Par Nicolas Landry - Fait d'armes, exploit, miracle. Le jargon sportif est rempli des mots souvent galvaudés dans le but de toucher l'imaginaire ou de faire vibrer une corde sensible. On se gardera donc une petite gêne ici, si vous permettez, mais entendons-nous tout de même sur un point.

Il y a assurément un petit quelque chose de spécial dans ce que le Canadien s'est placé en position d'accomplir. Jamais, depuis que la Ligue nationale a adopté le format actuel pour son tournoi éliminatoire, une huitième tête de série n'est parvenue à combler un déficit de 1-3 contre l'équipe favorite de son Association.

C'est la tâche presque insurmontable qui attendait la formation montréalaise il y a un peu moins d'une semaine et lundi soir, grâce à une victoire de 4-1 dans un Centre Bell enflammé, il s'est donné une chance de réussir cette improbable première.

En remportant un premier match éliminatoire à domicile depuis le 24 avril 2008, le Tricolore a poussé à la limite une série qu'il était, selon l'avis de la majorité, condamné à perdre. La rencontre ultime aura lieu mercredi dans la capitale américaine.

En mission depuis le début de la deuxième saison, Michael Cammalleri a mis son équipe sur la bonne voie en marquant deux buts en l'espace de 99 secondes à mi-chemin au premier tiers. Limité à deux petites passes lors des neuf derniers matchs de la saison régulière, le petit numéro 13 a récolté au moins un point dans chaque match depuis le début des séries.

Mais le Canadien ne serait jamais sorti vainqueur de ce duel sans lendemain sans une performance spectaculaire de Jaroslav Halak, qui a certainement offert l'une des prestations les plus mémorables par un gardien local depuis que le Canadien a élu domicile sur la rue De la Gauchetière. Les 53 arrêts qu'il a réalisés représentent d'ailleurs un record d'équipe pour un match éliminatoire disputé en 60 minutes.

"Nous sommes sortis forts en première en prenant l'avance. C'était vraiment important pour nous, surtout devant nos partisans qui nous encourageaient", a déclaré Halak qui, même après avoir mis plus de 21 000 fidèles à ses pieds, a été égal à lui-même en redirigeant les honneurs vers ses coéquipiers.

"Nous avons égalé la série, mais nous avons encore un match à jouer. Nous n'avons rien à perdre et ils doivent gagner."

Si Halak a refusé les accolades au terme d'une performance qui a fait trembler le Centre Bell, ses coéquipiers n'avaient que son nom en bouche.

"Parfois, un gardien effectue 50 arrêts et c'est une belle performance, mais ce soir c'était encore mieux que ça, s'est exclamé Cammalleri. Il semblait toujours au bon endroit et il a aussi fait de superbes arrêts de réaction. Que peut-on demander de plus?"

"C'est complètement ridicule, s'est esclaffé P.K. Subban, rappelé des Bulldogs de Hamilton en début de journée pour prendre part à ce match mémorable. Je ne sais pas quoi dire de plus. Il multipliait les arrêts et chaque fois, les joueurs se regardaient sur le banc. On n'en croyait pas nos yeux."

"C'est la plus belle performance d'un gardien à laquelle j'ai pu contribuer, n'a pas hésité à dire Josh Gorges. Il y en a sûrement eu d'autres comparables, mais je n'en faisais pas partie."

"Ça a bien été, mais ce soir, c'est le soir de Jaroslav, a humblement répondu Maxim Lapierre, l'auteur du troisième but de son équipe, quand on lui a demandé s'il venait de disputer l'un de ses bons matchs en carrière. Il a vraiment fait un travail exceptionnel et c'est le fun de le savoir aussi confiant avant de partir pour Washington."

Lapierre a donné au CH une importante avance de trois buts au début de la troisième période, n'interrompant que momentanément le bombardement en règle auquel était soumis Halak à l'autre bout de la patinoire. Entrant à pleine vitesse sur l'aile droite, il a poussé un plomb qui est passé par-dessus l'épaule gauche de Varlamov, peut-être lui-même hypnotisé par les prouesses de son vis-à-vis.

"On parle toujours d'utiliser notre lancer et c'est ce que j'ai fait, a résumé Lapierre. Mais pour moi, c'est plus la victoire que le but. On le dit depuis le début de la série. Personne ne nous donne une chance de gagner, mais nous voilà devant un match numéro sept."

Tomas Plekanec a mis le point d'exclamation à la fête en complétant la marque dans un filet désert.

Le spectacle du slovaque

Halak a été l'ancre de son équipe quand elle a commencé à partir à la dérive au début de la deuxième période, bloquant onze lancers des Capitals avant même que ses coéquipiers ne parviennent à tester pour la première fois Varlamov.

Lors d'une séquence d'environ une minute et demie pendant une pénalité à Lapierre, Halak a volé Joe Corvo en sortant la mitaine, Alexander Semin qui lui a décoché une bombe dans le plastron sur un lancer sur réception et Alexander Ovechkin, qui a tenté de lui glisser la rondelle entre les jambières sur une échappée partielle.

Assis sur le bout du banc des Capitals, José Théodore devait se revoir en bleu-blanc-rouge voler les Bruins de Boston lors des séries de 2001-02.

