MONTRÉAL – Personne à Toronto n’aurait vidé l’air de ses poumons pour crier à l’injustice si la direction des Blue Jays avait décidé, à la fin de la dernière saison, que le règne d’Alex Anthopoulos avait assez duré.

Les Jays sont loin d’avoir été un désastre en 2014. Ils ont occupé la tête de leur division pendant 44 jours, notamment grâce à une séquence de 18 victoires en 21 matchs au printemps. Ils sont mathématiquement demeurés en vie dans la course aux séries jusqu’à la dernière semaine du calendrier régulier. Ils ont bouclé l’année avec une fiche gagnante (83-79) pour la première fois en quatre ans.

Mais dans le sport professionnel, on se lasse vite des prix de consolation.

Depuis qu’Anthopoulos a succédé à J.P Ricciardi au poste de directeur général, les Jays montrent une fiche de 396 victoires et 414 défaites. Les Rays de Tampa Bay, les Yankees de New York, les Red Sox de Boston et les Orioles de Baltimore ont tous remporté au moins une fois le titre de la section Est de la Ligue américaine sous les yeux du Montréalais. Pendant ce temps, les Jays n’ont jamais pu faire mieux qu’une troisième place. Leur meilleur rendement, une fiche de 85-77 en 2010, les a laissés à 11 matchs de la tête de leur division.

Il serait certainement injuste de réduire l’ampleur du travail accompli par Anthopoulos à ces quelques chiffres, mais dans un monde où la victoire est plus souvent qu’autrement la seule façon de survivre, son sacrifice aurait été considéré par plusieurs comme une normalité.

Heureusement pour lui, l’homme à qui revenait la décision n’a pas paniqué.

Roberto Alomar, Alex Anthopoulos, Denis Coderre et Jacques Aubé au bout à droite

« Je ne suis jamais même passé proche d’y penser », a juré Paul Beeston, président et chef de la direction des Blue Jays, en conversation avec RDS lors d’un passage à Montréal la semaine dernière.

« Écoutez, nous n’avons pas terminé l’année où nous le voulions cette année et on peut ressortir toutes sortes de raisons pour justifier ce résultat : un mauvais enclos de releveurs, les blessures, etc. Nous n’avons pas d’excuses, nous n’avons pas livré la marchandise. Mais nous avons quand même gagné 83 matchs et nous avons montré des signes de progrès », proclame le patron de la seule équipe canadienne du baseball majeur.

Cinq ans après son arrivée en poste, les empreintes d’Anthopoulos sont partout. Avec la récente transaction qui a envoyé Adam Lind à Milwaukee et devant l’évidence que les lanceurs Casey Janssen et Dustin McGowan quitteront pour d’autres cieux via le marché des joueurs autonomes, les Blue Jays risquent d’amorcer la saison avec seulement deux joueurs qui possédaient déjà un casier dans leur vestiaire lors du dernier changement de DG : Jose Bautista et Brett Cecil.

Le statu quo, Alex Anthopoulos ne connaît pas. En 2010, à peine installé dans son nouveau bureau, il a célébré sa promotion en échangeant l’un des joueurs les plus populaires de l’histoire des Blue Jays, l’as lanceur Roy Halladay, en retour de trois espoirs. Avant la saison 2013, il a secoué le monde du baseball en ajoutant d’un coup cinq joueurs réguliers à son effectif grâce à une transaction majeure avec les Marlins de la Floride.

Le 2 novembre dernier, quatre jours après la conclusion de la Série mondiale, Anthopoulos a commencé à déplacer ses pions en vue de la saison prochaine. Il a échangé Lind et mis fin aux contrats de McGowan, Brandon Morrow et Sergio Santos, économisant ainsi des millions de dollars qu’il redistribuera au cours d’un hiver qui s’annonce chargé.

« Je suis un grand fan d’Alex Anthopoulos, lance un Beeston approbateur. Il est intelligent et astucieux, enthousiaste et très respectueux envers notre sport. Ses meilleures années sont devant lui et elles seront mémorables. »

La patience de Beeston envers son directeur général rappelle celle démontrée par la direction des Royals de Kansas City qui, en août 2009, alors que l’équipe végétait dans la cave de sa division avec une fiche de 30 matchs sous la barre de ,500, avait prolongé le contrat du directeur général Dayton Moore malgré une absence totale de résultats positifs en trois ans.

