MONTRÉAL - Huit ans jour pour jour après leur affrontement, Librado Andrade n’a pas oublié un seul instant des dernières secondes du premier combat qu’il a disputé contre Lucian Bute.

Alors qu’il tirait de l’arrière sur les cartes des trois juges et que le boxeur québécois d’origine roumaine s’en donnait à cœur joie sur le ring, Andrade a sorti un lapin de son chapeau en parvenant à envoyer Bute au plancher tandis que le 12e et dernier round se terminait.

Bute s’était ensuite relevé de peine et misère et n’avait toujours pas retrouvé ses esprits quand l’arbitre Marlon B. Wright a interrompu son compte trois fois plutôt qu’une afin de demander à Andrade de retourner dans le coin neutre. En temps réel, vingt secondes se sont écoulées entre la chute et la fin du compte. Cette défaite controversée changera à jamais le destin d’Andrade.

« J’y pense encore. Ç’a vraiment tout changé. À partir de ce combat, ç’a changé la route qui m’était destinée, a avoué le sympathique boxeur mexicain au cours d’un long entretien avec RDS.ca la semaine dernière. J’ai appris à l’accepter. C’est arrivé et j’ai laissé aller les choses. J’ai une très belle vie maintenant alors je ne peux pas me plaindre. Je n’ai pas de ressentiments. »

Redevenu aspirant obligatoire à Bute après sa victoire sur Vitaliy Tsypko en avril 2009 au Centre Bell, Andrade n’a pas fait quatre rounds lors de la revanche. Il a ensuite enchaîné les victoires - contre Éric Lucas notamment en novembre 2009 au Colisée Pepsi - et les défaites à un rythme régulier, mais le cœur n’y était vraiment plus au moment de prendre sa retraite il y a trois ans.

« C’était devenu trop difficile pour moi de m’entraîner et de mettre le travail requis pour me battre au niveau auquel je voulais me battre. Je n’avais plus ça en moi, explique l’homme maintenant âgé de 38 ans. Je veux encore me battre parfois, mais dès que je recommence l’entraînement, la course et le sparring, mon corps n’est vraiment plus capable d’en prendre. »

Aujourd’hui, Andrade travaille pour Al Haymon et accompagne les divers boxeurs représentés par l’influent conseiller. Il veille notamment à ce que ces derniers ne manquent jamais de rien.

« Je suis là pour les boxeurs, résume celui qui a terminé sa carrière avec un respectable dossier de 31-5, 24 K.-O. Je peux les comprendre parce que je connais ce par quoi ils passent. Je sais ce dont ils ont besoin parce que j’ai déjà été là. Ils savent aussi que je sais comment ça se passe. »

Andrade profite pleinement de sa nouvelle vie, qui lui permet de passer beaucoup de temps avec ses enfants, mais il reconnaît que ce n’est pas facile de complètement tourner la page.

« Parfois, les gens ne comprennent pas à quel point ça peut être difficile, avec celui qui avait disputé le premier de ses cinq combats au Québec contre Otis Grant en avril 2006. Tout ce que tu sais faire, c’est de te battre. Ça peut être même très dangereux de revenir dans la vraie vie.

« Il faut apprendre à renoncer à ce qui a été une partie importante de sa vie. On se rend compte qu’il n’est plus possible de pousser son corps à ce point et c’est difficile. Il faut écouter son corps, mais dès que tu commences à tourner les coins ronds et prendre des raccourcis - parce qu’il est possible d’en prendre en boxe - c’est peut-être le moment de penser à arrêter. »

Parlant de raccourcis, Andrade ne cache pas qu’il ressent un profond malaise à la suite de l’annonce du contrôle antidopage de Bute. Au début, il préférait ne pas aborder le sujet, mais il finit quand même par en dire assez long pour ne laisser place à aucune interprétation.

« J’ai été dans le ring avec lui alors dans un sens, je me sens trahi, lance Andrade. C’est difficile, car Lucian est aujourd’hui mon ami. Il n’est pas possible de changer le cours de l’histoire et je préfère m’en ternir à sa version de l’histoire. Fondamentalement, je ne veux pas en parler. »

Andrade a ainsi le regard résolument tourné vers l’avenir et entrevoit avec enthousiasme son rôle de mentor auprès des boxeurs de Haymon. S’il n’a pas pu profiter de la manne qui est récemment tombée sur l’industrie, il croit que le moment est venu pour que les boxeurs soient rémunérés à leur juste valeur, étant donné que ce sont eux qui mettent leur santé en péril.