Un long deuil
Baseball vendredi, 1 avr. 2005. 18:31 mercredi, 11 déc. 2024. 06:53
J'ai encore le "moton" quand j'y repense. Je n'oublierai jamais cette triste journée. Je me revois dans le corridor menant au terrain. Habituellement si bruyant, tout était maintenant d'un silence désarmant.
On chuchotait ici et là. Les joueurs se préparaient pour le dernier match. Les agents de sécurité, les membres du personnel de l'équipe et même la plupart des journalistes avaient la mine basse. Arrivée sur le terrain, je prends une grande respiration et regarde autour de moi. Une mer de bancs jaunes et bleus. Les gradins sont déserts. Les portes ouvriront dans quelques minutes et je savoure cet instant. Moi, qui petite venait voir une quarantaine de matches par été, moi qui avait applaudi et ovationné les Carter, Cromartie, Parrish, Scott et compagnie....ces grands du baseball qui ont marqué mon enfance et m'ont inculqué une passion pour le baseball. Me voici, des années plus tard, privilégiée par mon statut de journaliste, sur le terrain où mes héros ont réalisé de nombreux exploits....pour la dernière fois...
Les journalistes arrivent un à un et envahissent le terrain. Les partisans font leur entrée dans le stade. L'atmosphère est lourde. La conférence de presse confirmant le départ des Expos pour Washington va commencer dans quelques minutes. Je croise Rodger qui a les yeux dans l'eau. Il m'accorde tout de même une entrevue malgré la peine évidente qu'il éprouve. Je vois du coin de l'oeil Stéphanie Myles de la Gazette qui verse quelques larmes. Denis Casavant donne une entrevue à Michael Weland de TSN, Claude Mailhot, les yeux rougis, se prépare pour son émission spéciale. J'arrive face à face avec ma cousine, Monique Chibok qui est à l'emploi des Expos depuis 25 ans. On se fait un gros câlin. En tentant de sécher ses larmes, elle rigole nerveusement en me disant que d'habitude, on se voit à des funérailles et que là, l'ambiance et le sentiment sont les mêmes. Une grande partie de son existence vient d'être balayée. Elle qui a été le bras droit des directeurs généraux des Expos, qui a eu la confiance des dirigeants, devra maintenant trouver un autre emploi. Pas facile.
J'emprunte le couloir qui mène à la salle où aura lieu la conférence. Je passe devant le vestiaire et j'entends des clameurs! On vient de confirmer aux joueurs qu'ils joueront à Washington l'an prochain. Je ressens un certain malaise. Un goût amer. Ils n'ont pas l'air déçu et ça me gêne profondément même si je comprends que pour eux, Américains pour la plupart, c'est l'occasion de jouer tous les matches " à la maison". Ça me brise le coeur mais comment leur en vouloir. Le gardien de sécurité à la porte du vestiaire me sourit timidement.
Le président des Expos, Tony Tavares commence la conférence de presse en disant "qu'aujourd'hui est une journée intéressante et difficile." Il ne parlera que quelques minutes. Difficile oui, voire pénible et triste. Intéressante??? Pas pour les Montréalais. Je suis en colère. Je le trouve effronté. Je vois les journalistes qui ont couvert les Expos depuis des lunes, les Rodger, Serge Touchette, Jean-Paul Sarault prendre des notes en grimaçant un peu. Pendant qu'on pleure à Montréal, on jubile à Washington.