La décision facile aurait été de déclencher, tôt ou tard, le siège éjectable, mais les Royals ont été récompensés pour leur fidélité et leur vision. Cinq ans plus tard, l’équipe passait à une victoire de remporter la Série mondiale.

Beeston dit s’être rangé sans réserve derrière ces sympathiques négligés lors de leur improbable parcours éliminatoire le mois dernier. Et avec un peu d’imagination, il pouvait même voir une autre équipe vêtue de bleu faire la lutte aux Giants de San Francisco pour l’obtention du trophée que Toronto a soulevé en 1992 et 1993.

« Avec quatre victoires de plus cette saison, ça aurait pu être notre année, calcule Beeston. Et c’est quoi, quatre matchs? Dans une saison d’une durée de six mois, ce n’est même pas une victoire par mois. Nous aurions été en séries et à partir de ce moment-là, qui sait ce qui peut arriver? Nous ne sommes pas si loin que ça... »

Une longue liste d’emplettes

« On croit qu’on est vraiment proches », répète en français Alex Anthopoulos, intercepté en vitesse lorsqu’une délégation des Blue Jays est venue confirmer, dans une conférence de presse tenue au Centre Bell, le retour de l’équipe au Stade olympique pour deux matchs préparatoires en avril prochain.

Pour bâtir son équipe championne, le DG de 37 ans devrait travailler avec une masse salariale concurrente avec celle de 135 M$ qu’il devait gérer la saison dernière. « Ça ne sera pas moins que ça! », promet Beeston, qui refuse de s’avancer publiquement sur l’ampleur du budget qu’il confiera à son architecte.

Anthopoulos admet que la reconstruction de son personnel de releveurs trône au sommet de sa liste de priorités. S’il se tourne vers le marché des joueurs autonomes, la liste des remplaçants potentiels à Janssen, son stoppeur depuis trois ans, inclut David Robertson, Sergio Romo, Rafael Soriano et Francisco Rodriguez. Mais les Jays auront besoin de beaucoup plus qu’un gros nom accrocheur pour améliorer un groupe qui a affiché une moyenne de points mérités collective de 4,09 en 2014.

À l’avant-champ, le départ de Lind sous-entend qu’un nouveau joueur de premier but et/ou frappeur désigné pourrait se greffer à la formation et partager les tâches avec Edwin Encarnacion. Mais c’est réellement à la position de deuxième-but, occupée l’an passé par un comité formé de Munenori Kawasaki, Steven Tolleson et Ryan Goins, qu’un besoin de stabilité se fait sentir. Anthopolous n’exclut pas la possibilité de confier les responsabilités au jeune Brett Lawrie si une opportunité se présente d’ajouter un gros nom au « coin chaud ». Pablo Sandoval en est un qui teste présentement sa valeur sur le marché.

Les Jays ont soumis une offre qualificative au voltigeur de gauche Melky Cabrera, libre lui aussi d’étudier ses options après deux saisons passées à Toronto. Un trou pourrait aussi être créé au centre avec le départ potentiel de Colby Rasmus. « Il faudra peut-être faire des changements dans notre groupe de voltigeurs », ne peut cacher Anthopoulos, qui ne compte présentement que sur les vétérans Jose Bautista et Nolan Reimold.

Et pourquoi pas une petite injection de talent local? Dioner Navarro a beau être sous contrat pour une autre saison, Anthopoulos peut-il vraiment se permettre d’ignorer la présence de Russell Martin, un produit de sa ville natale, parmi les joueurs à sa portée?

Les deux receveurs ont montré des statistiques offensives de base similaires en 2014, mais en retirant 39 % des coureurs qui ont tenté de voler un coussin à ses dépens, le Québécois a presque doublé l’efficacité de Navarro à ce chapitre. De plus, ce dernier traîne la réputation d’un joueur fragile, lui qui vient de disputer sa première saison de plus de 100 matchs en cinq ans.

Anthopoulos évite rapidement le sujet en affirmant ne pas vouloir discuter de la situation d’un joueur en particulier. Mais son patron, une fois s’être assuré qu’il était en droit de commenter le dossier, fait preuve de moins de retenue.

« Bien sûr que je voudrais (voir Martin avec les Jays)! Et pas nécessairement parce qu’il est Canadien. Ça serait un avantage, mais au-delà de cette réalité, il est l’un des meilleurs receveurs et des leaders les plus respectés à travers la ligue. Alors oui! Vous voulez rire? »