Chris Boucher. Un nom que j’ai entendu pour la première fois il y a un peu plus d’un an. Un ami à moi m’informe à l’époque qu’il y a un joueur super talentueux qui est sorti de nulle part pour devenir une vedette avec les Ducks d’Oregon dans la NCAA. Et qu’il est Montréalais d’origine. Ma curiosité est piquée. Je vais fouiller sur l’internet pour trouver des statistiques et faits saillants de ses premiers pas avec sa nouvelle école et je tombe sur des séquences assez époustouflantes. Le gars est capable de tout faire! La vidéo ci-dessous représente très bien sa polyvalence :

Chris Boucher en action

Les extraits repérés sur le web n’ont rien fait pour atténuer ma curiosité. Au contraire. Son histoire me fascinait plus que jamais. D’où venait-il précisément? Où avait-il joué au Québec et ailleurs avant d’atterrir dans un des 20 plus gros programmes de basket au sud de la frontière? Et surtout, comment un jeune Montréalais ultra-talentueux de 6 pieds 10 pouces avait-il réussi à gravir les échelons de la planète basket sans jamais faire parler de lui dans sa terre natale? Rapidement, les médias ont commencé à raconter son histoire. Surtout à compter de mars 2016, alors qu’Oregon connaissait une saison de rêve et s’apprêtait à disputer le célèbre tournoi « March Madness » en tant qu’équipe classée no 1 dans la région de l’Ouest. Des articles relatant son périple hallucinant apparurent sur des médias québécois variés, mais aussi sur des publications majeures aux États-Unis : Bleacher Report, SB Nation, USA Today. Et finalement, en novembre dernier, on lui attribua même la page couverture du réputé magasine Sports Illustrated. Du jamais vu, ou presque, pour un athlète québécois tous sports confondus.

Chris Boucher, sur la couverture du magazine Sports IllustratedTenant pour acquis que plusieurs d’entre vous prennent présentement connaissance de l’existence et de l’histoire de Christopher Boucher pour la toute première fois, permettez-moi de résumer pour vous les grandes lignes des multiples articles mentionnés ci-haut :

En janvier 1993, Chris nait dans les Caraïbes sur la petite île de Sainte-Lucie. Cinq ans plus tard, sa mère, Mary MacVane, décide de déménager sa famille à Montréal afin d’y rejoindre le père de Chris, Jean-Guy Boucher. Ils vivront tous ensemble pendant quelques années dans un des quartiers les plus défavorisés du Québec, Montréal-Nord, jusqu’au divorce de ses parents en 2002. Une enfance truffée d’instabilité nuira à son éducation et contribuera à son décrochage éventuel de l’école bien avant l’obtention d’un diplôme du secondaire. Il travaillera ici et là pour aider sa famille, notamment dans une rôtisserie St-Hubert. Apprécié de ses amis, ne causant aucun problème à quiconque, le jeune homme se cherche.

Côté sport, il affectionne le hockey et le soccer durant sa jeunesse avant de faire la découverte du basketball. Sa mère ayant déménagé dans un autre quartier défavorisé de Montréal (Côte-des-Neiges) après le divorce, Chris commence à fréquenter les terrains du parc Kent. Il se découvre rapidement une passion et de fortes aptitudes pour le sport que Magic, Larry, MJ et LeBron auront rendu célèbre. Mesurant 6 pieds 1 pouce à l’âge de 16 ans, son corps se métamorphosera soudainement pour lui permettre d’atteindre 6 pieds 8 pouces. Le potentiel était évident. Restait maintenant à trouver quelqu’un, quelque part, qui allait croire en lui pour aller plus loin.

En 2012, il trouvera finalement deux personnes pour le prix d’une : Igor Rwigema et Ibrahim Appiah. Ceux-ci feront la découverte de Chris à la fin mai lors d’un tournoi annuel organisé au centre sportif de la Petite Bourgogne. Chris avait tenté de les rencontrer quelques mois auparavant pour obtenir un essai dans leur équipe, mais ils n’avaient pas répondu à sa candidature, convaincus qu’il avait sans doute voulu écrire qu’il mesurait 5 pieds 8 pouces et non 6 pieds 8 pouces (un détail de l’histoire qui ne s’invente pas). Ils cesseront instantanément de douter de son existence en le voyant marquer 44 points lors d’un seul match durant ce tournoi. Chris ne le savait pas encore, mais cette performance venait de changer sa vie. Peu de temps après, Igor et Ibrahim lui firent une proposition hors de l’ordinaire. Ils venaient de créer un programme de basket à l’Académie d’Alma permettant à des jeunes joueurs talentueux vivant dans des quartiers plus pauvres d’aller s’épanouir dans un environnement sain, loin des périls de la grande ville. Avec l’approbation de ses parents, il accepta. C’était le début d’une nouvelle vie. À 480 kilomètres du parc Kent.

