Depuis le temps qu'ils en entendaient parler, les amateurs de baseball ont enfin eu l'occasion de voir à l'œuvre le phénomène Stephen Strasburg, qui était l'un des principaux sujets de conversation dans le baseball majeur depuis qu'il avait été repêché au tout premier rang par les Nationals de Washington.

Vous serez certainement d'accord avec moi pour dire que l'attente en valait la peine. Ce qui m'a le plus impressionné du jeune Strasburg à ses deux premiers départs - des victoires contre les Pirates de Pittsburgh et les Indians de Cleveland - c'est le nombre de retraits sur des prises qu'il a accumulés. Un total de 22 en 12,1 manches, pour être précis. C'est peut-être tôt pour faire le calcul, mais c'est quand même une moyenne de 16 par match de neuf manches!

La maîtrise de ses lancers est également particulière, mais attendons avant de nous emporter. Il a quand même donné cinq buts sur balles à son deuxième départ, après avoir été parfait à ce chapitre à son baptême. Ça, ça m'inquiète un peu...

Ce qui retient avant tout mon attention, par contre, c'est la façon avec laquelle le jeune répond à la pression. Les attentes sont extrêmement élevées envers lui. Son nom est sur toutes les lèvres et on s'attend à de grandes choses de sa part, mais il n'a pas encore bronché. Ça, c'est spectaculaire!

Je regarde aller Strasburg présentement et je n'ai pas le choix de le placer dans la même catégorie que les Mario Lemieux et Sidney Crosby. Je ne le compare pas à Wayne Gretzky parce que ce dernier avait joué dans l'Association mondiale à son arrivée dans la LNH. Il était déjà un pro. Mais avec Lemieux et Crosby, je vous jure que je n'exagère pas.

Si vous me demandez de le comparer à d'autres lanceurs qui sont passés par là avant lui, je vous parlerai de Dwight Gooden. En 1984, alors âgé de 19 ans, le Doc avait tout ce que Strasburg possède aujourd'hui : une balle de feu, des bons tirs à effet et des retraits sur des prises à profusion. Peu de lanceurs combinaient vitesse et contrôle comme lui. Il est vrai que Gooden a gâché sa vie personnelle, mais regardez ses statistiques à ses premières saisons dans les majeures. Tout simplement aucun bon sens.

À l'époque aussi, l'arrivée de Gooden dans le grand marché de New York avait fait énormément jaser, mais il ne faut pas oublier une chose : en 1985, la réalité des médias n'était pas comparable à ce qu'on connaît aujourd'hui. L'émergence de Gooden était donc une très grosse affaire, mais jamais il n'a reçu la couverture médiatique dont fait l'objet Strasburg.

L'histoire de Strasburg me fait aussi penser à celle de David Clyde, que les Rangers du Texas avaient repêché avec le tout premier choix de l'encan de 1973. Clyde était vu comme le sauveur à Arlington, tellement que les Rangers l'avaient inséré dans leur rotation directement à sa sortie de l'école secondaire. Il avait bien fait à son premier départ, mais le reste de sa carrière n'a jamais été à la hauteur des attentes placées en lui.

Je doute que cette histoire se répète avec Strasburg. Pour être honnête, je trouve qu'on lui a fait passer les étapes un peu trop vite jusqu'à maintenant et j'ai peur qu'il se retrouve avec des malaises au bras. Mais au moins, il est passé par le niveau collégial et on l'a envoyé pendant un certain temps aux niveaux AA et AAA. Et depuis qu'il est à Washington, on surveille attentivement sa charge de travail.

Le risque avec un jeune lanceur, c'est de tomber en amour avec lui et d'oublier de le sortir du match. C'est comme ça que tu te retrouves avec des Kerry Wood et des Mark Prior, des talents gaspillés. Jusqu'à maintenant, le gérant des Nationals, Jim Riggleman, fait du bon travail.

Bryce Harper et Gary Carter, même combat

Lentement, mais sûrement, le vent est en train de tourner dans la capitale américaine. Strasburg pourrait être l'as des Nationals pour les quinze prochaines saisons et il y a quelques semaines, on a repêché Bryce Harper, un jeune prodige de 17 ans qu'on espère voir dans les majeures d'ici trois ans.

Ce n'est pas en sélectionnant ces jeunes espoirs que les Nationals m'ont impressionné, mais plutôt en démontrant une réelle volonté à les mettre sous contrat. Bien des équipes ont déjà levé le nez sur des joueurs à l'avenir presque assuré parce qu'elles n'étaient pas prêtes à délier les cordons de la bourse. Les Pirates de Pittsburgh, notamment, et on voit ce que ça donne.

Par contre, il y a un point sur lequel je suis complètement en désaccord avec l'organisation des Nationals : leur insistance à vouloir convertir Harper, un receveur naturel, en voltigeur. Les têtes dirigeantes de l'équipe se justifient en disant qu'elles veulent accélérer son ascension aux majeures, mais je n'y crois pas.

Les Twins du Minnesota ont-ils demandé à Joe Mauer de changer de position? Non, et je pense qu'il a quand même bien tourné. Je peux aussi vous donner l'exemple de Michael Barrett avec les Expos. Barrett était l'un des meilleurs jeunes joueurs d'arrêt-court aux États-Unis, mais on a gâché son développement en le déplaçant derrière le marbre.

Quelques années auparavant, les Expos avaient essayé la même stratégie avec Gary Carter, qu'ils voulaient transformer en voltigeur pour garder Barry Foote, un choix de première ronde en 1970, derrière le marbre. Ça avait presque été la fin de sa carrière.

L'expérience avait duré le temps d'un camp d'entraînement et du premier mois de la saison. Dans un match de la Ligue des Pamplemousses contre les Red Sox de Boston, Carter était entré dans un mur de briques et avait dû recevoir douze points de suture. Une fois la saison commencée, il était entré en collision avec le voltigeur de centre Pepe Mangual et s'était presque cassé une côte et une épaule.

C'est à ce moment que les Expos ont décidé que l'avenir de Carter était derrière le marbre. Les Nationals devraient tirer les mêmes conclusions avant qu'il ne soit trop tard!

Propos recueillis par Nicolas Landry.