Le match passe rapidement. Il n'a plus d'importance. Il n'est qu'un prétexte pour applaudir les joueurs une dernière fois, pour se retrouver entre amis pour regarder un match de balle, pour humer l'odeur bien particulière du stade. Les Expos perdent et dans le fond, on s'en balance. Ça ne changera rien au destin. Je dois faire une émission spéciale après le match et j'appréhende beaucoup ce moment. Le match terminé, j'emprunte le même corridor qui mène au terrain. De nombreux policiers de l'équipe SWAT sont alignés, prêts à intervenir à la fin de la rencontre. Ils ont peur qu'il y ait de la casse, que ça dégénère. C'est mal connaître les partisans des Expos. Ils sont trop peinés, ils n'ont pas la force de se battre. On leur donne finalement ordre de faire demi-tour. Tout se fait dans le calme. Je me dirige vers alors l'abri où je peux observer au premier plan les "célébrations" sur le terrain. Une chanson qui cadre bien avec l'événement se fait entendre dans le stade. " I will remember you, will you remember me..." J'écoute mes collègues Denis Casavant et Rodger Brulotte à la fin de leur émission, parler de leurs souvenirs, Rodger, pris par l'émotion, a de la difficulté à parler, Claude Mailhot sanglote ouvertement. Je jette un coup d'oeil dans les estrades et là je vois plusieurs partisans pleurer à chaudes larmes. Des couples s'enlacent. Les enfants serrent la taille de leurs parents. On pleure la perte de nos Amours. Claude Raymond s'adresse à la foule. Il remercie les amateurs de baseball. Tim Raines fait de même sous des applaudissements nourris. Pris par l'émotion, Brad Wilkerson se jette dans les bras de monsieur Raymond. Je craque moi aussi mais je dois me ressaisir rapidement car j'entre en ondes dans quelques secondes. Les joueurs des Expos lancent des balles aux amateurs. Puis peu à peu, les gens quittent le stade. Je dois faire une entrevue avec Claude Raymond. Il est sur le monticule, l'air pensif. On lui fait signe. Je ne lui pose qu'une question sur les adieux aux Expos. Reconnu pour sa franchise, il m'avoue qu'il ne sait plus comment réagir. Il pleure, il dit qu'il aime les gens de Montréal, les joueurs, le baseball. Il précise que les joueurs adoraient la ville de Montréal et qu'ils auraient aimé demeurer ici. Il ne comprend pas qu'il n'y a pas eu une personne au Canada qui ait été en mesure de sauver l'équipe. J'ai devant moi, une légende du baseball au pays, démoli par le départ de l'équipe. Comment ne pas se sentir tout croche.
Pourquoi je vous parle de cette triste journée aujourd'hui? Parce que comme beaucoup d'entre vous, je ne l'ai pas encore digéré. Mon deuil n'est pas encore terminé. J'ai de la peine pour les amateurs de baseball, pour mes enfants et tous les petits québécois qui n'auront pas la chance que nous avons eu, de voir à l'oeuvre des grands de ce sport. Ils n'auront pas le privilège de suivre des héros, de découvrir des idoles. J'ai de la peine pour tous ceux qui étaient à l'emploi des Expos, pour tous ceux qui travaillaient et gravitaient autour de l'équipe.
J'ai surtout beaucoup de peine parce que j'ai le sentiment que les dirigeants des Nationals de Washington essaient de vite faire oublier nos Amours, de balayer sous le tapis et d'enterrer tout ce concerne les Expos. Ils semblent vouloir se dissocier de cette équipe que nous avons tant aimée. Je comprends leur volonté de bâtir une nouvelle formation, mais peu importe leurs tentatives, ils ne pourront jamais effacer la belle et glorieuse histoire des Expos. Nous serons toujours là pour leur la rappeler.
On chuchotait ici et là. Les joueurs se préparaient pour le dernier match. Les agents de sécurité, les membres du personnel de l'équipe et même la plupart des journalistes avaient la mine basse. Arrivée sur le terrain, je prends une grande respiration et regarde autour de moi. Une mer de bancs jaunes et bleus. Les gradins sont déserts. Les portes ouvriront dans quelques minutes et je savoure cet instant. Moi, qui petite venait voir une quarantaine de matches par été, moi qui avait applaudi et ovationné les Carter, Cromartie, Parrish, Scott et compagnie....ces grands du baseball qui ont marqué mon enfance et m'ont inculqué une passion pour le baseball. Me voici, des années plus tard, privilégiée par mon statut de journaliste, sur le terrain où mes héros ont réalisé de nombreux exploits....pour la dernière fois...
Les journalistes arrivent un à un et envahissent le terrain. Les partisans font leur entrée dans le stade. L'atmosphère est lourde. La conférence de presse confirmant le départ des Expos pour Washington va commencer dans quelques minutes. Je croise Rodger qui a les yeux dans l'eau. Il m'accorde tout de même une entrevue malgré la peine évidente qu'il éprouve. Je vois du coin de l'oeil Stéphanie Myles de la Gazette qui verse quelques larmes. Denis Casavant donne une entrevue à Michael Weland de TSN, Claude Mailhot, les yeux rougis, se prépare pour son émission spéciale. J'arrive face à face avec ma cousine, Monique Chibok qui est à l'emploi des Expos depuis 25 ans. On se fait un gros câlin. En tentant de sécher ses larmes, elle rigole nerveusement en me disant que d'habitude, on se voit à des funérailles et que là, l'ambiance et le sentiment sont les mêmes. Une grande partie de son existence vient d'être balayée. Elle qui a été le bras droit des directeurs généraux des Expos, qui a eu la confiance des dirigeants, devra maintenant trouver un autre emploi. Pas facile.
