Marc Bergevin n'a pas paru très à l'aise à Tout le monde en parle, dimanche soir. On a probablement voulu faire ressortir le talent de comédien qui dort en lui, mais peut-être a-t-on un peu forcé la note.

Bergevin est dans son élément quand il blague entre boys. Il peut l'être tout autant dans un point de presse, comme il l'a démontré en affrontant les médias montréalais la semaine dernière. Dimanche, l'auditoire était fort différent et les répercussions d'une mauvaise performance plus risquées. Les intervenants ne sortent pas toujours grandis de cette émission.

Quand un jeune DG représente pour la première fois une équipe qu'il aime et qu'il respecte depuis sa tendre enfance, il ne faut pas s'attendre à ce qu'il fasse les frais du spectacle. Bergevin a donc été drôle, sans plus.

Ce qui est déjà pas mal mieux que les deux directeurs de pompe funèbre qui l'ont précédé chez le Canadien et qui, au fil des dernières années, sont parvenus à endormir leurs patrons, leurs joueurs, le public et les médias.

Par ailleurs, Bergevin n'aurait pu choisir une meilleure situation pour se sentir apprécié. Comme il s'en vient remplacer Bob Gainey et Pierre Gauthier, les partisans auraient été heureux de lui dérouler le tapis rouge si le Canadien ne l'avait pas fait avant eux.

On en sait encore peu sur lui, mais on imagine qu'il ne sera pas du genre à changer de trottoir pour éviter les journalistes. Comme tout bon directeur général, il ne dévoilera pas de grands secrets, mais il aura des réponses à offrir. Il serait également très étonnant que le département des communications l'incite à la prudence dans ses commentaires. Il parlera en son nom et il assumera ses propos.

Après son premier contact avec Montréal, on m'a demandé si le Canadien a déjà eu un directeur général aussi rigolo que Bergevin. Personnellement, j'en ai côtoyé sept. Aucun d'eux ne peut se comparer au patron nouvelle vague qui vient de s'asseoir dans ce fauteuil.

Le premier a été Sam Pollock. Son surnom de Godfather lui allait fort bien. Pas facile d'accès, impénétrable. Une énigme pour plusieurs. Trop fort pour ses homologues. Il ne fallait pas insister quand il se refermait comme une huître. C'était un stratège rusé qui poussait l'astuce jusqu'à retourner les appels des journalistes du beat une fois l'heure de tombée de leurs journaux bien expirée.

Irving Grundman lui a succédé. Il n'aurait jamais dû occuper cette fonction. À ses côtés, le défunt Ronald Caron en menait large en lui faisant profiter d'un vécu de hockey que Grundman ne possédait pas. Cependant, il a été le plus jovial et le plus amical de tous ces directeurs généraux.

Puis est arrivé Serge Savard avec zéro expérience, mais avec un jugement sûr. Il n'a pas toujours connu de bonnes séances de repêchage, il n'a pas toujours effectué de grandes transactions, mais ses équipes, qui ont remporté deux coupes Stanley, étaient très souvent dans le coup.

Réjean Houle est venu le remplacer. Parlant d'un homme qui n'aurait jamais dû se retrouver là. Ce n'est pas de sa faute si Ronald Corey l'a sorti de chez Molson pour lui confier une mission impossible. Bien sûr, Houle aurait pu refuser sa proposition, mais comme il l'a déjà expliqué, Corey lui avait demandé de servir le Canadien. Quand un Glorieux recevait ce genre d'appel, il ne pouvait dire non.

André Savard a enchaîné avec son bagage d'expérience à tous les niveaux. On a tout de suite vu qu'il avait un plan. Malheureusement, tout comme dans le cas de Houle d'ailleurs, il a dû travailler avec des moyens réduits alors que l'équipe roulait dans le rouge. Il n'y avait pas de plafond salarial dans le temps, mais le Canadien n'avait pas le budget pour suivre la compétition. Savard a été intelligent, affable, droit comme un chêne, mais trop franc pour être directeur général.

Puis, le sauveur de la famille Molson et de George Gillett est venu reprendre sa place dans le giron du Canadien. Bob Gainey était celui qui devait redonner de la crédibilité au Canadien. Il a vite imposé sa loi. Des têtes sont tombées autour de lui, dont celles d'honnêtes employées de bureau qui servaient l'entreprise depuis nombre d'années. Il a expulsé les médias des vols nolisés avec l'assentiment de Pierre Boivin. Quand on passe par les Molson pour obtenir ce poste et quand le propriétaire te qualifie de génie, le président a peu de choses à redire. Quand on a carte blanche, on conduit aussi l'équipe là où on veut. Gainey ne l'a sûrement pas entraînée vers le haut.

