C’était en 2008. Battu en quart de finale du dernier tournoi de qualifications qui lui aurait permis de participer aux Jeux olympiques, le rêve de Ghislain Maduma prenait fin.

Pour un boxeur qui était animé par l’idée de représenter son pays d’origine au plus grand rendez-vous sportif de la planète, c’était ni plus ni moins qu’un pan de sa vie qui s’écroulait.

« Quand j’ai commencé à boxer, mon rêve c’était vraiment d’aller aux Jeux olympiques », a révélé Maduma au cours d’un long entretien avec le RDS.ca il y a quelques semaines. « Quand je suis allé au gymnase pour la première fois, il y avait une pancarte avec un jeune en train de mettre ses bandages. Ce jeune était assis et derrière lui, il y avait les anneaux olympiques. »

« Quand j’ai commencé à boxer, mon entraîneur au Club de Boxe Champion Paul Evans me répétait que c’était ça l’objectif, il fallait que j’aille aux Jeux. J’étais mindé pour ça. C’est ça que je voulais. J’aimais ça la boxe professionnelle, mais je ne pensais pas du tout boxer pro après. »

Cette défaite subie devant Julius Indongo le 28 mars 2007 à Windhoek en Namibie signifiait également la fin d’une aventure qui avait commencé avec l’équipe junior canadienne et qui s’était poursuivie avec celle senior congolaise. Le moment était venu de passer à autre chose.

« J’avais une entente avec mon père », explique Maduma. « Il m’aidait pour aller aux qualifications, payait toutes mes affaires et m’encourageait à aller le plus loin que je pouvais pour réaliser mon rêve. Mais après, c’était fini la boxe… »

Mani ne rangera jamais définitivement les gants, sauf qu’il ne se précipitera pas pour autant au gymnase pour les remettre par la suite. À ce moment, le cœur n’y est tout simplement plus et ce ne sont pas ses études en sciences humaines qui l’incitent à tourner la page.

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Ce sera ce samedi. Opposé à Kevin Mitchell dans un combat éliminatoire des poids légers de la IBF, Maduma n’est plus qu’à une victoire d’obtenir sa chance en championnat du monde.

Ce ne sont évidemment pas les Jeux, mais c’est tout comme, puisque le duel sera présenté dans l’une des enceintes sportives les plus célèbres de la planète : le Wembley Stadium. Jusqu’à 80 000 spectateurs sont attendus pour assister à la revanche entre Carl Froch et George Groves.

« Ce sera vraiment excitant, c’est une occasion unique dans une vie. C’est le rêve de tout athlète de pouvoir performer à ce niveau-là dans ce genre d’atmosphère », s’émerveille Maduma. « Il y avait eu 50 000 personnes pour voir Ricky Hatton (contre Juan Lazcano à Manchester en mai 2008) et j’admirais ça de l’extérieur. Et là, c’est moi qui serai au cœur de l’action! »

Pour un habitué de salles nettement plus modestes comme le Holiday Inn de Pointe-Claire, le Hilton du Lac-Leamy ou encore le New City Gas de Montréal, le choc risque d’être brutal. Au contraire, le principal intéressé préfère plutôt penser à l’incroyable tribune dont il profitera.

« C’est la meilleure occasion que je ne pouvais pas avoir », continue Maduma. « Il n’y aura pas que les 80 000 personnes dans le stade, il y aura aussi le monde entier qui va être en train de regarder ça. Je veux avoir le meilleur spot publicitaire possible pour me vendre en tant qu’athlète. Je veux que ça me serve de tremplin. Il s’agit vraiment d’une occasion parfaite. »

Car malgré son immense potentiel, le Montréalais demeure relativement inconnu des amateurs de sports québécois. Derrière les Lucian Bute, Jean Pascal, Adonis Stevenson et Bermane Stiverne, la lutte est très féroce et le niveau d’exploits requis de plus en plus élevé.

