Champion des poids super-moyens de l’IBF d’octobre 2007 à mai 2012, Lucian Bute a terminé sa carrière avec une fiche de 32-5, 25 K.-O. Il a été choisi comme étant le 4e plus grand boxeur québécois du XXIe siècle à la suite d’une consultation auprès d’experts et d’amateurs à RDS.ca.

C'est une histoire d'amour comme nous en avons rarement vu entre un athlète et le public québécois. L’ancien champion du monde IBF des super-moyens Lucian Bute a été un athlète plus grand que son sport au Québec.

« Tu devrais le signer Yvon, c'est un futur champion ». En pleine préparation pour son combat contre Marcus Beyer, ce conseil d'Éric Lucas à Yvon Michel à propos de son partenaire d'entraînement était prémonitoire.

Le reste fait partie de l'histoire. Une histoire sous forme de conte de fées pour un jeune Roumain, qui à l'âge de 23 ans est arrivé à Montréal, au gymnase de Stéphan Larouche, avec qui il a perfectionné sa science de la boxe en accéléré, enchaînant 15 knock-out dans un fulgurant début de carrière professionnelle, au même rythme où il a appris la langue française.

Cette sensibilité et cette volonté de pouvoir communiquer aisément avec le public et cette authenticité palpable émanant de ce grand Roumain au regard tantôt déterminé, tantôt attendrissant, ont créé un phénomène qui a brièvement contribué à amener la boxe québécoise à un niveau jamais égalé sur la scène internationale. Quand Bute se battait au Centre Bell, tous les yeux de la planète boxe se tournaient dans cette direction, où Montréal avait des allures de Las Vegas.

L’âge d’or de la boxe québécoise

Les lumières s'éteignent. Les milliers de spectateurs hurlent au même moment que se font entendre les premières notes de l'ouvrage complexe de Brian Eno et The Edge. L'introduction de « Where The Streets Have No Name » résonne tant dans l'édifice de la rue des Canadiens-de-Montéal que dans les maisons de Pechea en Roumanie. Bute marche vers le ring suivi de Larouche et de toute l'équipe : c'est l'âge d'or de la boxe-spectacle au Québec.  Les uns adulent Bute, les autres favorisent l'autre « king in town », Jean Pascal.

Supporté par son public, peu importe l'adversaire qu'il a devant lui, Bute règne de 2007 à 2012. Avec sa boxe alerte, rapide, efficace, analytique, appuyée par un excellent jab et une gauche chirurgicale, le gaucher défend son titre IBF des super-moyens à 9 reprises. Certaines victoires ont été plus difficiles que d'autres, à commencer par cette défense ardue contre Librado Andrade. Mais les doutes soulevés par cette fin de combat épique n'auront d'égal que la satisfaction de la « revanche ». C'est justement après cette victoire controversée d’octobre 2008 que Bute connaît ses moments les plus éclatants, avec une série de 6 victoires consécutives par knock-out, souvent réussies à l'aide du terrifiant crochet de gauche au foie. Chaque victoire du clan Bute est célébrée en équipe, une grande cellule soudée sous la gouverne de Jean Bédard, président d'Interbox.

Le combat qui aurait dû être reporté

25 mai 2012. Après une pesée galvanisante sous le soleil de plomb, où Bute a bravé Carl Froch , supporté par la clameur des dizaines de Québécois et Roumains qui se sont déplacés à Nottingham en Angleterre pour le combat face au perdant du tournoi du « Super Six », le clan Bute est réuni dans le lobby de l'hôtel qu’ils occupent pour une belle tradition. L'équipe regarde le montage vidéo du camp d'entraînement où tous les membres de l'équipe sont mis en valeur. La bonne humeur et la confiance règnent au sein de la « famille Bute », même si le boxeur est incommodé par une blessure à un pied et qu'il a recours à des antibiotiques depuis 2 semaines. Pour Bute, pas question de reporter le combat en raison du déplacement de tous ses partisans.

Pour Froch, la situation est toute autre. L'aspirant obligatoire de l'IBF est le négligé, surtout après avoir été dominé par Andre Ward, lors de son combat précédent. Il sait d'ailleurs que s'il perd, c'est la retraite.

Alors qu'il se bat devant ses partisans, Froch doit rapidement faire taire les nombreux « Bute, Bute » scandés en début de combat. Le Cobra se déchaîne. Il livre une prestation qui le mènera probablement un jour au Temple de la renommée de la boxe et remporte un 3e titre mondial, 4 ans après son premier titre obtenu au même endroit, face à Pascal.

La défaite sera dure à avaler pour l'équipe Bute. La confiance du boxeur est disparue. Deux ans plus tard, c'est toujours plongé dans ces tourments que Bute affronte Pascal, dans un duel que tout le Québec souhaitait, mais qui n'est pas à la hauteur des attentes. Le boxeur confiant et souriant a laissé sa place à un homme traqué au regard incertain lorsqu’il marche vers le ring sous les premières notes de l’album « The Joshua Tree ». Le travail de destruction annoncé par Bute la veille n’a pas eu lieu.

Si près d’un nouveau titre

Larouche et Bute mettent un terme à leur association de près de 10 ans et l'ancien champion se tourne brièvement vers Freddie Roach puis Howard Grant. L'entraîneur montréalais relance la carrière de Bute, qui à 2 reprises, passe tout près de ravir les titres détenus par James DeGale et Badou Jack. L'histoire ne connait pas le dénouement attendu, en plus d'être assombri par un toujours nébuleux test antidopage positif.

Après une défaite contre un Eleider Alvarez en pleine ascension, Bute fait ses adieux à la boxe lors d'une conférence de presse digne des grands retraits sportifs, entouré de cette grande famille qui l'a accompagné tout au cours de sa route. « Le peuple québécois a toujours été derrière moi. Vous m'avez donné de l'amour, même après mes mauvaises expériences, et je vous remercie. »

Jean-Luc Legendre