Nous écoutions avec beaucoup d'intérêt, Michel Bergeron, François Gagnon et moi, l'intéressante entrevue que Stéphane Langdeau avait réalisée avec Serge Savard, à l'Antichambre, lundi soir, quand mon collègue de La Presse a laissé tomber sur un ton teinté d'envie : «Maudit que vous étiez chanceux dans le temps de pouvoir communiquer aisément avec un directeur général comme lui.»

Cela ne m'avait jamais frappé. On était tous tellement habitués au style de Savard qu'on avait l'impression qu'il s'agissait d'une relation normale. François avait raison. Savard a été le patron du Canadien durant 13 ans. L'équipe a tout vécu sous sa férule : des moments désastreux, des saisons fort respectables et ses deux dernières coupes Stanley. Il y a eu des accrochages bien sûr, mais rien qui n'ait laissé des séquelles sérieuses entre les médias et lui.

C'était à une époque malheureusement révolue où le directeur général du Canadien était un homme accessible. On était souvent à un coup de fil près d'une bonne explication ou d'un commentaire intéressant de Savard. Pas étonnant qu'on recherche encore ses commentaires aujourd'hui.

Il avait de la prestance et il était respecté à la grandeur de la ligue. Ses opinions étaient à l'image du personnage; elles avaient du poids.

Le jour et la nuit entre le Sénateur et celui qui occupe son ancien fauteuil : Pierre Gauthier. Qu'on me comprenne bien, Gauthier est un homme de hockey qui a du vécu. Il a des idées bien arrêtées sur la façon dont le hockey doit être administré. Sauf que ses idées, il les garde souvent pour lui. Quand il s'ouvre un peu, ses propos sont souvent intéressants, mais il y a malheureusement trop d'aspects de son métier qu'il préfère garder pour lui. Il nous cache souvent des informations comme s'il s'agissait de secrets d'État, mais on comprend surtout qu'il n'est pas intéressé à perdre un temps précieux à éduquer les journalistes et la fidèle clientèle de l'organisation par ricochet.

Dans son fauteuil de l'Antichambre, Savard est apparu calme, pas le moindrement préoccupé par les questions qu'on avait préparées pour lui. Il était aussi comme ça dans le temps. Tout le contraire de Gauthier qui, face aux médias, est généralement stressé, méfiant et renfermé.

Pourtant, les questions auxquelles les dirigeants du Canadien font face de nos jours n'ont rien pour les mettre en boîte. Le ton des médias est rarement mordant, peut-être parce qu'on les a habitués avec le temps à modérer leur transport. En somme, tout le monde marche sur les oeufs dans l'entourage du Canadien. Les interrogatoires sont timides et les réponses qu'on en tire sont évasives. Comme si chacun se méfiait constamment de l'autre. Cela n'aide malheureusement personne dans la couverture des activités quotidiennes de l'équipe.

Cela dit, Savard a tenu des propos fort intéressants dans le cadre de cette entrevue. Il s'est dit notamment convaincu qu'il y aura un autre conflit de travail dans la Ligue nationale en 2012. Pas dans une tentative pour réduire le salaire des joueurs, mais pour améliorer un contrat collectif qui désavantage nettement les équipes des petits marchés qui se voient forcées de respecter un plancher salarial de 48 millions $ sans en avoir les moyens. C'est un système qui pourrait éventuellement acculer plusieurs équipes à la faillite, surtout si le plancher continue d'augmenter au même rythme que le plafond.

Dans un tel contexte, par exemple, une équipe de Québec pourra-t-elle générer suffisamment de revenus pour pouvoir verser continuellement 48 millions en salaire à ses joueurs? Plus important encore, qui peut prédire la valeur qu'aura atteint le plancher salarial quand la Vieille Capitale entrera une seconde fois dans la Ligue nationale: 50, 52, 54 millions $?

C'est cette perspective qui a incité Savard à prédire une dure négociation entre Gary Bettman et le représentant des joueurs, Donald Fehr, qui n'a jamais perdu une bataille syndicale au baseball. C'est lui qui était à la tête de l'Association des joueurs du baseball majeur quand la fin de la saison et la Série mondiale de 1994 ont été annulées.

Il sera également intéressant de connaître la réaction du public si jamais on lui impose un autre arrêt des activités. Attendez-vous à ce que joueurs et propriétaires se fassent joliment brasser. Imaginez un peu ce qui se passera dans les villes où les joueurs évoluent déjà devant des gradins clairsemés. Si l'intérêt n'y est déjà pas pour ces sportifs indifférents, un autre conflit pourrait les inciter à dépenser leur dollar loisir ailleurs, une fois le hockey de retour. Qui pourrait les en blâmer après tant d'ingratitude de ces millionnaires jamais satisfaits?

Québec a fait peur au Canadien

Il est de notoriété publique que le départ des Nordiques de Québec a fait très mal au Canadien. Sans la présence de ce rival teigneux à l'autre extrémité de l'autoroute, le Canadien n'a pas ressenti la même obligation de progresser année après année et de gagner coûte que coûte.

Si les Nordiques avaient continué de lui mettre un fer rouge aux fesses, l'équipe la plus titrée du hockey n'aurait probablement pas traversé une séquence embarrassante de 18 saisons consécutives sans coupe Stanley.

Savard l'a confirmé en y allant d'une déclaration que personne chez le Canadien n'avait faite jusque-là. «Dans le temps, notre grande peur, c'était que les Nordiques deviennent l'équipe du Québec», avoue-t-il.

Pour contrer cette peur, Savard s'est appliqué à repêcher le plus de joueurs francophones possible. Durant ses 13 saisons en poste, il en a réclamé 43, dont Patrick Roy, Claude Lemieux, Stéphane Richer, Benoit Brunet, Éric Desjardins, Sergio Momesso, José Théodore et Patrice Brisebois.

Savard s'est permis de lancer une flèche à l'endroit de ceux qui lui ont succédé. «Quand Québec reviendra dans la ligue, les deux équipes vont se mettre à la recherche du talent local, dit-il. Le Canadien va faire des pieds et des mains pour acquérir des joueurs du Québec, ce qu'il n'a pas fait depuis une quinzaine d'années.»

Les faits lui donnent raison. Depuis son congédiement, il y a 16 ans, les seuls Francophones repêchés par le Canadien qui ont patiné dans la Ligue nationale, José Théodore, Mike Ribeiro, François Beauchemin, Maxim Lapierre et Guillaume Latendresse, ont tous été envoyés ailleurs pour des miettes. Imaginez, cinq Québécois du calibre de la Ligue nationale seulement en 16 ans.

Geoff Molson, Pierre Gauthier et Trevor Timmins ont encore deux ou trois ans devant eux pour corriger la situation et se donner une longueur d'avance sur les prochains Nordiques. Le feront-ils? Ça reste à voir.