"Camil qui?"

"DesRoches. Camil DesRoches."

"Connais pas. Jamais vu ni connu. Que fait-il dans la vie ce Monsieur DesRoches?"

"Rien. Camil est mort en 2003, il y aura exactement six ans le 12 avril, à Pâques. Il avait 88 ans. Il a travaillé 47 ans pour le Canadien avant de prendre sa retraite ou, devrait-on dire, une semi-retraite en l993, l'année de la dernière conquête de la coupe Stanley par le Canadien. Depuis, il prie là haut, pour que son club remporte sa 25e coupe. Hum...Camil pourrait prier encore longtemps. Pas grave. Y a pas d'autre chose à faire".

C'est en 1946 que Camil DesRoches a été embauché à plein temps par le Canadien. Il a été publiciste, directeur des communications, secrétaire de route, conseiller spécial, etc...etc... Il aurait pu jouer sur l'attaque à cinq, s'il avait su patiner, ou encore conduire la Zamboni, s'il avait eu son permis de conduire. S'il y a un personnage dont le nom restera à tout jamais gravé dans l'histoire du Canadien, c'est bien Camil DesRoches. Cadet d'une famille de 19 enfants, ce Montréalais d'origine avait tenté sa chance comme chroniqueur sportif à l'hebdomadaire "Le Petit Journal", puis au quotidien "Le Canada" en 1938. C'est alors qu'il fut invité par Tommy Gorman, directeur général du Canadien, à traduire en français les communiqués de presse destinés aux médias. Faudrait préciser qu'ils étaient moins nombreux qu'aujourd'hui. Quand Gorman fut remplacé par Frank Selke en 1946, Camil fut embauché comme directeur des relations avec les médias sur une base régulière. Il a suivi les activités du Canadien pendant des décennies jusqu'à sa retraite en 1993.

Rarement peut-on trouver un employé aussi loyal et fidèle envers ses patrons que Camil DesRoches. Surtout de nos jours. Un homme de compagnie, qui ne comptait pas ses heures et qui ne tolérait jamais les demi-mesures. Un soir, avant un match du Canadien au Forum contre les Rangers, les parents de Camille Henry et de son épouse, Dominique Michel, étaient pris de panique à l'entrée des journalistes. Les billets de courtoisie laissés par l'étoile des Rangers pour sa famille avaient été égarés ou oubliés.

Alors à titre d'ami personnel de Camille, que j'avais connu du temps qu'il jouait pour les Citadelles de Québec chez les juniors, je m'empresse de mettre Camil au courant du problème tout en le suppliant de s'efforcer de le régler. DesRoches me répondit :

"Camil Henry ? Qu'est-ce qu'il fait pour nous autres, lui?".

"Rien. Il joue pour Rangers. Son job est de compter et de battre le Canadien. Et il s'acquitte très bien de sa tâche."

Ce n'était rien pour aider la cause. Toujours est-il que DesRoches, n'écoutant que son courage et malgré ses convictions, a réglé la situation, mais non sans maugréer.

À la rescousse du "Rocket"

Remontons aux années '50. La veille avait été dure pour le Canadien et surtout pour le "Rocket" au Forum contre les Rangers. Les deux clubs avaient pris le même train après le match, à destination de New York, où ils se rencontraient le lendemain soir. Maurice brouillait encore du noir le dimanche matin. Tout le monde sait qu'il était un mauvais perdant, qu'il acceptait mal la défaite et qu'il avait mauvais caractère. L'arbitre Hugh McLean n'avait pas été tendre la veille envers Maurice et le Canadien. Il avait même été injuste, d'une sévérité inutile pour ne pas dire malhonnête. Maurice l'avait encore sur le coeur.

Pour lui changer les idées, Camil Desroches l'invita à l'accompagner à la cathédrale St-Patrick de New York, pour l'office religieux dominical. Les deux hommes s'étaient donné rendez-vous le matin dans le lobby de l'hôtel Piccadilly, où habitait alors le Canadien, lors de ses voyages dans la Métropole américaine. Oh surprise ! En traversant le lobby de l'hôtel, Maurice et Camil arrivent soudainement face à face avec l'arbitre de la veille au Forum, Hugh McLean. Sans hésitation, le "Rocket" empoigne l'arbitre au collet et n'eut été la prompte intervention de son compagnon, Camil, qui sait ce qui serait arrivé à l'officiel. Et à Richard plus tard. Il aurait certainement été suspendu. Qui sait.

Finalement, Richard retrouva son calme et poursuivit sa route avec Camil. Il va sans dire que Clarence Campbell, président de la Ligue nationale, lança un avertissement formel au "Rocket" afin que de tels incidents ne se produisent plus. On peut aussi se demander si la carrière du plus grand joueur de l'histoire du Canadien n'aurait pas été sérieusement compromise, si Camil ne s'était pas trouvé au bon endroit au bon moment et n'était pas intervenu. Par la suite, Campbell a également pris une sage décision, en défendant aux officiels d'habiter le même hôtel que les joueurs. Il aurait pu y penser avant. Comme au baseball.

Veuf, il avait épousé sa belle soeur

J'avais personnellement diner avec Camiil en 1988 au Chateau Champlain, lors d'une soirée de retrouvailles marquant le 40e anniversaire de la conquête de la coupe Memorial par le Royal Jr. Le Royal Jr était, en '48, devenu la première équipe montréalaise à gagner la coupe Memorial. Belle soirée. Tout le monde était heureux. Veuf depuis quelques mois, Camil s'était empressé de me présenter sa nouvelle épouse, sa belle soeur, avec qui il avait décidé de restructurer sa vie. Hum...J'entends déjà les commentaires. Du calme. On ne peut pas empêcher un coeur d'aimer.

J'ai revu Camil par la suite, notamment aux Fêtes de la fermeture du Forum et de l'inauguration du Centre Molson (Bell depuis). Il était toujours jovial et adorait ressasser de vieux souvenirs surtout, avec les gens de son époque. J'ai entendu sa voix pour la dernière fois aux "Amateurs de sport" sur les ondes de CKAC lors de la mort d'Émile Genest. Il avait été invité à faire l'éloge de l'ancien comédien qui fut également son ancien collègue à la "Ligue du Vieux Poêle". C'était quelques mois avant que Camil ne soit lui-même emporté par le destin.

Ce qui est triste et regrettable, c'est de constater que dans le cadre des fêtes et célébrations du Centaire du Canadien, le nom de cette légende qu'est Camil DesRoches, n'ait jamais ou rarement été mentionné, ou refait surface. Autre temps, autres moeurs.

Peut-être un jour....