la main tous les doutes mettant en péril les succès de cette longue et ardue croisade.

Mais c’est un bon début. Un très bon à part ça.

Du bleu, du blanc, du rouge et du gris

Oui! Montréal peut faire vivre une équipe du baseball majeur. C’est évident. Elle l’a déjà fait comme en témoignent tous les souvenirs des belles années des Expos qui ont refait surface au cours de la dernière semaine et du week-end.

Oui! Montréal est une ville assez populeuse et assez riche malgré les ennuis qui la minent pour justifier la présence et supporter une équipe de balle.

Oui! La présence de plusieurs réseaux de télévision, dont deux diffuseurs spécialisés dans le sport, assurerait des revenus en droits de diffusion intéressants. Sans doute plus qu’ils ne l’étaient lorsque les Expos ont mis le cap sur Washington après nous avoir fait l’affront de quelques matchs présentés à Porto Rico.

Oui! La volonté politique du maire Denis Coderre qui épaulera le retour des Expos s’il est convaincu que ce retour sera bénéfique pour sa ville représente également un atout important dans la quête des amateurs de renouer avec un club. Au même titre que l’appui de Régis Labeaume au projet de faire renaître les Nordiques aide la cause des amateurs de hockey de Québec.

Tout ça est vrai. Tout ça est positif. Expositif comme le disait l’un des derniers slogans associés au z’amours.

Stade olympiqueMais le passé est aussi parfois garant du futur.

Et le passé des Expos n’est pas seulement bleu, blanc et rouge. Il est aussi assombri par beaucoup de gris. Du gris que le temps aide à chasser de nos souvenirs. Car quand on se souvient, après la perte d’un être cher ou de quelque chose qui était important pour nous, on a tendance à se souvenir surtout de ce qui était beau, de ce qui était bon en écartant rapidement ce qui n’allait pas.

Qu’est ce que ce week-end de balle très bien orchestré par evenko et par tous ceux qui militent en faveur de la renaissance des Expos a prouvé?

Que le stade n’est pas trop loin du centre-ville pour venir s’y asseoir le temps de deux matchs de baseball. Comme il n’était pas perdu dans l’est de la ville et sans âme lorsque plus de deux millions d’amateurs venaient le prendre d’assaut dans les années glorieuses des Expos.

Que les amateurs de baseball ont gardé des souvenirs magnifiques de tous ces grands joueurs qui ont fait leur bonheur tout en faisant des Expos l’une des bonnes franchises du baseball majeur pendant des années. D’une équipe à qui Donald Fehr, alors grand patron du syndicat des joueurs, a volé la chance de peut-être célébrer une conquête de la Série mondiale en déclenchant la grève qui a tout fait foirer en 1994.

Une grève qui a amorcé la longue agonie des Expos qui se sont éteints dix ans plus tard dans l’indifférence la plus complète.

Une indifférence dont on doit se souvenir au même titre que l’on se souvient des meilleurs moments. Des grands moments.

Retour souhaité et souhaitable

Comprenez-moi bien : je souhaite de tout cœur que le baseball majeur revienne à Montréal.

Ce serait bon pour le sport. Bon pour les affaires. À commencer par la business de l’information sportive. Ça donnerait du travail à plusieurs journalistes de qualité qui n’en ont pas, ou pas assez, en ce moment. Ça dépolariserait la couverture médiatique centralisée autour du Canadien car en dépit de leurs succès respectifs, les Alouettes et l’Impact, même assis sur le même côté du balancier, n’arrivent pas, et ce même au mois d’août, à faire contrepoids au Tricolore et aux inquiétudes des amateurs sur l’identité des membres du quatrième trio…

Ce serait bon pour le père de famille en moi qui pourrait retourner au stade avec mes enfants qui, lors de leurs premières visites, étaient tellement jeunes qu’ils s’occupaient bien plus de Youppi! que de ce qui se passait sur le terrain. Surtout que dans le dernier droit des Expos, il ne se passait pas grand-chose de bon sur le terrain.

En plus de souhaiter le retour des Expos, je crois aussi que ce retour serait viable.

Mais je n’en suis pas totalement convaincu.

Comme je ne suis pas convaincu que les Jets sauront faire rayonner le hockey de la LNH à Winnipeg. Ou que les Nordiques arriveront à la faire simplement parce que les fans ont vécu l’odieux de perdre leur club une première fois et qu’ils prendront les moyens pour ne pas revivre pareil affront une deuxième fois.

Partis avant d’être partis

Plusieurs raisons expliquent les départs des Jets, des Nordiques, des Expos et de toutes les équipes qui ont quitté la ville où elles sont nées pour renaître dans une autre.

Parfois avec succès comme cela a été le cas pour les Nordiques devenus Avalanche au Colorado. Parfois avec moins de succès alors que les Nationals de Washington n’ont certainement pas encore réussi là où les Expos avaient échoué. Sans oublier qu’on peut parfois parler carrément d’échec comme les Coyotes de Phoenix en témoignent depuis leur migration de Winnipeg vers le désert de l’Arizona.

