Ça fait longtemps que j'œuvre dans le milieu de la boxe. Des grandes joies, j'en ai connues. Des déceptions, aussi. L'important, c'est de faire attention pour ne pas être trop en extase dans les triomphes et trop découragé dans les défaites.

S'il y a une chose que j'ai apprise après toutes ces années, c'est que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. C'est exactement ce que doit se dire David Lemieux au lendemain de sa défaite face à Marco Antonio Rubio.

Cette situation, je l'ai vécue avec Stéphane Ouellet, avec Éric Lucas et avec Jean Pascal. Dans la majorité des cas, on a réussi à retomber sur nos pieds et à se rendre encore plus loin qu'où on était allé la première fois. Lucas a perdu par K.-O. au onzième round contre Glenn Catley et un an plus tard, il lui a servi la même médecine au septième pour devenir champion du monde.

Manny Pacquiao, la plus grande vedette mondiale de la boxe à l'heure actuelle, s'est fait passer le K.-O. au début de sa carrière. Même chose pour Sergio Martinez, qui avait frappé un mur contre Antonio Margarito. Dans un autre sport, on pourrait aussi donner l'exemple de Georges St-Pierre.

Ce sont des choses qui arrivent. On ne le souhaite jamais, mais parfois, c'est nécessaire pour passer à l'autre niveau et les athlètes brillants réussissent à tirer le meilleur parti de ces mauvaises expériences et à remonter à la surface.

David est allé à l'hôpital ce matin pour passer des radiographies. L'enflure au niveau de sa joue droite s'est déjà résorbée considérablement et je peux vous dire que seul son égo a été touché. Il a eu un bon débriefing avec son équipe, on en aura un ensemble la semaine prochaine. Sa plus grande inquiétude, présentement, est de savoir quand il aura la chance de remonter dans le ring.

David est extrêmement déçu. Déçu d'avoir perdu, c'est sûr, mais surtout d'avoir l'impression d'avoir laissé tomber tout le monde autour de lui. Mais c'est un bon kid, il est intelligent et il s'en remettra. Russ Anber me disait ce matin qu'une défaite comme celle-là, ça ouvre les oreilles davantage. Il croit qu'à l'avenir, David sera encore plus ouvert à comprendre les choses.

Savoir quand attaquer, savoir quand se retenir

Je sais que plusieurs amateurs de boxe étaient sceptiques quant aux chances de Rubio de venir créer une surprise à Montréal, mais chez GYM, on savait que c'était un passage dangereux dans la carrière de David. Rubio n'était pas un adversaire qui avait été choisi, il nous avait été imposé. On était convaincu que David avait ce qu'il fallait pour gagner, mais ce n'est pas arrivé.

Je sais que la stratégie que son entraîneur avait planifiée était d'y aller en combinaisons et de gagner les rounds un par un. On savait que Rubio était solide et qu'il voudrait faire traîner le combat en longueur. Mais souvent, on prend les défauts de nos qualités. David a peut-être fait l'erreur de penser que la force de frappe était une stratégie alors qu'il s'agit plutôt d'un outil, au même titre que la vitesse ou qu'une bonne défensive. C'est un outil important, mais tu dois pouvoir compter sur tes autres attributs.

Sincèrement, j'ai commencé à m'inquiéter du sort de David à partir de la fin du troisième round. Oui, David était spectaculaire, mais il n'ébranlait pas Rubio. Ce dernier était en contrôle de ce qui se passait sur le ring.

Après trois rounds, je me suis dit « Wow, il ne lui fait pas mal! ». David n'affaiblissait pas Rubio à chacune de ses charges et j'ai réalisé que si le combat s'étirait et que le niveau d'énergie de David commençait à baisser, les choses pouvaient mal tourner.

Si David avait eu plus de maturité, il serait lui aussi arrivé à ce constat et aurait pu s'ajuster. Il dominait Rubio mais dans le fond, le Mexicain lui donnait les premiers rounds. Il ne voulait pas faire la guerre. C'était évident qu'il était extrêmement concentré sur sa défensive. Il comprenait ce que David faisait et il anticipait tous ses gestes.

Rubio compte 43 victoires par K.-O. à son palmarès. En conférence de presse après sa victoire, il racontait comment lui aussi, quand il était jeune, il aimait terminer ses combats au deuxième ou au troisième round. Mais il a réalisé par la suite qu'un combat de boxe, c'est 12 rounds et que l'important, c'est d'en gagner sept.

Ce que David doit retenir de tout ça, c'est que tu peux te porter sans retenue en offensive quand tu vois que tu as déjà ébranlé ton adversaire, mais pas quand il est encore en pleine forme. Dans ses combats précédents, David ébranlait ses adversaires même en leur frappant dans les gants. Ce n'était pas le cas avec Rubio.

David et Russ ont fait face à la musique

David vivait toutes sortes d'émotions dans les minutes suivants son échec, mais dans le vestiaire, jamais le ton n'a monté.

Quand ton poulain vient d'encaisser un pareil choc, ce n'est pas l'heure des reproches, ce n'est pas le temps de chercher à comprendre. C'est le temps de le consoler, de mettre les choses en perspective et de le préparer pour la conférence de presse.