Soudainement entouré de gens qui croyaient en lui, prêts à le supporter, Chris débuta une fulgurante ascension. Il passera un an à Alma, suivi de deux saisons dans des « Junior College » aux États-Unis. D’abord au Nouveau-Mexique, puis au Wyoming. Il s’agissait d’une étape inévitable dans le but de bâtir un dossier académique adéquat aux yeux de la NCAA. C’est ce qu’il fit, s’ouvrant ainsi la porte aux grandes ligues avec une offre de bourse d’études pour jouer avec les prestigieux Ducks d’Oregon en 2015. L’exploit était monumental pour un jeune homme qui n’avait jamais joué au basket organisé avant 2012. Les entraîneurs d’Oregon aimaient son potentiel athlétique, mais croyaient que sa courbe d’apprentissage allait être ardue. Surtout pour un joueur mesurant maintenant 6 pieds 10 pouces, mais pesant moins de 200 livres.

Ils découvriront toutefois un individu travaillant, facile à diriger, doté d’un calme et d’une force tranquille. Chris ne se laissera pas impressionner par son nouvel environnement et se tailla rapidement une place parmi la rotation de sept joueurs utilisés à profusion par l’entraîneur Dana Altman. Il terminera la saison avec des statistiques personnelles inespérées : 12 points, 7 rebonds et 3 tirs bloqués par rencontre. Le 25 novembre 2015, il bloque 9 tirs contre Arkansas State! Le 31 janvier, à Arizona State, il amasse 26 points, 10 rebonds et 7 blocs. Le 18 mars, en lever de rideau du tournoi « March Madness » il marque 20 points contre Holy Cross.

Impossible pour lui de poursuivre sa carrière dans l’anonymat. Dorénavant, tous les fans de basket NCAA connaissaient le nom Chris Boucher.

Les jeux spectaculaires de Chris Boucher

À près de 5 000 kilomètres de l’Oregon, j’ai suivi son histoire avec grand intérêt la saison dernière. Lorsque la NCAA a confirmé en mars dernier une dernière saison d’éligibilité NCAA pour le géant montréalais, je me suis dit qu’il fallait que je m’entretienne avec lui plus tôt que tard. Cette chance s’est enfin présentée par téléphone il y a quelques jours. J’ai fait la connaissance d’un jeune homme gentil, respectueux, lucide et doté d’une grande humilité. Si tous les articles et les éloges à son égard, les nombreux admirateurs et son nouveau statut de célébrité lui sont montés à la tête, il le cache à merveille!

Voici donc le résumé de cette entrevue :

Je n’étais pas certain dans quelle langue nous allions nous parler, mais ton français me semble impeccable.

(Rires) Je parle occasionnellement à mon père et je reviens au Québec quand je peux. J’étais là pendant le temps des fêtes. Je ne perds donc pas mon français.

Remontons au début de ton histoire si tu le veux bien. Qu’est-ce que tu retiens le plus d’une jeunesse en apparence pas évidente à Montréal?

Du bon et du moins bon. J’ai des souvenirs où je sentais que tout allait bien. Et des moments où j’étais conscient de ne pas être dans une bonne situation. Mais le plus important c’est ce que je sois encore proche de ma famille aujourd’hui. On a persévéré malgré des moments plus durs. Une des raisons pour lesquelles je progresse bien depuis quelques années, c’est l’inspiration qu’ils me donnent pour travailler fort et tenter de les sortir d’une vie pas facile.

Comment est née ta passion pour le basketball?