Mais le Canadien serait aujourd'hui en vacances si Halak s'était arrêté là.

Le Canadien a écopé des deux premières pénalités du deuxième engagement et c'est encore Halak qui l'a sorti du pétrin. Les Caps ont décoché quatre lancers sur leur première attaque à cinq, mais le portier du CH les a tous bloqués, le dernier avec Eric Fehr embarqué sur son dos.

Quelques minutes plus tard, Halak est sorti de son demi-cercle pour défier Corvo, qui s'est élancé de toutes ses forces seulement pour être frustré par la mitaine du gardien. Le deuxième quart-arrière des Caps avait raison de hocher la tête en regardant au ciel : il a terminé la rencontre avec un total de dix tirs au but.

Semin et Ovechkin ont ensuite goûté à la médecine de l'homme masqué, qui avait bloqué 28 lancers quand son équipe a finalement pu recompter sur cinq joueurs à mi-chemin dans le match.

Halak était encore rempli d'énergie pour la troisième, la meilleure des Capitals cette saison. Il a fait face à 22 tirs au dernier tiers seulement, inspirant une équipe qui a dû se débrouiller trois autres fois en désavantage numérique. Son arrêt aux dépens de Tomas Fleischmann, qui faisait face à une cage déserte jusqu'à ce que le gardien étire le bras pour gober le disque, ressort du lot.

"Jaro" a finalement cédé sur le 52e tir des Capitals, avec 4:50 à jouer en troisième période. Aussitôt qu'Eric Fehr l'a déjoué, Halak a été salué par une ovation debout.

"Je ne peux pas tout arrêter", a-t-il lancé à la blague lorsqu'un journaliste l'a taquiné dans le vestiaire.

Les tirs au but à la fin du match : 54-22 à l'avantage de la visite.

Du jeu inspiré en première

Halak n'a pas eu à attendre longtemps avant de prouver qu'il était prêt à faire face à la musique. Les Capitals ont réussi cinq tirs dès la première minute du match, mais il a donné à Semin, Brooks Laich et John Carlson un aperçu de ce qui les attendait pour le reste de la soirée.

Après ce léger faux départ, les joueurs du Canadien ont enfoncé le pied sur l'accélérateur. Andrei Kostitsyn a profité de la première bonne chance de marquer des siens après avoir accepté un relais de Cammalleri, mais son tir a raté le filet de justesse.

Subban n'a pas perdu de temps pour se mettre dans le bain. Le dynamique défenseur a charmé un auditoire qui en fera certainement son favori au cours des prochaines années en servant une solide mise en échec à Matt Bradley dès sa première présence sur la patinoire.

Jumelé à Roman Hamrlik, Subban a pris son tour régulier sur la deuxième vague de l'attaque à cinq et a joué pendant une dizaine de minutes.

"Je me sentais très calme, pour être honnête, s'est réjouit Subban. Je voulais éviter d'être trop excité et me concentrer sur ce que j'avais à faire et je suis content du résultat. Peut-être que le fait d'avoir joué hier avec les Bulldogs m'a aidé. J'étais encore en mode ‘match'."

Cammalleri a ouvert la marque sur le premier jeu de puissance du match. Marc-André Bergeron a décoché un tir de la pointe qui a dévié sur le joueur qui lui servait d'écran, mais son ailier gauche s'est emparé de la rondelle et a décoché une flèche qui a sifflé près du bloqueur de Varlamov avant de faire vibrer les cordages.

Les clameurs de la foule embrasaient encore l'amphithéâtre quand Cammalleri a doublé la mise sur un tir en provenance du même emplacement. Après une mise en jeu remportée par Plekanec, Subban a cédé le disque au tireur d'élite, qui a surpris Varlamov avec un tir sans avertissement qui l'a déjoué du côté de la mitaine.

Glen Metropolit était déjà au cachot quand Roman Hamrlik a envoyé la rondelle dans les gradins en tentant de dégager son territoire, procurant aux Caps un avantage numérique de deux hommes. Mais des gros jeux de Hal Gill et Josh Gorges combinés à un arrêt sublime de Halak aux dépens de Laich ont permis au CH de sauver la mise.

Ce n'était qu'un début…

Arbitre ou lifeguard ?

Frustré par Varlamov dans la dernière minute de la première période, Lapierre a disputé un vrai match de séries. Rapide, agressif, arrogant, il a fait son travail à merveille avec la complicité de Dominic Moore et Tom Pyatt.

Mais Lapierre n'en a pas fait assez pour impressionner les officiels… au contraire ! Le fougueux attaquant a écopé de non pas une, mais deux punitions pour avoir plongé de façon intentionnelle : la première fois lorsqu'il est tombé face première sur la glace après ce qui semblait être une mise en échec par derrière dans le coin de la patinoire et l'autre quand il a visiblement été victime d'obstruction en effectuant de l'échec-avant.

Les officiels ont également puni Brian Gionta pour le même type d'offense en début de troisième période.

"On ne peut pas toujours être d'accord avec les arbitres", s'est sagement contenté de dire Lapierre en retenant un sourire.

"Il nous a donné une présence physique, on voit qu'il continue de gagner en confiance, a constaté l'entraîneur Jacques Martin. Il utilise bien sa vitesse et c'est bien de voir qu'il a été récompensé ce soir."