Le 8 juillet 2010, après sept saisons avec les Cavaliers pour commencer sa carrière, LeBron James annonçait son départ de Cleveland pour Miami. Le tout se déroula dans la maladresse totale, en direct au réseau ESPN, brisant par le fait même le cœur de l’Ohio tout entier.

« Comment ce talent générationnel et fier résident issu de notre coin de pays peut-il nous quitter de la sorte? », se demandait-on de façon tout à fait légitime à Cleveland. L’explication rapide? Le King était tanné que la pression d’une ville tout entière repose sur ses épaules. Il voyait l’occasion de rejoindre ses deux bons amis sous le chaud soleil de South Beach et d’accumuler les bagues de championnat. Une opportunité qu’il a saisie, sans en mesurer toutes les conséquences potentielles.

Oui, il a remporté deux trophées et a établi certaines fondations quant à son héritage personnel dans la NBA. Mais aux yeux du public, il a opté pour le raccourci ou la solution facile afin d’arriver à ses fins. Sa réputation a mangé toute une claque. Il dit aujourd’hui ne pas regretter son escapade en Floride, mais admet qu’il aurait pu faire les choses différemment. Qu’il n’avait jamais voulu faire de mal aux gens de la région et qu’il serait toujours le petit gars d’Akron (banlieue de Cleveland). Une chose est claire : les résidents de Cleveland ne croyaient plus jamais le revoir dans les couleurs des Cavs.

James et les Cavaliers peuvent célébrer!

Quatre ans et trois jours après la fameuse « décision », la surprise fut donc totale quand il annonça son départ de Miami afin de revenir au bercail. Signe que la maturité avait tranquillement cogné à sa porte pendant son exil avec le Heat, James décida cette fois de transmettre la nouvelle au grand public dans le cadre d’un sobre article publié dans la revue Sports Illustrated.

Il avait donc dit vrai en proclamant que son cœur était demeuré en Ohio et que son plus grand désir était d’offrir un premier titre professionnel à Cleveland depuis les Browns de 1964. Il se rachetait donc partiellement auprès des partisans meurtris. Restait maintenant à livrer la marchandise.

En rétrospective, la saison 2014-2015 doit être qualifiée de réussite pour LeBron et les siens. Kevin Love s’était amené du Minnesota. Kyrie Irving et Tristan Thompson ont poursuivi leur ascension. La chimie s’est installée lentement mais sûrement malgré la présence d’un entraîneur-chef recrue plutôt contesté (David Blatt). Et les Cavs ont remporté 20 matchs de plus que l’année précédente, s’avouant vaincus en grande finale, à court de ressources, face à des Warriors émergents.

Le propriétaire de l’équipe avait également démontré être prêt à tout au niveau financier pour entourer le King comme il le désirait. Il avait accepté d’échanger Andrew Wiggins contre Love, à la demande de James. Il avait accepté de payer un peu trop pour préserver les services de joueurs de soutien utiles comme Thompson, JR Smith, Iman Shumpert et cie. Il avait même accepté de limoger David Blatt en plein milieu de la saison 2015-2016, même si les Cavs étaient dans l’obligation de lui payer des millions de dollars pour encore deux saisons. Encore une fois à la demande apparente du King.

ContentId(3.1188380):NBA: Une fin holywoodienne pour les Cavaliers!
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Il n’y avait donc plus d’excuses pour LeBron. Nous avons collaboré. À toi de le faire maintenant. Les fondations étaient en place pour franchir la barrière finale en 2016, mais la question suprême demeurait : au-delà de son talent individuel inégalé dans l’histoire de la ligue, LeBron possédait-il la force de caractère nécessaire pour surmonter les embûches et mener une équipe à armes égales, ou moindre, aux grands sommets?

À mes yeux, la question n’était pas injuste. Comme je vous le soulignais en marge du premier match il y a deux semaines, la fiche de James en finale était de deux victoires et quatre défaites, avec ses deux titres obtenus aux côtés de Dwyane Wade et Chris Bosh alors que le « Big Three » de Miami était armé de talent inégalé.

Perdre une 5e finale en sept tentatives aurait été catastrophique. Le sacre de 2016 allait devoir être obtenu à la dure, face à la meilleure équipe de saison régulière de l’histoire de la NBA. Et quelle finale ce fut en bout de ligne! Sans doute une des meilleures depuis une dizaine d’années. Sûrement aussi captivante que celle de 2013, alors que Ray Allen extirpait le Heat du précipice de façon dramatique.

Après les quatre premiers matchs, seul Kyrie Irving pouvait marcher la tête haute aux côtés du King en sachant qu’il avait livré la marchandise. Love, Thompson et Smith connaissaient chacun leur part d’ennuis et Tyronn Lue avait l’air dépassé sur les lignes de côté en comparaison à Steve Kerr.

Un déficit de 1-3 n’avait jamais été surmonté en grande finale par les 32 clubs précédents à avoir tenté leur chance. Et si les Cavs voulaient y arriver, ils allaient non seulement devoir infliger trois revers de suite aux Warriors (ce qui ne leur était pas arrivé depuis 2013), mais ils allaient devoir disputer deux des trois matchs dans la forteresse d’Oakland. On les croyait donc morts et enterrés. Seule lueur d’espoir : le bouillant Draymond Green était suspendu pour la 5e rencontre en raison d’une accumulation de fautes techniques pendant les séries.

