Le combat attendu entre Éric Lucas et Librado Andrade pourrait s'avérer historique puisqu'il pourrait s'agir de la dernière présence dans le ring de l'un des pugilistes les plus étonnants et les plus courageux dans l'histoire de la boxe au Québec.

Étonnant parce que Lucas, qui s'est battu dans huit combats de championnat du monde, était destiné à devenir un vague champion canadien au départ. Le talent n'est pas ce qui sautait aux yeux à ses débuts. Il l'a façonné, peaufiné. Il est devenu champion en y mettant les efforts et les sacrifices nécessaires.

Courageux parce qu'il s'est parfois mesuré à des adversaires qui n'étaient pas dans la même ligue que lui. On n'a qu'à penser au Français Fabrice Tiozzo et au dangereux Roy Jones qu'il a affrontés en l'espace de six mois, sans trop d'expérience, il y a 14 ans déjà.

Courageux aussi parce qu'il s'attaque demain soir, à Québec, à un rival dangereux. Trop puissant et trop fort physiquement pour lui, prétendent les experts. Tout cela après un combat préparatoire pas très exigeant survenu en décembre à la suite d'une absence de quatre ans.

Chose certaine, à l'aube de ses 39 ans, il trouve encore le moyen d'étonner son entraîneur, ami et employé, Stéphan Larouche. Quand Larouche lui a proposé Andrade comme adversaire, il aurait sans doute pu manifester le désir de s'offrir un autre combat moins compliqué avant d'accepter de se mesurer à cette bête mexicaine qui est déjà venue à cheveu de surprendre Lucian Bute. Il a pourtant dit oui avec enthousiasme.

Au fait, Éric, as-tu déjà eu peur dans l'arène? Peur de te faire blesser? Peur de te mesurer à plus fort de toi et d'en sortir très amoché?

«Non parce que j'ai toujours été bien préparé. Quand tu te bats et que tu fais bien tes devoirs, tu as toujours la conviction que tu peux livrer la marchandise. Quand je me suis battu contre Tiozzo et Jones et qu'on ne donnait pas cher de ma peau - encore moins que demain soir -, j'y étais allé avec confiance parce que je jouissais d'une préparation adéquate.»

A-t-il été difficile de retrouver la forme physique qui pourrait te permettre d'aller jusqu'à la limite de cette bataille contre Andrade, un boxeur qui avance constamment et qui laisse rarement à ses adversaires reprendre leur souffle?

«Honnêtement, les choses ont été bien faites. Je m'entraîne continuellement depuis deux ans. J'ai fait mon combat de retour en décembre et je n'ai jamais cessé de m'entraîner par la suite en m'assurant de garder une bonne petite base d'entraînement. Dès qu'on a annoncé le combat contre Andrade, j'ai foncé le pied dans le tapis, de sorte que je me retrouve dans une forme exceptionnelle. Une forme supérieure à celle que j'ai affichée en fin de carrière. Je n'ose pas trop le dire, mais je frappe aussi bien qu'à mes meilleurs moments.»

Plus le combat va avancer, est-ce que ton âge pourrait devenir un facteur?

«De la façon dont je me sens en ce moment, je ne le crois pas. Le seul facteur qui pourrait jouer contre moi dans ce combat serait de tomber dans le piège d'Andrade qui pourrait m'inciter à faire ce qu'il désire, c'est-à-dire d'échanger coup pour coup avec lui dans une bataille très physique. Notre stratégie est bien différente de celle-là. Je sais que je ne suis pas le favori. Toutefois, si je suis bien le plan de match que nous avons élaboré, je n'aurai pas de difficulté à disputer 10 rounds si jamais on devait se rendre jusque-là.»

Depuis le jour où Stéphan Larouche t'a proposé d'affronter Andrade, y a-t-il eu un moment au cours duquel tu t'es demandé si tu n'avais pas choisi un adversaire trop fort pour toi?

«Je n'ai jamais eu de doute, au contraire. À mesure que l'entraînement avançait, je sentais que la progression se faisait bien. Je ne déborde pas d'une confiance aveugle parce que je suis conscient de ce qui m'attend, mais je me dis que ce combat est parfait pour moi.»

Tu crois encore avoir la vitesse et l'agilité pour lui tenir tête?

