La marche d'un condamné
Boxe lundi, 20 janv. 2014. 18:57 samedi, 14 déc. 2024. 18:50Pendant que l'écran géant du Centre Bell allait chercher Lucian Bute dans son vestiaire durant la soirée, c'est un visage souriant et confiant qui s'offrait à une foule ravie qui ne se pouvait plus de l'attendre. Un Bute différent de celui des 20 derniers mois. Il semblait confiant, bien dans sa peau et plus impatient que nous tous d'arriver à ce combat dont la préparation marketing avait été livrée au quart de tour.
Puis, le moment excitant est arrivé: la longue marche du boxeur vers le ring. On trépigne dans un moment comme celui-là. La musique est de circonstance, l'acteur principal et sa suite avancent lentement pendant que le public jubile. La physionomie de Bute est apparue très différente cette fois. C'était le jour et la nuit avec celle notée une heure plus tôt dans son vestiaire. On avait l'impression d'assister à la marche d'un condamné vers son destin. Son langage corporel, faut-il le dire, n'indiquait rien de bon.
Bute semblait inquiet. Son visage traduisait la peur qui l'a paralysé entre les câbles. J'ignore si son entraîneur Stéphan Larouche a ressenti ce désarroi quand ils se sont tous levés pour quitter leur quartier général. Larouche, qui marchait derrière son homme, ne pouvait pas voir le visage penaud qui s'offrait à nos yeux. Bute semblait perturbé. Il avait les yeux bouffis, comme si on l'avait réveillé pour le conduire à son jugement dernier. C'est plus facile à dire maintenant qu'on sait ce qui s'est passé, mais Bute a semblé avoir perdu le combat avant même de se présenter dans le ring.
Dans l'intéressante entrevue qu'il a accordée au collègue Jean-Luc Legendre, il a expliqué qu'un déclic s'est produit dans sa tête dès que la cloche a sonné. Je pense qu'on ne serait pas très loin de la vérité si on affirmait que ce déclic a été ressenti dès le moment où il a quitté le vestiaire.
Sa tête n'a jamais été allégée de l'énorme doute que Froch y a laissé, il y a près de deux ans. Bute a été humilié à la face de la planète boxe ce soir-là. S'il a vécu une profonde humiliation, imaginez ce qu'il aurait ressenti si ce combat s'était déroulé devant son public. Il serait encore moralement au plancher s'il avait été matraqué de cette façon en plein Centre Bell.
Le déclic, c'est de là qu'il vient. Jean Pascal est une bête de boxe. Sa carrure physique impose le respect et la crainte. Quand il explose, tout peut arriver. Une combinaison de coups, comme celle qui a causé tant de dommages à Bute au pays de Froch et qui lui a valu de perdre son titre, aurait pu facilement se produire samedi. C'est de ça dont Bute a eu peur. La dernière chose qu'il voulait, c'était de se faire humilier devant des admirateurs de longue date à qui il a toujours voulu plaire. Ça prendra énormément de temps et un batterie de psychologues pour arriver à effacer cette image d'horreur qui hante son cerveau.
C'est dommage qu'une seule défaite--je parle de celle de Nottingham--ait contribué à détruire une belle carrière et à briser un athlète aussi respectable et respecté par la même occasion.
Qui parmi les plus grands experts de boxe seraient prêts à parier sur la possibilité de voir Bute redevenir éventuellement un boxeur de grands événements? Probablement personne. Bute lui-même ne donnerait pas cher de ses chances, à en juger par ses dernières déclarations. Pour l'instant, ce sont des combats sans prestige qui l'attendent. Ce dont il a besoin, c'est d'affronter des adversaires contre lesquels la victoire ne fera pas de doute. Deux ou trois combats contre des gars sans nom. Ceux qui se plaindront de le voir affronter ce genre d'adversaires auront deux options: aller l'encourager dans cette tentative pour relancer sa carrière ou ne pas acheter ces événements tout simplement.
Chose certaine, il faut oublier toute possibilité de revanche. Ce projet vient de faire toute une culbute car non seulement on avait la certitude qu'il y aurait un deuxième combat entre ces deux Québécois d'adoption, mais on a même parlé d'une trilogie à un certain moment. Pour qu'il y ait une revanche, il faut une volonté populaire. Il faut que le public démontre de l'intérêt, que les commanditaires acceptent de s'investir dans l'événement et que la télévision s'y intéresse. Dans ce cas précis, il est clair que HBO offrirait un non catégorique et les promoteurs seraient chanceux si 10 000 spectateurs étaient intéressés à revoir ça.
La domination totale de Pascal coûtera au bas mot deux millions de dollars à chacun d'eux et de précieuses sommes d'argent susceptibles d'assurer l'avenir financier des deux promoteurs. Pascal ira facilement empocher ce manque à gagner ailleurs tandis que Bute a sans doute touché la dernière grosse bourse de sa carrière.
C'était la première défaite de Bute (11-1) dans des combats qui sont allés au-delà de 10 rounds. Compte tenu de ce qui l'attend, elle lui aura coûté très cher.
Pascal et son promoteur
Je me demande pourquoi on s'interroge autant sur le possible divorce entre Jean Pascal et Yvon Michel. Pascal va jouer ses cartes à la dure comme d'habitude. C'est de bonne guerre. À 31 ans, il doit s'assurer de connaître la fin de carrière la plus lucrative possible.
Cela dit, Pascal a autant besoin de Michel que le promoteur a besoin de son boxeur. C'est Michel qui a décroché des combats de prestige à Pascal. C'est lui qui l'a conduit au championnat du monde. C'est lui qui lui a négocié des combats prestigieux contre les Diaconu (2), Froch, Dawson, Hopkins (2) et Bute.
Pascal et Michel sont faits pour s'entendre. Faudra négocier serré, c'est tout.
C'est bien pour dire…
Pascal a longtemps reproché à Lucian Bute de refuser de l'affronter dans un moment où le Roumain avait la possibilité de livrer des combats de plus grande importance ailleurs. On disait à ce moment-là qu'il n'avait rien à gagner à affronter un boxeur local pendant que les combats de championnat du monde s'accumulaient pour lui.
Aujourd'hui, Pascal n'est pas tellement pressé d'affronter Adonis Stevenson parce que les deux ont tout avantage à empocher des bourses intéressantes ailleurs. Peut-être que Pascal comprend mieux maintenant le manque d'intérêt de Bute à l'époque.