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Et dire qu’il y a trois ans à peine, Maduma hésitait encore à faire le saut chez les pros. Désormais entraîné par Mike Moffa, il n’avait pas l’impression qu’il avait sa place dans la cour des grands.

Pourtant, les carrières de ses anciens acolytes de l’équipe canadienne Dierry Jean et Arash Usmanee étaient déjà bien lancées. Pourquoi refusait-il alors de plonger? Une conversation après un combat de Jean au Centre Bell bouleversa heureusement le cours de l’histoire.

« Mike m’a dit : “tous ces gars que tu vois là, ça ne te fait pas de mal de ne pas être là? Tu devrais être là…” », relate Maduma. « Ça m’avait vraiment touché quand il m’avait dit ça. Je n’avais pas allumé directement, mais ç’a fait partie du processus. Mike a toujours cru en moi. »

« Mike a toujours été là depuis le début de ma carrière. Il a toujours été là pour me dire que j’étais bon, que je pouvais le faire. Il me disait toujours de bons commentaires. Il a gardé le feu allumé en moi, même pendant que je ne boxais pas. Il m’encourageait continuellement. »

« Mani boxait pour un autre gymnase et son entraîneur me l’avait envoyé avec d’autres de ses athlètes pour que je les amène en championnat du monde », continue Moffa. « Ce qui m’avait impressionné chez les amateurs, c’était sa vitesse, c’était un boxeur très talentueux. »

Maduma décida finalement de tenter sa chance, mais les débuts furent loin d’être évidents. Les principaux promoteurs de la province ne se bousculèrent pas pour mettre la nouvelle recrue sous contrat. C’était toutefois avant qu’un nouveau joueur ne se lance dans l’aventure.

« J’avais approché Groupe Yvon Michel et InterBox, parce que j’avais des gars avec eux, mais ils n’étaient pas intéressés. Ils avaient trop de boxeurs », précise Moffa. « Camille (Estephan) est ensuite arrivé, ç’a vraiment été un cadeau du ciel. Il était le gérant de Bermane et s’intéressait à Dierry. Je lui ai demandé une faveur et de prendre Maduma. Je lui ai dit qu’il allait être bon. »

Après qu’il eut battu Francisco Tadeo en novembre 2010 au Théâtre Corona, Maduma s’est entendu avec Eye of The Tiger Management la semaine suivante. Personne ne l’a regretté.

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Sans surprise, beaucoup de choses passeront par la tête de Maduma pendant sa marche vers le ring. Tant de chemin parcouru pour en arriver là, ses deux plus fidèles partisans à ses côtés.

« Mike, c’est un des plus grands entraîneurs de l’histoire de la boxe québécoise. Il a été un artisan dans les carrières de (Joachim) Alcine, (Antonin) Décarie, Pascal et Stevenson », affirme Maduma. « Mais il demeure trop peu connu parce qu’il n’aime pas les feux de la rampe. »

« Camille, c’est une des meilleures personnes que je connaisse. Quand il t’adopte, tu deviens son frère. Tout ce que nous nous étions dit il y a trois ans, c’est arrivé. Il m’avait dit que je me battrais en championnat du monde. Nous ne sommes plus qu’à une victoire d’y arriver! »

En montant dans l’arène, Maduma sera convaincu qu’il aura tout fait ce qui était en son pouvoir pour l’emporter. Il s’agira là d’une grande victoire par rapport à une époque pas si lointaine.

« Quand j’ai commencé, je m’étais promis que si je n’étais pas capable d’être sérieux, j’allais arrêter. Je savais que j’avais du talent, mais je n’avais pas d’éthique de travail », confie Maduma. « J’apprécie tout ce que je vis maintenant, parce que je sais ce que j’ai traversé. J’ai travaillé. »

Et lorsque le son de la cloche annonçant le début du combat se fera entendre, Maduma aura 36 minutes pour montrer toute l’étendue de son talent. Exactement 12 rounds pour prouver à son père - venu spécialement d’Afrique pour le voir à l’œuvre - qu’il ne s’est pas trompé.