«On a travaillé sur ces deux aspects. Il n'est pas un boxeur très fluide. Sur ce plan, je ne serai pas désavantagé. Je me suis soumis à ce que j'appelle une préparation de petit vieux. Au lieu de m'astreindre à deux ou trois heures par séance d'entraînement, je me suis limité entre 45 et 75 minutes, mais à raison de trois fois par jour, de façon à éviter que je tombe dans une surcharge de fatigue ou que je me blesse. Je suis satisfait où j'en suis en ce moment. Demain, je m'attends à causer une belle surprise.»

Comment peut-on est confiant de vaincre un boxeur qui a déjà poussé Bute à la limite?

«Je vais vous dire comment je suis arrivé à me motiver pour ce combat. Je crois que Librado Andrade se retrouve dans la même situation que la mienne quand j'ai affronté Mikkel Kessler en 2006. Il est un gars fatigué qui a livré de gros combats ces dernières années et qui s'est fait passer le K.O. à la dernière occasion. Il ne peut pas se présenter frais comme une rose. Entre 2003 et 2005, j'avais disputé des combats qui avaient nécessité de grosses préparations. Ça vient te chercher physiquement et mentalement, ces affaires-là. Encore plus pour un gars comme Andrade qui y va toujours d'un effort très physique et qui mange plusieurs coups de poing. Je pense qu'il est actuellement aussi fatigué que je l'étais en 2006. Quant à moi, je suis reposé physiquement et mentalement. De ce que je connais de la boxe, c'est ma façon d'analyser les choses».

Quand tu avais été le seul à prédire que Bute le battrait en cinq rounds à Québec, qu'avais-tu vu cette fois-là qui t'avait incité à te mouiller de cette façon?

«C'était pour les mêmes raisons que je viens de mentionner. Sa seule façon de boxer, c'est d'utiliser sa force physique. Ça signifie qu'il ne peut pas être un boxeur différent d'une fois à l'autre. Bute, de son côté, s'était beaucoup amélioré à l'entraînement. À la boxe, si tu encaisses et tu encaisses, à un certain moment, tu vas fléchir. Bute l'avait tellement dominé dans le premier combat que j'étais convaincu qu'il serait encore meilleur dans le second.»

Si tu gagnais, est-ce que cela te rapprochait d'un combat pour le titre ou s'il te faudrait livrer deux ou trois autres combats pour y arriver?

«Je ne veux pas penser tout de suite à l'après-combat. Je vais évaluer la situation. Je ne dis pas que je vais me retirer si je gagne, même s'il est également possible que je le fasse. En remportant la victoire, je serai sûrement motivé pour disputer un autre combat, mais je vais quand même évaluer toutes les options. Je veux que ce soit un retour agréable. Toutefois, si on ne me propose pas des combats intéressants, je vais probablement m'arrêter».

Si tu perdais, est-ce que ce serait automatiquement la retraite ou si cela dépendrait de la façon dont cette défaite aurait été encaissée?

«Si je ne gagne pas clairement, d'une façon très décisive, où si la décision est controversée, on va réfléchir à cela bien sérieusement. J'ai mon idée sur la façon dont ça va se terminer. Je sais dans quoi je m'embarque. Je suis confiant parce que je suis bien préparé.»

Si tu pouvais changer quelque chose à ta carrière, est-ce qu'il y a un aspect que tu souhaiterais différent?

«J'aurais aimé me comporter comme je l'ai fait au cours des deux dernières années. J'aurais été plus sérieux. J'aurais fait plus attention à moi, surtout au niveau de la nutrition. Je mange tellement mieux; j'ai modifié mon mode de vie. Je suis un gars plus tranquille, plus détendu. Malgré tout cela, dans la vie, je crois qu'il ne faut rien regretter. J'ai eu une belle vie; j'ai eu du plaisir. Je suis passé à une autre étape et ça aussi, c'est agréable. J'ai quand même connu une belle carrière et je m'en offre une seconde toute aussi agréable en ce moment.»

Finalement, ton épouse, qui t'accompagne dans cette autre aventure, aborde-t-elle ce combat avec la même confiance que toi?

«Je ressens un peu sa nervosité. Elle sait que j'ai accompli tout ce qu'il fallait faire dans la préparation de ce combat. Elle sait aussi que j'ai mis beaucoup de sérieux dans ma vie au cours des deux dernières années. Je pense que cela la rassure. Elle est nerveuse, mais je crois qu'elle a confiance en moi.»