Une suspension méritée à mon avis si on fait l’inventaire de ses gestes douteux au cours des deux derniers mois. LeBron et Irving n’en demandaient pas tant pour donner une nouvelle vie à cette finale, totalisant 41 points chacun afin de revenir en Ohio. Le doute était soudainement ancré dans la tête des Warriors. Et James venait apparemment de trouver la fameuse 6e vitesse dont on le savait capable depuis toujours, mais qui ne sortait pas assez souvent aux yeux des critiques. Admirez sa progression en chiffres durant la série et tentez de trouver une faille à critiquer :

Match no 1 : 23 pts, 9 aides, 12 rebonds, 2 vols, 1 bloc
Match no 2 : 19 pts, 9 aides, 8 rebonds, 4 vols, 1 bloc
Match no 3 : 32 pts, 6 aides, 11 rebonds, 1 vol, 3 blocs
Match no 4 : 25 pts, 9 aides, 13 rebonds, 2 vols, 3 blocs
Match no 5 : 41 pts, 7 aides, 16 rebonds, 3 vols, 3 blocs
Match no 6 : 41 pts, 11 aides, 8 rebonds, 4 vols, 3 blocs
Match no 7 : 27 pts, 11 aides, 11 rebonds, 2 vols, 3 blocs

Il a mené à lui seul chacune des cinq catégories statistiques d’envergure sur la totalité des sept matchs. Pas juste pour les Cavs, mais pour les deux équipes. Et ses moyennes de 30 points, 11 rebonds et 9 aides pour une série finale ne sont égalées que par un autre joueur dans l’histoire du circuit : LeBron James lui-même en 2015. Tout simplement sensationnel!

Et ce que je retiendrai le plus de sa performance lors du 7e match, malgré un pourcentage de tirs réussis en bas de ses moyennes de saison, ce sont ses contributions au-delà des points marqués. Il a mené un effort défensif collectif hors pair qui aura empêché les Warriors de marquer un seul point lors des quatre minutes dernières et 40 secondes du duel ultime. Son bloc du tir en foulée tenté par Andre Iguodala avec moins de deux minutes à faire (et le pointage égal à 89) restera gravé dans les archives de la NBA à tout jamais.

Superman est un personnage fictif, mais LeBron James a prouvé en chair et en os qu’il savait voler! Ce sont dans des instants précis comme celui-là qu’on constate qu’il n’est plus le jeune homme qui a choisi de fuir l’adversité en 2010. Que vous aimiez ou non le personnage (et je sais que plusieurs ne l’aimeront jamais), vous deviez lui lever votre chapeau hier soir en constatant l’ensemble de son œuvre lors des trois derniers matchs. Personne ne jouait plus gros que LeBron en grande finale et il pourra dormir en paix cet été.

Au-delà des théories de conspiration plutôt loufoques avancées par, entre autres, la conjointe de Steph Curry sur Twitter (comme quoi la NBA voulait à tout prix un 7e match avec de grosses cotes d’écoute), cette finale se résume aussi de façon très simple : les vedettes des Cavaliers (LeBron et Irving) ont dominé les meilleurs joueurs des Warriors (les Splash Brothers). C’est surtout Steph Curry qui a semblé « manquer de gaz » dans la dernière étape d’une saison épique :

Moyennes de saison régulière de Curry : 30,1 pts, 5 rebonds, 7 aides, 50 % du périmètre

Moyennes en finale : 22,6 pts, 5 rebonds, 4 aides, 40 % du périmètre

Sans oublier que Golden State dans son ensemble a raté ses neuf derniers tirs de l’extérieur lors des matchs no 5 et 7. Tous les deux à domicile. Une note que j’ai revérifiée à deux reprises tellement ça me paraissait invraisemblable.

Cela ne devrait toutefois par faire trop d’ombrage à un exploit que les experts croyaient impossibles dans l’ère du plafond salarial : battre le record de 72 victoires établi par les Bulls de Michael Jordan. Tout porte à croire que Golden State demeurera parmi les 3 ou 4 clubs favoris pour tout rafler en 2017.

Pour revenir aux nouveaux champions en terminant, le réseau ESPN a présenté un documentaire tout à fait percutant et approprié il y a quelques semaines sur les cauchemars sportifs de la ville de Cleveland au fil des ans. On y parlait des Indians, qui ont servi de risée du baseball pendant quelques décennies à un tel point qu’ils ont inspiré un film sur le sujet (Major League). On y parlait des Browns et des années de gloire menées par Bernie Kosar où ils ont presque touché au trophée Vince Lombardi, mais sans succès.

Et aux Cavaliers de l’époque de leur grand ennemi Michael Jordan, puis celle de LeBron. Toujours bons, mais jamais assez bons. Cinquante-deux ans après leur dernier trophée, les démons d’une communauté patiente et passionnée sont enfin exorcisés. La ville du rock and roll mérite de se payer un beau long party.