Vous ne serez peut-être pas d’accord avec moi. Et je suis d’accord avec vous.

Même moi, après avoir regardé le combat à deux reprises, je ne suis pas d’accord avec moi-même!

Malgré les statistiques qui donnent un net avantage à Badou Jack sur les coups qui ont touché la cible, 278 fois contre 179 fois pour Bute selon CompuBox, le combat a paru relativement serré. Et j’emploie le verbe paraître, car en boxe, c’est la « perception » des juges qui fait foi de tout. Les juges sont les mieux placés, mais n’ont pas accès aux statistiques et aux reprises. Tant que nous n’aurons pas une technologie ultra précise qui serait capable de mesurer la force de l’impact d’un coup sur une cible clairement identifiée, la boxe demeurera un sport « d’impressions ».

Samedi, situé à une dizaine de mètres de Badou Jack et de Lucian Bute au D.C. Armory, j’accordais au champion en titre une victoire incontestée au compte de 117-111, comme l’a fait le juge Stephen Rados. Lundi matin, devant mon écran de télévision, j’accorde le même pointage que les juges Omar Minton et Glen Crocker, c’est-à-dire, un combat nul de 114-114. Rappelons que même s’ils ont ramené un pointage identique, ces deux juges n’ont pas des cartes identiques. Leur évaluation des rounds 3, 8, 9 et 12 est complètement différente. Et si le juge Crocker avait donné le 12e round à Lucian Bute, comme l’estiment plusieurs, c’est Lucian Bute qui serait le gagnant sur sa fiche!

La feuille de pointage des trois jugesÉvidemment, ce résultat controversé et intéressant nous force à l’analyser sous différents angles. Mon collègue Francis Paquin s’est également prêté à l’exercice. Si nous regardons les cartes des trois juges, nous pouvons noter plusieurs choses bien intéressantes :

Seulement quatre rounds ont fait l’unanimité auprès des juges. Jack a unanimement remporté les rounds 1, 2 et 5 et Bute a gagné le 4e selon les trois officiels.

On se retrouve donc avec huit rounds qui ont été vus de manière différente, ce qui est énorme. Et avant d’accuser les juges d’incompétence, comme l’ont fait à chaud le co-promoteur Floyd Mayweather Jr et le président du WBC Mauricio Sulaiman (même si c’est son organisme qui a assigné ces trois personnes), regardons qui a jugé quoi. Quatre fois sur huit, c’est le juge Rados (celui qui a donné le 117-111) qui a été le seul à voir le round à sa manière. Trois fois sur quatre, ses décisions solitaires ont favorisé Badou Jack, comme par exemple au 11e round. Mais les juges ont été placés dans un contexte où leurs convictions personnelles ont fait pencher la balance, entre la puissance ou le volume.

Scores combinés pour chaque roundDevant tant de disparités, une des manières intéressantes de juger le combat est de combiner le total des trois juges pour chacun des rounds, comme je l’ai fait sur le tableau suivant. De cette manière, Badou Jack gagne sept rounds et Lucian Bute en gagne cinq. Ce pointage de 115-113 semble très raisonnable. Mais accordez un ou quelques rounds très serrés à Bute, comme le 3e, le 8e et le 9e, et le scénario est différent. La carte combinée des juges devient alors nulle, ou peut même accorder la victoire à Bute.

Un effort insuffisant

Mais pour que Bute ravisse la ceinture de Jack, il aurait dû en faire beaucoup plus. L’ancien champion du monde est le premier à l’admettre. En début de combat, on sentait qu’avant même de toucher la cible, Bute avait l’intention de se retirer. Les coups n’étaient que posés sur le champion, qui a par ailleurs effecté un superbe travail en boxant de manière concentrée, prudente et compacte. De nombreuses analyses ont noté que Bute n’avait ni la puissance ni la vitesse pour décrocher un titre mondial. Vrai que Bute n’a pas réussi à ébranler son rival, contrairement à ce qu’il avait fait lors de son duel contre DeGale et même Jean Pascal. Sauf qu’il a pu tout de même appliquer une bonne pression dès le 8e round.

Caricature de Lucian ButeEt il aurait probablement pu continuer de cette manière jusqu’à un 15e round. Bute a offert à Jack un 11e round d’enfer et on peut se demander jusqu’à quel point le bandage du gant de Jack a pu être « décollé » intentionnellement dans la pause avant l’engagement final. Jack en avait plein les bras dans les deux premières minutes du 12e round, et la pause pour rattacher la bande lui a donné un répit qui lui a permis de terminer le combat en force.

Badou Jack est champion et c’est parfait comme ça. Dans un combat d’unification contre James DeGale, il pourrait avoir la chance de repartir avec les titres IBF et WBC, surtout si le Britannique boxe comme un bouffon comme il l’a fait contre Rogelio Medina. Imaginez un instant que Badou Jack, devenu champion unifié, décide d’effacer le nul majoritaire à son dossier et affronte Lucian Bute dans un combat que tout le monde aimerait revoir.

On disait que le combat de samedi dernier était celui de la dernière chance pour Bute. On avait également dit cela en novembre, et on l’avait mentionné avant son duel contre Jean Pascal. Peut-être que Bute pourrait avoir une quatrième dernière chance! À la lumière du résultat serré contre Badou Jack, il le mérite.