Samedi dernier, Arturo Gatti a reçu la dernière droite de sa carrière à 2 :12 du septième round, ce qui lui aura valu quelques points de suture. Il s'est par la suite affaissé presque inerte au tapis et l'arbitre s'est mis à compter. On a vu le grand patron de la commission athlétique du New Jersey, Larry Hazzard, bondir sur le ring, il en avait vu assez! Il n'a pas hésité une seconde à empiéter sur les responsabilités de l'arbitre Randy Neumann, qui, en principe, est le seul homme autorisé à mettre fin au combat. Hazzard a fait ce que nous aurions tous voulu faire, car nous aimons trop Arturo et nous ne pouvions en tolérer davantage.

J'ai connu Arturo Gatti quand il avait 7 ou 8 ans. C'était un jeune enjoué et taquin. Au gymnase, il préférait jouer des tours à son frère Joe plutôt que de s'entraîner. Le sport qu'il préférait alors c'était le soccer. Il disparaissait du gymnase pour de longues périodes pour n'y revenir que quelques semaines avant les Gants Dorés du Québec, tournoi qu'il a souvent gagné mais qu'il a parfois perdu également sans que cela ne le dérange trop.

Il est éventuellement devenu champion canadien junior (17 et 18 ans), ce qui lui a permis de participer à quelques rencontres internationales, dont les Championnats du monde juniors au Pérou en 1990.

À l'automne 1990, il participa à ses seuls Championnats canadiens seniors et il s'inclina aux points contre l'Ontarien Michael Strange. C'est à la suite de cette défaite qu'il prit la décision de passer chez les professionnels. Il est venu nous rencontrer, moi et Gaby Mancini, qui était alors président de la Fédération québécoise. Il nous a expliqué que Strange avait le style idéal pour les amateurs et qu'il ne voyait pas comment il pourrait le battre et se qualifier pour les Jeux olympiques de Barcelone, en 1992. Strange devait non seulement participer aux JO de 92 mais aussi à ceux de 96 tout en établissant un record pour le nombre de titres canadiens en carrière chez les amateurs.

Sa décision était prise, il allait rejoindre son frère Joe au New Jersey, le gérant de ce dernier, Pat Lynch, acceptait de s'occuper de sa carrière. Nous avons tenté de le dissuader en lui expliquant qu'il commettait une magistrale erreur… C'est nous qui étions dans l'erreur… magistralement!

À son dernier combat, 16 ans plus tard, Pat Lynch était toujours son gérant! Sa carrière a démarré sur les chapeaux de roues et ce n'est pas sa défaite par décision partagée contre King Solomon (6-1-3, 0KO), à son septième combat, qui a freiné son élan. Quatre ans et six mois plus tard, il ravissait la couronne IBF des Super plumes à Tracy Harris Paterson et devenait seulement le quatrième Québécois de l'histoire à devenir champion du monde!

Le plus excitant de sa génération

C'est durant son premier règne de champion qu'il a établi sa réputation comme le boxeur le plus excitant de sa génération. À sa première défense contre Wilson Rodriguez (43-7-3, 26KO), les yeux coupés, chute au plancher, il semble s'acheminer vers une défaite certaine quand un crochet de gauche venu de nulle part au sixième round assomme complètement son rival. J'étais avec Jean-Paul Chartrand dans un studio de RDS à décrire l'action et c'est la seule fois en plus de 1000 émissions que nous nous sommes levés d'excitation et d'admiration sans nous soucier des fils qui nous rattachaient à notre chaise!

Ce n'était qu'un début. Selon «The Ring», quatre fois Gatti a été impliqué dans le combat de l'année. Deux fois lors de victoires, contre Gabriel Ruelas et Micky Ward, et deux fois lors de défaites, contre Ivan Robinson et Micky Ward à nouveau. Seuls Carmen Basilio et le grand Muhammad Ali, avec cinq nominations chacun, auront fait mieux que lui à ce chapitre.

Ce qui nous a fait tant aimer les combats d'Arturo, c'est qu'il trouvait toujours un moyen de revenir des abimes, d'une défaite par KO ou bien à cause d'une de ses nombreuses coupures, pour puiser au plus profond de son âme, de sa détermination et de son courage et exploser d'attaques aussi percutantes que dévastatrices. C'était mieux que les plus imaginatifs scripts de Rocky. De bien meilleurs que lui ont abandonné sans subir la moitié des sévices qu'il endurait dans ses combats. Il nous rendait fiers d'appartenir à la même race que lui : la race humaine!