J'emprunte le couloir qui mène à la salle où aura lieu la conférence. Je passe devant le vestiaire et j'entends des clameurs! On vient de confirmer aux joueurs qu'ils joueront à Washington l'an prochain. Je ressens un certain malaise. Un goût amer. Ils n'ont pas l'air déçu et ça me gêne profondément même si je comprends que pour eux, Américains pour la plupart, c'est l'occasion de jouer tous les matches " à la maison". Ça me brise le coeur mais comment leur en vouloir. Le gardien de sécurité à la porte du vestiaire me sourit timidement.
Le président des Expos, Tony Tavares commence la conférence de presse en disant "qu'aujourd'hui est une journée intéressante et difficile." Il ne parlera que quelques minutes. Difficile oui, voire pénible et triste. Intéressante??? Pas pour les Montréalais. Je suis en colère. Je le trouve effronté. Je vois les journalistes qui ont couvert les Expos depuis des lunes, les Rodger, Serge Touchette, Jean-Paul Sarault prendre des notes en grimaçant un peu. Pendant qu'on pleure à Montréal, on jubile à Washington.
Le match passe rapidement. Il n'a plus d'importance. Il n'est qu'un prétexte pour applaudir les joueurs une dernière fois, pour se retrouver entre amis pour regarder un match de balle, pour humer l'odeur bien particulière du stade. Les Expos perdent et dans le fond, on s'en balance. Ça ne changera rien au destin. Je dois faire une émission spéciale après le match et j'appréhende beaucoup ce moment. Le match terminé, j'emprunte le même corridor qui mène au terrain. De nombreux policiers de l'équipe SWAT sont alignés, prêts à intervenir à la fin de la rencontre. Ils ont peur qu'il y ait de la casse, que ça dégénère. C'est mal connaître les partisans des Expos. Ils sont trop peinés, ils n'ont pas la force de se battre. On leur donne finalement ordre de faire demi-tour. Tout se fait dans le calme. Je me dirige vers alors l'abri où je peux observer au premier plan les "célébrations" sur le terrain. Une chanson qui cadre bien avec l'événement se fait entendre dans le stade. " I will remember you, will you remember me..." J'écoute mes collègues Denis Casavant et Rodger Brulotte à la fin de leur émission, parler de leurs souvenirs, Rodger, pris par l'émotion, a de la difficulté à parler, Claude Mailhot sanglote ouvertement. Je jette un coup d'oeil dans les estrades et là je vois plusieurs partisans pleurer à chaudes larmes. Des couples s'enlacent. Les enfants serrent la taille de leurs parents. On pleure la perte de nos Amours. Claude Raymond s'adresse à la foule. Il remercie les amateurs de baseball. Tim Raines fait de même sous des applaudissements nourris. Pris par l'émotion, Brad Wilkerson se jette dans les bras de monsieur Raymond. Je craque moi aussi mais je dois me ressaisir rapidement car j'entre en ondes dans quelques secondes. Les joueurs des Expos lancent des balles aux amateurs. Puis peu à peu, les gens quittent le stade. Je dois faire une entrevue avec Claude Raymond. Il est sur le monticule, l'air pensif. On lui fait signe. Je ne lui pose qu'une question sur les adieux aux Expos. Reconnu pour sa franchise, il m'avoue qu'il ne sait plus comment réagir. Il pleure, il dit qu'il aime les gens de Montréal, les joueurs, le baseball. Il précise que les joueurs adoraient la ville de Montréal et qu'ils auraient aimé demeurer ici. Il ne comprend pas qu'il n'y a pas eu une personne au Canada qui ait été en mesure de sauver l'équipe. J'ai devant moi, une légende du baseball au pays, démoli par le départ de l'équipe. Comment ne pas se sentir tout croche.
Pourquoi je vous parle de cette triste journée aujourd'hui? Parce que comme beaucoup d'entre vous, je ne l'ai pas encore digéré. Mon deuil n'est pas encore terminé. J'ai de la peine pour les amateurs de baseball, pour mes enfants et tous les petits québécois qui n'auront pas la chance que nous avons eu, de voir à l'oeuvre des grands de ce sport. Ils n'auront pas le privilège de suivre des héros, de découvrir des idoles. J'ai de la peine pour tous ceux qui étaient à l'emploi des Expos, pour tous ceux qui travaillaient et gravitaient autour de l'équipe.
J'ai surtout beaucoup de peine parce que j'ai le sentiment que les dirigeants des Nationals de Washington essaient de vite faire oublier nos Amours, de balayer sous le tapis et d'enterrer tout ce concerne les Expos. Ils semblent vouloir se dissocier de cette équipe que nous avons tant aimée. Je comprends leur volonté de bâtir une nouvelle formation, mais peu importe leurs tentatives, ils ne pourront jamais effacer la belle et glorieuse histoire des Expos. Nous serons toujours là pour leur la rappeler.