MONTRÉAL – Même si les Expos ont quitté Montréal il y a 15 ans et que le système de partage des revenus du Baseball majeur a été complètement métamorphosé depuis, une perception économique laisse croire que l’équipe en arracherait encore financièrement si elle était ressuscitée.
 
Une masse salariale au-delà de 100 millions, des moyens financiers pour se payer des joueurs de premier plan et des revenus évalués à plus de 250 millions (ce qui est supérieur au Canadien de Montréal) dès la première année. Sans oublier des propriétaires qui engrangeraient des profits, ce qui assurerait la pérennité du club.Martin Bergeron
 
Non, ce n’est pas la description d’un rêve d’un inconditionnel des Expos qui sort du lit. C’est le portrait que Martin Bergeron, un chercheur en analyse économique, a dressé en épluchant la fascinante réalité économique du Baseball majeur en 2019. Il s’agit d’une industrie qui a franchi la barre des 10 milliards américains pour la première fois en 2018 et qui prospère grâce à un partage des revenus innovateur.
 
Pourtant, le discours économique associé à la tentative du retour des Expos demeure très souvent pessimiste voire alarmiste.

C’est là que Bergeron entre en jeu. Amateur de baseball depuis enfance, il s’est donné la mission de prouver que le nouveau modèle économique permettrait aux Expos de bien se débrouiller.
 
Rassurez-vous, l’idée n’est pas de voir le portrait avec des lunettes roses. Bergeron a construit la plupart de son schéma économique avec des données venant de la référence Forbes Sports et il a procédé à une contrevérification de ses autres informations. D’ailleurs, le professeur de sciences économiques à l’UQAM, Philip Merrigan, a validé la plupart des conclusions tirées par Bergeron.
 
Concrètement, comment peut-il en arriver là ? C’est sans doute la question qui vous reste en tête.
 
« Il faut comprendre que le Baseball majeur est devenu une entreprise commune. La taille de ton marché est beaucoup moins pertinente aujourd’hui. On peut diviser cette tarte de 10,2 milliards de revenus en trois gros morceaux », a-t-il lancé d’emblée lors d’une entrevue avec RDS.
 
Il y a trois principes de base à retenir sur cette répartition de l’argent :
 

  • 1.Le Baseball majeur redistribue en parts égales (3,3%) les revenus nationaux qui sont générés.
  • 2. Le Baseball majeur perçoit 48% des revenus locaux de chaque organisation pour les redistribuer en parts égales (3,3%) à chaque équipe.
  • 3. Les équipes conservent 52% de leurs revenus locaux.

 
Pour récupérer une formule employée par le collègue Jean-Luc Legendre avec lequel on a travaillé sur ce dossier, c’est « l’apologie du capitalisme avec un système communiste ».
 
Voici un aperçu plus détaillé, fourni par Bergeron, de ces trois sources de revenus qui seraient à la disposition des Expos et qui lui permettent de procéder à son calcul :
 
-Les revenus nationaux tournent autour de 2,7 milliards et ils englobent les droits de télédiffusion des réseaux nationaux ESPN, FOX, TBS et MLB Network en plus de la vente de marchandise. En touchant 3,3% de ce montant, son calcul prévoit que les Expos recevraient 91 millions de cette source.Le Stade olympique
 
-Les revenus locaux partagés sont de l’ordre de 3,54 milliards et ils sont composés des droits de télédiffusion des réseaux associés à chaque équipe comme YES, NESN et compagnie ainsi que la billetterie, les concessions et les commandites. Ça va aussi loin que chaque bière vendue et chaque hot-dog vendu dans les stades du Baseball majeur sont comptabilisés dans ces revenus.
 
Bien sûr, les équipes des petits marchés profitent énormément des revenus gigantesques venant des gros marchés comme New York, Boston et Los Angeles. Ainsi, les Expos encaisseraient 118 millions venant de leur part de 3,3% de ce partage.
 
-Les revenus locaux permettraient aux Expos d’amasser 40 millions selon une évaluation conservatrice qu’il choisit considérant le contexte fragile qui a régné lors du premier passage du club.
 
Le total grimpe à 249 millions américains (une information importante à rappeler). Dans l’un de ses articles (https://www.martinbergeronmlb.com), il prétend que ça pourrait monter jusqu’à 265 millions.
 
« Ma conclusion, c’est encore beaucoup plus positif pour les Expos que je pensais. J’avais déjà un biais positif au départ et je suis encore plus réconforté que ça fonctionnerait pour les Expos 2.0 en l’ayant confirmé avec les données », a maintenu Bergeron qui détient un baccalauréat en Droit et une maîtrise en Politiques publiques et qui a notamment travaillé à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
 
Des revenus permettant une masse salariale au-delà de 100 millions
 
La prochaine étape, c’est de figurer la masse salariale potentielle des Expos, ce sujet qui provoque bien des réticences.
 