Arturo Gatti, c'est un boxeur des années 2000 avec l'attitude des boxeurs des années 1940 ou 1950 alors qu'on boxait sans se soucier des conséquences, avec comme but premier de satisfaire les spectateurs à n'importe quel prix. Les titres mondiaux n'étaient pas aussi nombreux, il fallait, pour se démarquer, combattre avec la rage au cœur, comme si la vie en dépendait à chaque fois. Thunder Gatti c'était ça : pas de compromis, pas de quartiers, pas de lendemains.

La trilogie Gatti - Ward

Sa carrière a suivi le même cheminement que ses combats. Alors qu'on le croyait au bout du rouleau, qu'on ne croyait plus qu'il puisse se remettre de trois défaites consécutives, il a trouvé le moyen de convaincre Lou DiBella, alors à HBO, qu'il méritait une opportunité contre Oscar De La Hoya. On lui a accordé en se disant qu'on pouvait bien lui permettre une dernière bonne bourse pour le remercier. Malgré une défaite aussi cinglante que non équivoque, on le retrouve, l'année suivante, impliqué dans une des plus populaires trilogies de l'histoire de la boxe, contre Micky Ward.

Gatti et Ward n'étaient peut-être pas les plus beaux stratèges, mais leurs combats auront marqué l'histoire tant par leur intensité que par leur violence et que par le courage, le cœur et la détermination déployés par les deux belligérants. Ces affrontements ont soutiré tout ce que Ward avait à donner pour ce sport et il devait prendre sa retraite au terme du troisième combat. Pas Arturo. Le plus profitable et le plus rentable était encore devant lui!

Il redevint champion du monde, cette fois-ci dans la division des Supers légers version WBC en prenant la mesure de l'Italien Gianluca Branco par décision. Des victoires contre les ex-champions James Leija et Leonard Dorin lui auront valu des bourses lui permettant d'assurer son avenir.

Il n'aura remporté qu'un seul de ses quatre derniers combats, dont celui le plus lucratif de sa carrière contre Floyd Mayweather. Jusqu'au bout, il nous aura fait espérer que quelque chose hors du commun, de magique et d'extraordinaire, se produise. Je refuse d'adhérer à la théorie que Gatti ait fait un combat de trop. Il a pris le sentier de la guerre en se débattant de toutes ses forces et de toutes ses énergies. Il n'a gardé rien pour lui-même. Ses jambes ont fini par l'abandonner, sa coordination et ses reflexes aussi. Jack Dempsey a dit qu'un grand boxeur n'abandonnait jamais, il aime mieux partir les pieds devant! Arturo Gatti a été un grand boxeur!

Les portes du Temple s'ouvriront

Durant les 16 ans qu'aura duré sa carrière et ses 49 combats, il aura soulevé les passions, créé de l'intérêt, rempli les salles, vendu du temps d'antenne à la télévision et donné de l'action. Il est devenu une «star» authentique de la boxe, l'une des grandes vedettes de son époque. Ce ne sont pas ses deux titres de champion du monde qui lui ouvriront les portes du Temple de la renommé internationale de la boxe professionnelle, ce sont ses quatre nominations pour le combat de l'année, ses innombrables retournements et en définitive, l'ensemble de son œuvre.

Il ira rejoindre les légendes de la boxe. Nombreux sont les champions du monde qui n'auront jamais ce privilège, de même que la plupart de ceux qui auront obtenu la victoire contre lui.

Arturo Gatti a été un boxeur comme il ne s'en fait plus. Il va nous manquer! Il nous a laissé des souvenirs impérissables. Il est de la trempe de ceux qui nous coupent l'appétit le jour J, font palpiter nos cœurs d'excitation durant la marche vers le ring, nous tiennent sur le bout de notre siège durant tout le combat, à l'affût de la moindre attaque, prêts à s'exclamer à chaque échange. Nous sommes heureux qu'il se retire serein et surtout en bonne santé!

Merci champion!