Muhammad Ali a laissé son empreinte sur l'histoire des sports au Canada grâce à deux victoires contre le tenace George Chuvalo, incluant un inoubliable duel au Maple Leaf Gardens de Toronto en 1966, au moment où celui surnommé « The Greatest » était mêlé à une controverse au sujet de son refus de servir dans l'armée américaine engagée dans la guerre du Viêt Nam.

Le premier duel a fait de Chuvalo un héros national pour le simple fait qu'il soit demeuré debout pendant 15 rounds face au plus rapide et plus talentueux pugiliste de son époque. Pour Ali, qui a rendu l'âme vendredi à l'âge de 74 ans après un long combat contre la maladie de Parkinson, il s'agissait d'une opportunité de montrer au monde qu'il ne plierait pas face à ceux qui demandaient qu'il soit banni de son sport.

Le deuxième affrontement a été présenté au Colisée du Pacifique, à Vancouver, en 1972. Ali avait promis qu'il serait le premier à envoyer Chuvalo au tapis avant de voir le pugiliste torontois encaisser ses coups sans jamais tomber pendant 12 autres rounds. En 93 combats professionnels, Chuvalo n'a jamais été expédié au plancher.

En 1981, Ali n'était plus que l'ombre de lui-même lorsqu'il a perdu le dernier combat de sa carrière face à l'ancien champion du monde des poids lourds Trevor Berbick, de Halifax, dans un duel disputé à Nassau, au Bahamas.

Chuvalo pensait qu'il avait perdu toute chance d'affronter le charismatique Ali après la défaite du Canadien aux mains de Floyd Patterson en 1965. Cependant, la carrière d'Ali a bifurqué lorsqu'il a été jugé éligible pour son service militaire. Ali a refusé et avait prononcé la célèbre phrase : « Je n'ai pas de querelle avec les Vietcongs ».

Le 29 mars 1966, Ali devait croiser le fer avec Ernie Tyrrell à Chicago, mais à la suite d'une réaction de colère de la part d'anciens combattants américains, la Commission athlétique de l'État d'Illinois a déclaré le combat illégal en raison de la position "antipatriotique" du boxeur américain. Aucun autre État n'a voulu sanctionner le combat, et Tyrrell s'est désisté lorsqu'il a constaté qu'il y avait peu d'argent à récolter.

Alors, les gérants d'Ali, menés par Bob Arum qui allait alors faire la promotion de son premier combat, ont regardé vers le Canada. Montréal a retiré sa candidature lorsque des anciens combattants ont menacé de boycotter l'Exposition internationale de 1967, mais Harold Ballard, propriétaire du Maple Leaf Gardens, a accepté d'accueillir l'affrontement. Chuvalo a relevé le défi avec un délai de 17 jours.

Chuvalo était perçu comme un boxeur de deuxième niveau à l'époque, mais il a suscité l'admiration de la presse spécialisée internationale et du public canadien pour le courage qu'il a affiché dans l'arène.

La plupart des juges ont accordé 13 des 15 rounds à Ali, mais les inlassables attaques de Chuvalo et son menton de granite ont fait de lui un héros malgré la défaite.

« Il a montré que les Canadiens n'étaient pas mous », a déclaré Lennox Lewis, un autre ancien champion du monde des poids lourds.

« L'art de se tenir debout »

Dans les heures qui ont suivi la nouvelle de la mort d'Ali, Lewis a fait part de sa réaction sur Twitter.

« Un géant parmi les hommes, Ali a affiché une splendeur grâce à son talent, son courage et ses convictions que la plupart d'entre nous ne parviendront JAMAIS à vraiment comprendre. #RIPAli. »

Il a fallu des années à Chuvalo avant qu'il n'apprécie ce qu'il avait accompli.

« Lorsque des gens disent 'Vous devez être fier de ce combat', je réponds 'Fier de quoi? J'ai perdu le combat' », a-t-il déclaré dans le livre « Facing Ali », publié par le journaliste Stephen Brunt en 2002.

« Mais pour des raisons étranges, les Canadiens ont été fiers. J'ai rendu mes compatriotes fiers d'être Canadiens et c'est quelque chose qui me réconforte. »

En 1972, les temps avaient changé. Ali a été arrêté pour insoumission en 1967 et il ne s'est pas battu pendant quatre ans, soit jusqu'à ce que la Cour suprême lui donne finalement raison en 1971. Ali était alors devenu une sorte de héros pour une nouvelle génération de gens qui s'opposaient à la guerre.

« Un porte-étendard de valeurs »

Il tentait de remonter au sommet du monde la boxe lorsqu'il a affronté Chuvalo à Vancouver.

Le résultat a été identique au premier combat, soit une victoire à sens unique pour Ali. Mais celui-ci a plus tard admis que Chuvalo avait été « l'adversaire le plus coriace qu'il n'avait jamais affronté. »

Le Montréalais Otis Grant, un ancien champion du monde des poids moyens, a affirmé qu'Ali avait transcendé le monde du sport.

« Il a été phénoménal, et on ne parle même pas de ses talents de boxeur. Personne, peu importe le sport, n'a eu l'impact qu'il a eu dans le monde. De son séjour en prison pour avoir refusé de faire la guerre avant de recevoir la médaille de la Liberté par le président des États-Unis et d'être nommé messager de la paix par les Nations unies. Quel athlète s'est même approché un peu de ce qu'il a accompli. Je ne pense pas que nous verrons un autre athlète comme lui pendant notre existence. »