Il faisait un froid de loup sur Montréal en ce 10 décembre 1958. Pas tellement de neige, mais un mercure qui oscillait en bas des moins 21 degrés celsius.

Mais gel ou pas, neige ou non, circulation dense ou non, c'était fête au village. Ce soir-là, au vieux Forum, le pêcheur de Baie Ste-Anne s'attaquait au vieux Mangoose, Archie Moore pour le titre mondial des mi-lourds.

Qui ne connaissait pas Yvon Durelle, la perle de l'Acadie! Après tout, il était champion mi-lourds du Canada, et monarque de l'Empire britannique. Mais peu croyaient en ses chances de victoire, pas contre un vieux renard comme Archie Moore. Nous espérions mais pas plus.

Pour la première fois de sa vie, mon épouse m'accompagnait pour ce combat. Encore aujourd'hui, cinquante ans plus tard, je jette un coup d'œil sur mon biceps droit pour voir si les bleus qu'elle m'avait causés pendant le combat, tellement elle était partisane, sont bel et bien disparus.

Un peu comme un accident, tout est arrivé si vite. Le combat venait à peine de commencer que Moore se retrouvait au tapis, assommé sur une droite foudroyante de l'Acadien.

Personne, mais personne, Durelle le premier, n'en croyait ses yeux. D'ailleurs, Durelle était tellement sidéré qu'il tardait à rejoindre le coin neutre. Tellement que l'arbitre Jack Sharkey, ex champion mondial des poids lourds, a dû prendre au moins vingt secondes avant de terminer le compte de neuf.

Inutile de dire que le vieux Mangoose, chancelant, était parvenu à se relever. Si vous croyez que Lucian Bute a connu un compte très long contre Librado Andrade, vous auriez dû être là en 1958!

Trop bon gars

Avant que le premier round ne prenne fin, Moore avait imité Notre Seigneur en tombant trois fois au sol et en se relevant à chaque reprise. Malheureusement pour nous le règlement des trois chutes au tapis n'existait pas dans le temps sinon Durelle aurait été déclaré champion mondial.

C'était la fête dans le Forum. Tout le monde criait, se tapait dans le dos. Et enfin, on entendit la cloche pour le deuxième engagement.

Malheureusement, Durelle pour une raison que j'ignore ne s'est pas rué sur son rival. Peut-être voulait-il reprendre un peu son énergie. Et le bonhomme Moore en profita pour récupérer quelque peu.

Au cinquième, une autre claque de Durelle couche le champion, mais il se relève aussitôt.

La fin du rêve approchait. À partir de la sixième reprise, Moore était parvenu à reprendre ses sens. Et on voyait que tous nos cris, nos encouragements, toutes nos tapes dans le dos ne permettraient pas à Yvon Durelle de devenir le Rocky des temps anciens.

Finalement, ce qui devait arriver arriva. C'était en onzième reprise. Durelle, totalement vidé n'en pouvait pratiquement plus tandis que Moore devenait de plus en plus fort de minute en minute.

Et enfin, c'était le KO…, onzième round et victoire pour le vieux Mangoose qui parvenait à conserver sa couronne mondiale. Mais non sans heurt.

Malgré tout, ca valait les deux piastres que nous avions payés pour faire garder nos deux enfants. Quant au billet d'entrée, je ne l'avais pas payé et celui de mon épouse, c'était une gracieuseté d'un admirateur. Même dans ce temps là, j'en avais…

Pour sa soirée de travail, Moore a touché la jolie somme de 75 000$. Quant au pêcheur de Baie Ste-Anne, incroyable mais vrai, il n'a pas mis plus de 6 000$ dans ses poches.

Si vous vous demandez où je place ce combat parmi les meilleurs. Très près de la tête, avec Durand-Leonard, au Stade olympique. Matthew Hilton, Buster Drayton, au Forum. Melo-Marcotte à Verdun. (Marvin Hagler, Sugar Ray Leonard). (Rocky Marciano, Jersey Joe Walsott). (Rocky Marciano, Joe Louis). (Miguel Angel Cotto, Antonio Margaritto), et je vais arrêter là, car dans quelques mois, le 12 août 2009, on fêtera le deuxième affrontement entre Moore et Durelle. Mais ça, c'est une autre histoire.

Bonne boxe.