J’aimais beaucoup l’aspect compétitif. Je rejoignais mes amis au parc en soirée et je pouvais être là de 6 heures à 11 heures. J’adorais ça, mais je n’avais pas la chance de jouer pour une vraie équipe. J’ai commencé à envoyer des lettres ici et là, mais je recevais peu de réponses. Je me suis donc dit que la meilleure chose à faire était de continuer à développer mon jeu au parc. Je n’avais pas grand-chose d’autre à faire de toute manière. Puis j’ai embarqué dans une équipe pour un tournoi et c’est là que j’ai été découvert.

Justement, parle-moi de ce fameux week-end à l’été 2012 où tu t’es révélé au monde du basket québécois. Quels sont tes souvenirs de ce tournoi?

Je faisais partie d’une équipe qui s’était improvisée sur le tard. Nos chandails étaient pas rapport, inventés de toute pièce. On jouait contre des écoles établies comme Dawson et Vanier. Je ne connaissais rien de ces programmes à l’époque. À mon dernier match contre Dawson, je me souviens d’avoir marqué quelque chose comme 44 points. Igor (Rwigema) était venu me voir après le match et me disait que je pourrais me joindre à son équipe de l’Académie Alma si j’étais intéressé. J’aurais la chance de recommencer l’école et de m’améliorer comme joueur. C’est là que j’ai réalisé que je pouvais encore faire quelque chose de ma vie. Rien de spécial ne me retenait à Montréal de toute façon. J’ai donc sauté sur l’occasion.

Quand tu repenses à ce tournoi 4 ou 5 ans plus tard, te dis-tu que c’est un moment qui a probablement changé ta vie?

C’est certain. Je croyais juste participer à un tournoi pour me faire du plaisir, avant de retourner à ma vie normale. Quand j’y repense, je me dis que j’ai été très chanceux qu’Igor ait pris le temps de me connaître et de m’amener avec lui à l’Académie. Ça m’a donné envie de travailler plus fort. Il n’a jamais douté de moi et a réussi à me placer dans des positions pour que je puisse exceller.

Côté basket, est-ce que ton match de 44 points était purement attribuable à tes capacités athlétiques avec des rebonds et des paniers faciles près de l’anneau? Quel genre de joueur étais-tu à ce moment-là?

Je me rappelle que je courais beaucoup et que je « dunkais » souvent le ballon. J’étais plus grand que bien des joueurs adverses. Nous n’avions pas une très bonne équipe, mais ça me donnait plus de place pour prendre des tirs et m’imposer en attaque. J’ai pu montrer ce que j’étais capable de faire.

Tu te diriges donc vers Alma, une petite ville à cinq heures au nord de Montréal. Quelle fut ta première réaction en arrivant là-bas pour la première fois?

C’était tout petit. On était installés à deux minutes de marche du centre-ville. Je retiens surtout les tournois auxquels on a pu participer aux États-Unis. Nous en avons remporté quelques-uns et ça avait changé ma vie. Je n’avais jamais connu ce genre de succès avant. C’est là que tout a commencé pour moi. J’y ai aussi fait des amis que je garderai toute ma vie, des gars comme Nicky (Desilien), qui m’a ensuite suivi pendant deux ans aux États-Unis. Tout ce que j’ai accompli récemment c’est grâce à lui et les autres qui m’ont aidé en cours de route. Ils ont donné un peu d’eux-mêmes pour que je réussisse. Je vais toujours m’en rappeler.

Est-ce que c’est suite à ton séjour à Alma que tu as commencé à croire que tu pouvais un jour te rendre dans la NCAA?

Je ne le savais pas encore après mon année à Alma. C’est après mon année au Nouveau-Mexique que c’est devenu un rêve possible. Je progressais bien et je réalisais de belles choses. Quand les lettres de recrutement d’universités américaines ont commencé à rentrer à un certain moment, je me suis dit que j’avais une chance.

Pourquoi ton choix s’est-il arrêté sur l’université d’Oregon?

C’est l’endroit où on me promettait le plus de liberté au niveau de mon style de jeu. Plusieurs autres écoles qui voulaient m’avoir souhaitaient m’utiliser surtout autour du panier. Je n’ai jamais été le plus puissant en raison de mon physique. Ce n’était pas mon style. Oregon avait un bon programme et me permettait de jouer partout sur le terrain. D’utiliser ma vitesse et de tirer de l’extérieur, tout en protégeant le panier. Coach (Dana) Altman réussit toujours à me placer dans des situations où je peux réussir.

