MONTRÉAL – Plusieurs partisans ont eu l’impression d’entendre un marteau enfoncer trois clous dans le cercueil de la tentative du retour des Expos lorsque Manny Machado, Nolan Arenado et Bryce Harper ont, tour à tour, paraphé des contrats de centaines de millions de dollars.

 

Le réflexe peut se comprendre particulièrement quand on a assisté à la démolition des Expos provoquée par la vente de feu des meilleurs éléments du club après le conflit de travail de 1994 qui avait privé le club montréalais d’aspirer à la Série mondiale.

 

Mais l’architecture actuelle du Baseball majeur ne se compare nullement à celle qui prévalait à la fin des années 1990 et au début des années 2000 comme Martin Bergeron l’a démontré, chiffres à l’appui, dans ce tour d’horizon.

 

Stade olympiqueAutant que ça peut être frustrant pour des gens de voir des athlètes obtenir de telles sommes, ces contrats faramineux doivent être analysés dans leur contexte respectif. Ainsi, Bergeron prétend que les Expos 2.0 auraient maintenant les reins assez solides pour se payer des joueurs de premier plan à 20, 25 ou même 30 millions par année.

 

« Qu’est-ce qui est plus extravagant : payer un joueur 30 millions dans une industrie qui génère 10 milliards ou consacrer 13 millions (incluant les bonis de signature) à Jamie Benn dans un sport comme le hockey qui génère 4 milliards? Faites les ratios, on arrive sensiblement à la même chose. C’est impressionnant parce que le chiffre est plus gros, ça frappe l’imaginaire. Mais tout dépend de la capacité de payer, c’est la même chose dans la vie quand on parle d’acheter une maison ou une voiture. Je peux comprendre la réaction épidermique de se dire que ça n’a pas d’allure, mais ça se justifie très bien. La réalité, c’est que le Baseball majeur est capable de payer des joueurs comme ça », a dépeint Bergeron, un chercheur en analyse économique.  

 

Bergeron s’appuie sur ses prévisions selon lesquelles les Expos 2.0 devraient amasser des revenus autour de 250 ou 260 millions pour affirmer que de telles dépenses astronomiques seraient envisageables.

 

« Machado a signé où? À San Diego, ce n’est pas plus gros que Montréal. Arenado au Colorado, ce n’est pas gros non plus. Je pourrais continuer à nommer des clubs comme ça qui se paient de gros joueurs et ils vont quand même arriver à la fin de l’année en étant profitables », a-t-il ajouté.

 

Quelques lecteurs tomberont en bas de leur chaise, mais le constat du moment s’avère que les joueurs ne touchent pas un pourcentage assez élevé des revenus encaissés par les propriétaires. En effet, vers la fin des années 1990, les équipes du Baseball majeur consacraient plus de 55 % des revenus sur les salaires des joueurs alors que ça situe sous les 50% présentement.

 

Ce contexte provoque une frustration chez les joueurs et les négociations s’annoncent corsées en vue de la conclusion de la convention collective qui expire en décembre 2021.

 

« La convention collective de 2016, manifestement, les propriétaires l’ont gagnée. Les joueurs ont eu le gros bout du bâton pendant environ 35 ans et ils l’ont perdu dans la dernière convention. C’est certain qu’ils vont vouloir revenir », a indiqué Bergeron.

 

Cela dit, la formule du partage des revenus ne devrait pas être modifiée. Comme Bergeron le précise, il y a « une paix » qui règne sur cet aspect. Le nœud du dossier sera de trouver une manière pour permettre aux joueurs de recevoir la part du gâteau qui leur revient.

 

« Ça peut être corsé, je l’avoue. La bonne nouvelle, c’est que tout le monde en est conscient et ils ont encore deux ans pour travailler. J’espère qu’ils vont utiliser ce temps à bon escient, ça n’a pas toujours été le cas dans le passé et je souhaite que ça ne refroidisse pas les ardeurs des partisans à Montréal. Il faut comprendre que ça se passe dans un contexte plus large. Je pense qu’ils vont en arriver à une entente sans conflit, mais ce sera des discussions plus houleuses que pour les deux dernières conventions collectives », a noté celui qui s’intéresse aussi beaucoup aux statistiques avancées.

 

« Ça va avoir un impact sur les joueurs, mais pas sur la capacité de Montréal d’avoir une équipe », a-t-il poursuivi.

 

Le taux de change aurait un impact plus minime

 

L’aspect du taux de change n’a pas été oublié dans ce dossier économique de deux articles. C’est simplement que cet aspect ne déterminera pas la survie du projet de ramener les Expos.