Finalement, c'est sa copie conforme, Pierre Gauthier, qui a pris la relève. Il a fait pire encore. Il a muselé toute l'organisation. Il était la seule voix de l'entreprise. Quand on pense qu'il fallait passer par lui pour avoir l'autorisation de parler à l'entraîneur des Bulldogs de Hamilton, ça dit tout. C'est une chance que Molson ait finalement vu clair dans cette Tour de Babel qui a fait sombrer le Canadien dans le ridicule.

On a milité en faveur de BriseBois

Geoff Molson n'avait jamais connu mieux que Gainey et Gauthier avant de tomber sur Bergevin. Oh qu'il a dû y voir une différence. Bergevin n'a pas l'expérience des deux autres, mais il est ouvert d'esprit. Il a un regard moderne sur le job. Il traite le monde avec respect, pas comme des subalternes que Gauthier avait tendance à regarder de haut.

Dans ses premiers rapports avec Bergevin, Molson a probablement compris que le Canadien aurait mis des années à redevenir crédible dans les cercles du hockey avec Gauthier à sa tête. Et il a sans doute mieux saisi dans quel traquenard il l'avait entraîné en obtenant son assentiment pour placer derrière le banc un entraîneur unilingue anglophone.

Une forte majorité des médias montréalais a fait campagne pour Julien BriseBois durant la période de réflexion du duo Savard-Molson. On l'avait observé à distance dans un rôle effacé, mais efficace au sein du Canadien. On en avait vu suffisamment pour découvrir un jeune administrateur brillant, intelligent et posé. Des qualités qui n'ont pas échappé à Steve Yzerman qui a été soulagé de voir le Canadien passer outre à sa candidature. BriseBois a un avenir à Tampa ou ailleurs, c'est assez évident.

On croyait qu'il était l'homme de la situation à cause de sa rapide ascension dans le hockey. C'était sans doute aussi parce qu'on ne savait rien de Bergevin qui avait quitté le Québec, il y a 28 ans. Quand on a étudié plus attentivement son parcours hors glace et quand on a vu les éloges pleuvoir de partout sur lui, on a compris que Molson et Savard avaient accouché d'un homme beaucoup mieux préparé pour cette responsabilité qu'on aurait pu l'imaginer.

Ses prédécesseurs ont été si drabes que Bergevin ne peut que bien paraître dès le départ. Il a déjà beaucoup déconstipé l'organisation par son ouverture d'esprit, par sa jovialité et surtout par son intention très claire de ne pas faire de cette responsabilité de prestige un «one man show». C'est un homme qui a la réputation de travailler en équipe et qui insiste sur la nécessité de placer la formation devant les individus, y compris lui-même, comme s'il s'agissait de la seule et unique recette à succès.

J'ai aimé ce qu'il a rétorqué quand on a voulu lui faire dire que l'avenir du Canadien passe par Carey Price et P.K. Subban.
«Price et Subban sont des «morceaux» de l'équipe, a-t-il dit avec fermeté. Personne n'est plus important que le groupe.»

Et l'entraîneur maintenant

Le plus intéressant reste à venir. L'identité du prochain entraîneur captive tellement les gens que l'ensemble des médias canadiens semblent vouloir s'en mêler. Attendez-vous à diverses rumeurs, comme ce fut le cas dans la recherche pour un directeur général.

Quand Hockey Night in Canada a suggéré le nom de Joel Quenneville, en prenant le soin d'ajouter «qu'il ne parle peut-être pas français, mais qu'il le comprend», on a réalisé une nouvelle fois à quel point l'autre solitude comprend mal la réalité du Québec. On voit dans le prochain choix de l'entraîneur une intention d'opter à tout prix pour un candidat francophone au détriment d'un anglophone sans doute plus crédible à leurs yeux.

Heureusement, le nom de Quenneville vient de s'effacer de lui-même. Plusieurs noms vont continuer à circuler. Qui sait, peut-être que Bergevin a déjà son homme en tête. Le peuple réclame Patrick Roy et même si Bergevin a la personnalité pour détendre un entraîneur aussi intense que lui, il regarde peut-être dans une autre direction.

Ce qui ne nous empêche pas de croire qu'un ancien joueur des Saguenéens jumelé à un gars des Remparts pourraient offrir au Canadien la touche québécoise que Bergevin espère lui redonner. Deux gars aussi passionnés qui rêvent jour et nuit à la victoire, on n'a pas vu cela souvent ces dernières années.

Je pense que le dernier duo qui puisse représenter pareille image a été celui d'André Savard et de Michel Therrien. Passionnés, honnêtes, survoltés dans la victoire et enragés dans la défaite, ils nous ont tous les deux laissé un très bon souvenir.