Quand Lucian Bute a fait remarquer à l'entraîneur Stephan Larouche qu'il devait interrompre son entraînement parce que la douleur qu'il ressentait à la main gauche était intolérable, c'est comme si Jean Pascal, le groupe GYM, InterBox et les vrais mordus de boxe du Québec avaient tous reçu un foudroyant coup au plexus.

Il y avait si longtemps qu'on attendait cette bataille. Pascal l'avait réclamée à grands cris pendant deux ans, mais Bute était occupé ailleurs. Finalement, quand les deux plus belles bêtes de boxe au Québec ont été détrônées à l'échelle mondiale, l'évènement est devenu possible.

Curieusement, cette fois, c'est InterBox qui a fait des pieds et des mains pour l'organiser. Avec un boxeur qu'on disait pas totalement remis de sa raclée contre Carl Froch, on s'est étonné qu'on insiste autant pour affronter un Pascal confiant et dans une forme physique à faire peur.

Mais quelle était cette idée de permettre à Pascal et Bute de faire un maître au Québec alors qu'ils avaient encore la possibilité de remonter les échelons en vue d'obtenir une autre chance à l'échelle mondiale?

Pour l'argent, bien sûr. Ils auront éventuellement l'occasion de toucher la plus grosse bourse de leur carrière. Et deux fois plutôt qu'une puisque la revanche sera toute aussi rémunératrice. Il n'y a pas un combat de championnat du monde qui aurait pu leur valoir de toucher un tel magot. Sans doute aussi pour assurer la survie financière des deux entreprises, même si Jean Bédard prétend que les boxeurs touchent plus d'argent que les promoteurs.

Par contre, il y a aussi une bonne part de risques pour InterBox qui compte moins de boxeurs que son concurrent dans son écurie. Si Bute perdait le combat initial et la revanche sur laquelle ils se sont entendus, ce serait probablement la fin d'InterBox.

Bédard se redresse dans son fauteuil. «Je ne comprends pas que tout le monde dise cela, lance-t-il, offusqué. Si Lucian perd, il aura la possibilité d'affronter Froch avec lequel nous avons aussi une entente pour une revanche. Et puis, dites-moi, est-ce que tous les boxeurs qui encaissent une défaite s'empressent d'annoncer leur retraite? Nous avons perdu un combat contre Froch que nous considérons comme un accident de parcours. Manny Pacquiao a encaissé six ou sept défaites et il est toujours actif.»

D'autres plans pourraient être chambardés. Bute et Pascal ne s'affronteront pas avant décembre, peut-être même en janvier 2014, ce qui reculera fort loin un combat Froch-Bute. Il sera peut-être même trop tard pour permettre à Bute de revoir le Britannique. Qui dit que Froch ne sera pas à la retraite quand Bute sera disponible pour lui? Il a déjà pas mal fait le tour de son jardin. Âgé de 35 ans, il a déjà fait allusion à la possibilité de se retirer s'il perd son rendez-vous avec Mikkel Kessler dans quelques jours.

«Les choses changent vite à la boxe, ajoute Bédard. C'est bien possible qu'une bataille Froch-Bute n'ait jamais lieu.»

Un combat local?

Bédard affirme qu'il n'y a rien de mieux qu'un combat contre Jean Pascal pour replacer Bute sur la scène internationale. Pascal est un boxeur jouissant d'une belle feuille de route. Il est connu mondialement. Quand Bute a fait savoir que le moment était venu de l'affronter, une décision sur laquelle Larouche était d'accord, Bédard s'est empressé de mettre le train sur les rails.

Même si le public est dans l'attente d'un combat déjà largement publicisé et pratiquement vendu à 100%, Bédard affirme qu'on a tort de considérer l'évènement comme un combat local. Si c'était le cas, il précise que le réseau HBO n'aurait jamais accepté de le retransmettre.

«C'est un combat de calibre mondial entre deux anciens champions du monde. C'est gros comme évènement. HBO n'achète pas des batailles locales», dit-il.

C'est bien beau tout ça, mais une fois le premier verdict connu, il n'y aura plus qu'une tête d'affiche à Montréal, comme l'a déjà fait remarquer Pascal.

«Pas nécessairement, ajoute Bédard. Là où Jean et Lucian en sont dans leur carrière, les ceintures n'ont plus la même importance. Ce qui compte, c'est leur feuille de route et ce qu'ils ont accompli quand ils se sont battus à la télé. C'est le genre de spectacle qu'ils ont offert dans les moments importants. C'est ça qui captive les gens. Il y a de très gros combats dans lesquels il n'y a pas de ceintures à l'enjeu. Les ceintures permettent aux boxeurs d'acquérir une notoriété qui va les aider à faire progresser leur carrière. Nous avons la chance d'organiser un combat entre deux boxeurs locaux qui créera de l'intérêt à travers le monde. Les gens ne réalisent pas qu'il s'agit d'un combat international. Pour nous, c'est aussi gros que si on se battait contre Carl Froch. C'est même plus important encore parce que HBO avait refusé d'acheter Bute-Froch.»

Pascal: l'adversaire parfait

À la suite de l'entente conclue par les deux camps, le gagnant aura l'option de ne pas accorder immédiatement une revanche à son rival. Ce qui veut dire que Bute pourrait affronter Froch s'il est toujours là. Pascal, de son côté, pourrait vouloir se mesurer à Bernard Hopkins.

Par ailleurs, avant le combat entre Froch et Bute, disputé le 26 mai 2012, les promoteurs avaient convenu qu'advenant une défaite du Roumain, il pouvait livrer un ou deux combats lui permettant de retrouver sa notoriété avant de l'affronter à nouveau. À l'époque, ils ne croyaient jamais devoir attendre plus de deux ans avant de se revoir.

«Dans quelques mois, si Lucian l'emporte contre Pascal, nous l'aurons notre revanche contre Froch et toutes les télés seront là, précise Bédard. Voilà pourquoi, ce combat contre Pascal est parfait pour nous.»

Question de maintenir l'intérêt au cours des six prochains mois, peut-être que Pascal amusera la galerie en y allant d'une poursuite contre InterBox qu'il accuse d'avoir caché une vieille blessure à la main de Bute. Une menace qui n'a fait perdre le sommeil à personne au royaume des Cages aux sports.

«S'il fallait qu'on porte attention à tout ce qu'il dit..., laisse tomber Bédard. Jean est sans doute très déçu de la tournure des événements. C'est parfaitement compréhensible. Ces choses-là arrivent à la boxe. Je peux vous dire que la catastrophe aurait été plus grande encore s'il avait fallu que la blessure survienne deux jours avant le combat au lieu de trois semaines».