Dans le cas des Expos, ces raisons sont reliées à plusieurs promesses non tenues de la part de la direction de cette équipe qui était devenue la pépinière du baseball majeur. Les Expos repêchaient les meilleurs espoirs. Ils étaient les meilleurs pour développer ces jeunes joueurs talentueux. Mais quand venait le temps de récolter les dividendes sur le terrain, ils les donnaient aux autres formations.

Difficile d’épauler un club qui te fait pareil affront saison après saison.

Et c’est ce qui est arrivé. Les Expos, malgré quelques soubresauts, sont morts dans la solitude.

Oh! Ils profitaient encore de l’appui de quelques trop rares inconditionnels. Et personne n’est resté indifférent – j’ai dû me stationner tant l’émotion m’avait envahi – au cri du cœur lancé par Jacques Doucet lorsqu’il a complété la diffusion de son dernier match à la radio par un beau dimanche après-midi ensoleillé.

Mais dans l’ensemble, les Expos sont partis dans l’indifférence la plus complète. De fait, ils étaient partis depuis longtemps lorsqu’ils sont partis pour vrai.

Et c’est ce qui m’inquiète le plus dans toute cette affaire. C’est ce qui m’empêche d’embarquer sans la moindre retenue dans la croisade visant à faire revivre le baseball majeur à Montréal.

S’ils ont accepté avec empressement d’acheter des billets pour l’une ou les deux parties préparatoires opposant Toronto et New York – et c’était les Mets, pas les Yankees – de partir d’un coin ou de l’autre du Québec pour venir à Montréal une fin de semaine, de sortir leurs casquettes, leurs chandails, leurs coupe-vent et leurs souvenirs heureux des Expos afin de fêter avec Felipe et les autres grands gérants qui l’ont précédé, avec Cro et les grands joueurs que ces gérants ont dirigés, afin de rendre l’hommage qu’il méritait à Gary Carter, les amateurs de balle seront-ils aussi pressés de dire présent toute une saison durant? Surtout si les choses vont moins bien…

Je ne suis pas sûr. Pas sûr du tout.

Car quand les choses vont moins bien sur le terrain, le stade devient trop loin, trop froid, trop vieux.

Vrai que le projet mis sur la table est associé à la construction d’un stade tout neuf, au centre-ville, sans toit nous empêchant de profiter des trop rares soirées d’été.

D’un stade financé avec des deniers publics.

Mais peut-on demander au gouvernement du Québec et à la Ville de Montréal de financer le retour du baseball majeur en s’impliquant dans la construction du stade alors qu’ils en financent déjà un qui n’est pas occupé? Ou pas assez.

Et les équipes?

Une fois la frénésie du retour du baseball passée, après une, deux, peut-être trois saisons, que se passera-t-il dans les gradins s’il ne se passe rien sur le terrain? On ira à la balle pour ne pas la perdre une deuxième fois?

Ces questions sont plates à poser. J’en suis bien conscient. Surtout que j’aime le baseball comme spectateur et que j’irais certainement 10, 15, 20 fois par été avec mes enfants – s’ils devaient accepter mes invitations – simplement pour aller passer un bel après-midi ou une belle soirée en leur compagnie en regardant le sport qui est le plus plaisait qui soit à regarder.

Mais aussi plates soient-elles, ces questions doivent être posées.

Bien que les débordements normaux d’enthousiasme associés aux grands succès obtenus vendredi et samedi soient de nature à offrir des réponses positives à toutes ces questions en les appuyant d’arguments solides, il serait périlleux, voire irresponsable, de conclure que le succès indéniable de la dernière fin de semaine soit garant de la survie à long terme du baseball majeur s’il revient un jour à Montréal.

Cet enthousiasme confirme les souvenirs heureux des amateurs, leur amour du baseball et des Expos, leur intérêt envers ce sport magnifique et leur volonté de pouvoir en profiter tout un été durant sans avoir à se rendre à Toronto, Boston, New York ou l’une ou l’autre des villes du baseball majeur.

Il confirme aussi qu’un éventuel retour des Expos se ferait dans l’enthousiasme général. Un enthousiasme qui friserait peut-être, sans doute même, la frénésie. Mais il ne peut confirmer la survie à long terme de ce retour.

C’est un bon début. Un excellent même. Car ce succès pourra servir de tremplin. Mais les responsables du projet ont encore beaucoup de travail à faire pour solidifier leur dossier ici. Un travail colossal les attend, car on ne peut se lancer tête baissée dans une telle aventure. Sans oublier qu’aussi colossal soit-il, ce défi me semble plus facile à relever que celui de convaincre le baseball majeur de revenir une deuxième fois à Montréal.

On verra!

La première manche est jouée. Et ceux qui militent en faveur du retour des Expos en ont connu une grosse, frappant la longue balle à plusieurs reprises vendredi et samedi. J’espère de tout cœur qu’ils maintiendront le rythme et je leur promets un enthousiasme équivalent à mon scepticisme.

Mais le match est loin d’être terminé.