« Le point d’équilibre qu’on considère normalement au Baseball majeur, c’est que si on dépense environ 50% des revenus totaux (sur les salaires des joueurs), c’est équilibré et le club va faire un bénéfice à la fin de l’année. Si les Expos ont des revenus de 250 à 260 millions par année, ils peuvent facilement se permettre de se payer une masse salariale de 120 à 130 millions si bien qu’on arrive carrément dans les moyennes et les médianes du Baseball majeur », a proposé celui qui a consacré une centaine d’heures dans ses recherches sur le volet économique.
 
Son exposé détonne donc énormément avec ceux qui sont nombreux à prétendre que les Expos devraient se contenter d’une masse salariale dans le dernier tiers des équipes. Selon ceux qui se rangent dans ce camp, la popularité des Expos 2.0 ne tiendrait pas la route en raison de leurs moyens limités. D’ailleurs, les Royals de Kansas City (en 2015) et les Astros de Houston (en 2017) ont remporté la Série mondiale avec une masse salariale inférieure à 125 millions.
 
Les données publiées par Bergeron sur son site web ont été relayées au professeur Merrigan qui n’a pas contredit le tout.
 
« La chose la plus importante, qui a changé avec les années, c’est la manière dont le baseball opère. C’est certain qu’avec cette nouvelle façon de partager les revenus, ça donne de bien meilleures chances aux équipes des marchés moins importants d’avoir une certaine profitabilité associée à l’implantation d’une équipe à Montréal. […] Ça change la donne complètement pour les investisseurs », a statué Merrigan.  
 
« C’est clair que Montréal serait un receveur net, le gros des revenus provient des marchés de New York, Boston, Chicago, Los Angeles... Ils font tellement de revenus au niveau local que ça laisse bien des revenus à partager pour les équipes dans les marchés moyens ou petits. C’est une très grosse différence par rapport à il y a 20 ans », a poursuivi le professeur.
 
De son regard externe, il soulève tout de même que les propriétaires ne pourraient pas se permettre d’être trop gourmands quant au prix des billets et des dépenses associées à un match.
 
« La seule faiblesse associée à Montréal, c’est au niveau de ce qu’on appelle, nous les économistes, le revenu disponible des gens. Montréal se classe beaucoup moins bien face à plusieurs villes américaines. Mais le prix moyen des billets ne serait pas si élevé, on pourrait s’attendre à 60-70$CAN », a-t-il ajouté.
 
La décision du gouvernement reste déterminante
 
Merrigan conserve aussi une part de doute envers la profitabilité que pourra générer le groupe d’investisseurs piloté par Stephen Bronfman.
 
« C’est là que c’est moins certain. On parle d’un investissement autour d’un milliard et possiblement plus pour amener disons le club de Tampa Bay ici. Quand on transforme en cela en devises canadiennes, ça se rapproche de 1,4 milliard. On parle de l’équipe et il reste le stade à ajouter », a-t-il tempéré en démontrant que le projet s’approcherait du plateau des 2 milliards sans une contribution des paliers gouvernementaux.  
 
À son avis, la décision des pouvoirs publics sera déterminante dans l’équation. Merrigan comprend que la population refuse de financer entièrement un nouveau stade, mais il croit que les investisseurs devront trouver une manière d’obtenir une aide. Sinon, le jeu n’en vaudra pas la chandelle. Il songe surtout aux infrastructures autour de cette construction incluant une station du REM.  Brad Wilkerson
 
L’enjeu du stade n’effraie pas tant Bergeron et il s’appuie sur des chiffres du gouvernement pour appuyer sa position. Réaliste, il convient qu’un stade qui cadrerait avec les besoins des Expos nécessiterait un toit rétractable ce qui hausserait la facture à près de 750 millions canadiens. Il se base sur l’exemple du Miller Park, le stade des Brewers de Milwaukee, pour en arriver à cette somme.  
 
Il se réfère surtout au document gouvernemental qui s’appelle le Plan québécois des Infrastructures (PQI). Au moment du budget, le gouvernement du Québec a aussi déposé le PQI qui prévoit des investissements records de 100,4 milliards de 2018 à 2028.
 
« Dans ce document, on fait des projections sur 10 ans pour déterminer combien on s’attend à dépenser sur les infrastructures des routes, des écoles, des hôpitaux... Sans oublier que le gouvernement fait des surplus de 4 milliards par année dont 2 milliards sont envoyés dans le Fonds des générations. Faites le calcul, on peut s’en payer 3 avec la moitié du surplus et 13 avec le montant annuel consacré au PQI. J’entends l’argument selon lequel les propriétaires vont faire de l’argent en masse et qu’ils peuvent se le payer. Mais pour le gouvernement, ce n’est pas une grosse somme », a-t-il tenu à démontrer.
 
Pour lui aussi, une aide sur les infrastructures semble la façon la plus appropriée de s’impliquer pour les instances gouvernementales.  
 
Bergeron conclut avec une observation qui résume le cœur du dossier.  
 
« Le partage des revenus a été instauré en 1996, mais c’est en 2003 que les vrais montants ont commencé à être distribués alors que les Expos étaient déjà sous la gouverne du Baseball majeur. Les Expos sont la victime parfaite qui a prouvé la nécessité du nouveau système », a laissé tomber à propos du club qui a cessé d’exister en 2004.