Parle-moi un peu du tournoi « March Madness » en mars dernier. Vous avez accédé au « Elite 8 » avant de subir l’élimination. L’expérience a dû être spéciale?

C’était vraiment le fun! J’avais déjà vu le tournoi à la télé et on m’en avait parlé beaucoup, mais je ne croyais jamais m’y rendre un jour. En plus, on avait une chance de tout gagner. Ça change une vie et c’est ce qui m’a motivé à revenir et à travailler encore plus fort en vue de cette saison. On était si près du but. Je veux y retourner cette année et aller encore plus loin. Je vais toujours me souvenir de mon premier « March Madness ».

Après 2015-2016, il y avait des doutes à savoir si tu serais éligible pour une dernière saison à Oregon. En plus, tu attirais l’attention de plusieurs dépisteurs de la NBA. Quand la NCAA a tranché en ta faveur pour ton retour, est-ce que ton choix est devenu clair uu as-tu hésité?

Plusieurs personnes me disaient que j’avais une chance d’être un choix de première ronde. Mais pour moi, c’était clair que la meilleure chose était de disputer une dernière année universitaire. Je voulais poursuivre mon développement et améliorer certaines faiblesses. Je ne crois pas non plus que j’étais prêt à faire le saut à la NBA avec tout ce que ça implique, sur le terrain et hors du terrain. Je suis content de ma décision.

À la suite de tous tes succès de la dernière saison, est-ce que les gens te traitent différemment lorsque tu viens faire un tour au Québec?

C’est sûr que je me fais reconnaître plus qu’avant, surtout par les joueurs de basket. Tout le monde est fier de moi et de ce que j’ai accompli. Les Québécois qui ont percé à la NCAA, et même vers la NBA, sont rares et tout le monde souhaite que je réussisse. Les messages et les commentaires que je reçois sont tous positifs.

Parlons un peu de la saison en cours. Tu as connu quelques gros matchs et tu es le deuxième meilleur marqueur des Ducks. Mais tu as subi quelques blessures et tu ne fais pas toujours partie du cinq partant. Ça se déroule comment dans l’ensemble?

Ça se passe bien. Je fais ce que j’ai à faire. Le fait de ne pas être partant ne me dérange pas. Je dirais même que ça me sert probablement de préparation pour ce que je risque de vivre dans la NBA. On est invaincus en matchs de conférence du « Pac-12 » et on est classés dans le top-10 au pays. L’équipe va bien et c’est l’important. Je me suis blessé (à la cheville) avant Noël, mais là ça va mieux. Je joue autant de minutes que l’an dernier. Je n’ai pas besoin de jouer beaucoup, surtout dans des matchs où on creuse un gros écart.

Peu de joueurs québécois ont réussi à atteindre la NBA. Il semble apparent que tu seras repêché en première ou deuxième ronde en juin prochain. Qu’est-ce que ça représenterait pour toi comme accomplissement?

Je ne croyais jamais vraiment que ça pouvait arriver un jour. J’en serais très fier, mais je dois beaucoup de tout ça à des gens qui m’ont supporté en cours de route. Des gens comme Igor et Ibrahim qui ont cru en moi. À certains moments, je n’y croyais plus, mais ils ont continué à me pousser et à me donner de la confiance. Maintenant que je m’approche du but, c’est vraiment spécial et ça me fait chaud au cœur. Je fais surtout ça pour ma famille. Je travaille pour eux, et pour les gens au Québec qui pourraient se servir de mon histoire comme modèle. Ça serait une bonne chose, je crois.

Tu deviendras aussi, dans quelques mois, le premier membre de ta famille à obtenir un diplôme universitaire. Comment cet accomplissement se comparerait-il à être repêché par la NBA?

Mon niveau de fierté serait très semblable dans les deux cas. Je crois que j’aurais pu obtenir un diplôme de toute façon, que ce soit au Québec ou ailleurs. C’était juste une question d’effort. Mais c’est excitant d’y arriver cette année à Oregon. Quant à la NBA, je réalise que c’est une chance et un exploit uniques que peu de gens ont réussi à atteindre. C’est une occasion en or et c’est vraiment excitant.

Merci beaucoup Chris, et bonne chance pour la suite des choses!