 

Malgré tout, cet élément continue d’alarmer bien des observateurs du dossier.

 

« Beaucoup de commentateurs n’ont pas encore compris qu’il y a eu un changement fondamental dans le système. Ils commentent en croyant encore que c’est le marché de Montréal qui devra faire vivre les Expos. On parle du taux de change comme si ce sujet allait avoir un impact important. Pourtant, on parle d’environ 25 % des revenus qui viendront de Montréal et l’équipe aura même des dépenses en dollars canadiens (les employés du stade par exemple).

 

Brad Wilkerson, avant le dernier match des Expos à domicile« J’estime que l’impact d’une chute importante du dollar canadien aura un effet négatif de 7 à 8 millions sur les revenus de 250 millions, ce n’est pas un impact énorme. Mais les commentateurs n’ont pas fait ce changement dans leur tête. Les revenus vont surtout venir d’ailleurs. En fait, si le baseball se porte bien en Amérique du Nord, les Expos vont bien fonctionner forcément », a-t-il exposé.

 

Bref, la situation ne se compare en rien aux démarches pour redonner vie aux Nordiques à Québec alors que les propriétaires de cette équipe de la LNH toucheraient la grande partie de leurs revenus en dollars canadiens tout en devant payer leurs joueurs en dollars américains.

 

« Advenant le retour des Expos, ce serait pratiquement une entreprise américaine qui va opérer à Montréal. La première fois, on était du mauvais bord en payant les joueurs en US pendant que les revenus étaient en dollars canadiens. Cette fois, les revenus seront en devises américaines », a comparé Bergeron.

 

Des pour et contre sur un tel investissement

 

Si la nouvelle du retour des Expos se concrétisait, les nouveaux propriétaires ont l’intention de bâtir tout un quartier autour du stade au centre-ville. On y retrouverait des logements, des magasins, des restaurants, des bars et bien plus. Pour la première fois depuis la naissance des Expos en 1969, les partisans du club montréalais pourraient vivre une expérience complète comme c’est le cas dans de nombreuses villes américaines où une visite au baseball ne se limite pas à regarder une partie de neuf manches.

 

Par contre, il ne faut pas croire qu’un investissement des pouvoirs publics serait très profitable pour cette raison.

 

« Il y a eu tellement d’investissements publics dans le sport professionnel qu’il y a beaucoup d’études faites là-dessus. Ce qu’on réalise, c’est que les rendements pour les villes sont assez faibles pour toutes sortes de raisons. Généralement, c’est très rare de voir les villes bénéficier grandement des investissements importants effectués dans le sport professionnel », a cerné Philip Merrigan, professeur d’économie à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

 

D’ailleurs, d’autres promoteurs seraient ravis de développer le site du bassin Peel. On comprend donc que le retour des Expos n’est pas essentiel à cette métamorphose.

 

Toutefois, il y a un aspect résolument positif qui reviendrait dans le paysage montréalais.

 

Stade olympique« Ce qui peut faire, pour la ville de Montréal, que l’arrivée d’une équipe puisse être intéressante au niveau économique, et je crois que la majorité des économistes s’entendraient avec moi, c’est le tourisme et en particulier celui des États-Unis. Il faut se rappeler qu’il y avait énormément d’Américains qui venaient à Montréal simplement pour le baseball à l’époque. Le marché du nord du Vermont et de l’État de New York, ce sont des marchés intéressants. Si vous incitez 200 ou 250 000 Américains à venir chaque année passer trois ou quatre jours ici, ça reste très intéressant », a ajouté Merrigan.

 

Avant de conclure la discussion, le professeur de l’UQAM a ajouté une bonne et une mauvaise nouvelle à l’équation. Commençons par le côté négatif venant d’une étude qu’il avait menée.

 

« Les partisans à Montréal sont plus volatiles qu’ailleurs puisque le baseball n’est pas inscrit autant dans les traditions sportives qu’aux États-Unis. Si l’équipe va mal, les baisses sont plus importantes qu’ailleurs. Mais ils embarquent plus quand l’équipe fonctionne bien. En termes financiers, quand il y a plus de volatilité dans les revenus, c’est plus risqué », a-t-il précisé.  

 

« Ce qui serait différent par rapport à l’ancienne situation, il y a 20 ans, c’est qu’on aurait des investisseurs qui ressemblent plus à l’investisseur classique du baseball, c’est-à-dire des milliardaires. Ça fait que ça devient plus facile de prendre une décision du style : est-ce qu’on risque sur un joueur autonome? Avant, il y avait plusieurs investisseurs avec une petite part et c’était difficile de s’entendre sur l’investissement de l’argent », a-t-il conclu sur une note positive.