David était démonté. Il s'est mis une serviette sur la tête, s'est penché et il pleurait. Il ne voulait pas aller rencontrer les gens de la presse, mais on lui a fait comprendre qu'il était un professionnel et qu'il devait s'y plier dans les bons moments comme dans les plus difficiles.

On lui a dit qu'il n'avait pas besoin de raconter des histoires, mais plutôt de simplement dire ce qu'il pensait, comment il vivait ce moment. Personne n'allait le juger, sauf s'il décidait de ne pas faire face à ses responsabilités.

David a fait ça comme un vrai. Il n'a pas essayé de chercher d'excuses. Rubio avait été meilleur que lui, il avait la meilleure stratégie et il l'avait battu dans les règles de l'art, point final.

David n'est pas un surhomme. Il est un être humain et tous les êtres humains ont, à un moment dans leur vie, des passages difficiles. Il faut réussir à passer à travers.

À côté de David, il y avait Russ Anber. Sa soirée à lui non plus ne s'est pas déroulée comme il l'avait prévu et il devait s'attendre à recevoir beaucoup de critiques pour avoir lancé la serviette alors que David était encore debout.

Aucun doute dans mon esprit, Russ a pris la bonne décision. Comme entraîneur, tu as deux fonctions importantes. La première, c'est de bien diriger ton gars vers la victoire et l'autre, c'est de bien le protéger contre lui-même quand ça va mal.

C'est ce que Russ a fait. Il a arrêté le combat au moment où David était encore sur ses jambes. Il bougeait encore, mais il ne se plaçait pas dans une position pour empêcher l'autre de le frapper. Il était vulnérable et s'il y a une chose que tu ne veux pas, c'est de voir un gars terminer un combat complètement étendu sur le ring.

Les gens de HBO ne veulent pas qu'on les oublie

Je vous en avais parlé précédemment, on avait déjà des offres importantes pour des contrats avec des gros joueurs comme HBO. Évidemment, ce qui s'est passé hier n'est pas un pas vers l'avant, mais c'est bien mieux que ça arrive maintenant, ici et de cette façon, que lors d'un premier gros combat à Las Vegas ou encore à 26 ou 27 ans, quand David pourrait avoir pris de mauvaises habitudes trop difficiles à changer.

D'ailleurs, permettez-moi de partager avec vous un courriel que m'a envoyé ce matin Kerry Davis, le vice-président exécutif à la programmation de HBO.

Cher Yvon,

Je voulais m'assurer que tu saches que notre intérêt pour David est toujours bien présent. Il est un boxeur très excitant pour la télévision. Avec un peu plus d'expérience, il bat Rubio n'importe quand. Il s'agit simplement d'un petit détour dans son parcours. Offre-lui s'il-vous-plaît mes meilleurs vœux.

Kerry


Les gens de HBO connaissent très bien le milieu de la boxe et savent que ce genre de chose peut arriver et que ce n'est pas la fin du monde.

Adonis Stevenson a lancé un message important

La soirée d'hier était parfaite jusqu'au cinquième round de David. On avait sur le ring beaucoup, beaucoup de talent avec les Stevenson, Rivas, Alvarez, Bence, Usmanee et Asselstine. Je dirais qu'à part Bence, ils ont tous eu des adversaires assez coriaces qui les ont forcés à travailler fort.

Ces athlètes seront tous des acteurs importants dans la suite de la série Rapides et Dangereux et ils seront intéressants à suivre.

Parlons un peu plus en détails d'Adonis Stevenson, qui peut à mon avis devenir une belle source d'inspiration pour David Lemieux. À sa sortie précédente, aux États-Unis, Stevenson s'était fait passer le K.-O. contre Darnell Boone, qui contrairement à Rubio, n'est qu'un faire-valoir. Un boxeur de qualité ne devrait pas perdre contre Darnell Boone.

Par contre, Adonis est revenu contre un adversaire qui n'avait qu'une seule défaite, une décision relativement serrée contre un prospect américain, Marcus Johnson. Adonis a compris bien des choses, lui aussi, dans sa défaite contre Boone.

Il est revenu au Québec, il est retourné avec Howard Grant. Honnêtement, on n'était pas convaincu qu'on voulait le reprendre, mais il a été persistant. Il est venu nous voir, il nous a appelés. Il a réussi à nous convaincre de lui donner une autre chance, malgré le fait qu'il nous avait abandonné au moment où on l'avait amené parmi les meilleurs aspirants de sa division.

On a décidé de lui donner une autre chance et je suis convaincu qu'on va se rendre jusqu'au bout avec lui dans la division des super-moyens. Hier, il a lancé un message important dans sa catégorie.

Ken Hershman, de Showtime, m'a parlé de la possibilité de mettre sur pied un nouveau tournoi Super Six dans la division des super-moyens la dernière fois que je l'ai vu à Montréal. Quand il m'a dit ça, je me suis dit qu'on devait absolument trouver une façon de donner à Adonis Stevenson assez de notoriété pour qu'il soit un incontournable dans cet événement.

Propos recueillis par Nicolas Landry.