Pas la même étincelle
Boxe mercredi, 31 oct. 2012. 11:23 vendredi, 13 déc. 2024. 08:48
Lucian Bute revient de très loin. Dans ses cauchemars les plus terrifiants, jamais il n'aurait pu se voir tomber dans le piège qui guette généralement les boxeurs invaincus qui en viennent à se croire inattaquables.
Mais en même temps, comment peut-on affirmer d'une façon certaine qu'il est de retour? Comment être convaincu qu'il ne reste plus rien des effets de la terrible ruade qu'il a encaissée par un beau soir de mai, en Angleterre, alors que tout fonctionnait royalement bien pour lui.
Pour ce combat, on avait vraiment tout prévu, sauf ce qui s'est passé. À son entrée dans le ring, Bute affichait sa confiance habituelle. Il se doutait si peu que Carl Froch entretenait le noir dessein de le dépecer sur place qu'il s'était même permis, dans le comportement bon enfant qui le caractérise, de l'applaudir durant les présentations.
Stéphan Larouche et lui avaient assisté «live» à quelques combats de Froch. Comme ils croyaient tout savoir sur lui, ils n'ont jamais eu le moindre doute qu'il pouvait perdre. Bute a toujours eu énormément confiance en ses moyens, en son talent surtout. Quand on est champion depuis longtemps, on ressent un sentiment d'invincibilité. Il ne nous vient jamais à l'esprit que ça pourrait mal tourner.
Le Roumain n'a pas tenu compte qu'il s'en allait affronter un gars qui n'avait pas le droit de perdre. Comme ce sera le cas pour lui, samedi, contre Denis Grachev, d'ailleurs. Si Froch avait perdu devant les siens, c'était terminé pour lui. Il avait déjà encaissé la défaite contre Mikkel Kessler et Andre Ward. S'il avait été humilié par Bute devant son public, c'aurait été la fin. Or, Froch s'était juré que Bute ne serait pas celui qui allait mettre fin à sa carrière.
Bute semblait un peu au-dessus de ses affaires, ce soir-là. Il n'était pas prêt à se mesurer à une bête aussi férocement déterminée. Un observateur, qui garde l'anonymat pour éviter de s'immiscer dans les cuisines d'InterBox, a trouvé étrange ce qu'il a vu dès le début du combat.
«Bute semblait bien dans sa peau au départ, mais quand Froch s'est mis sérieusement au travail, Lucian a vu la rage dans ses yeux. Rapidement, on a pu lire la peur dans les siens. Bute n'était déjà plus dans le coup.
Je reviens à la question du début. Bute est-il de retour à son niveau habituel? Est-il toujours rongé par les mauvais souvenirs? Peut-être qu'une bonne partie de cette catastrophe professionnelle est derrière lui, mais il ne peut pas avoir tout oublié. La facilité avec laquelle les larmes coulent de ses yeux quand il en discute est un signe qui ne trompe pas. Il a pansé ses plaies, mais son orgueil est en lambeaux.
Un stimulant : la peur de perdre
Quand on a été si profondément humilié, on veut éviter à tout prix que cela se reproduise. Comment s'en assure-t-on? En rugissant à son tour. En se présentant entre les câbles avec le couteau entre les dents. En pourchassant son rival comme si sa propre vie en dépendait. Ce qui ne correspond pas à sa personnalité de boxeur, faut-il le préciser.
Bute est un excellent pugiliste, mais il n'est pas du genre très émotif dans un ring. C'est un boxeur méthodique qui semble bien suivre le plan de match. Il offre tout ce qu'on attend d'un styliste. Il ne serre pas les dents tel un fauve durant ses combats. C'est drôle à dire, mais il donne parfois l'impression d'aimer ses adversaires.
En comparaison, Carl Froch, on l'a vite senti, a cessé de respecter Bute dès que la cloche a sonné. Le président d'InterBox, Jean Bédard, l'a d'ailleurs remarqué durant les moments qui ont précédé le combat.
«Lucian était confiant, m'a-t-il raconté récemment. Nous étions tous convaincus qu'il ne pouvait pas perdre. Il marchait vers le ring avec l'aisance du gars qui s'en va à Disney World. Il était entouré d'une grosse machine. Froch, lui, est arrivé au volant de son auto. Il a mangé des oeufs au buffet. C'était le col bleu qui s'en venait travailler.»
Bute a-t-il appris quelque chose ce soir-là? Peut-il se battre avec la même rage, lui qui n'a rien d'un homme mesquin et sournois?
Une chose est sûre, il est supérieur à Grachev, même si le Russe n'est pas à prendre à la légère. L'ex-champion de kick-boxing cogne dur. N'a-t-il pas gagné son dernier combat à l'aide d'un coup imprévisible porté après avoir été largement dominé par son rival? Elle est là la plus grande menace pour le porte-étendard d'InterBox. Non seulement devra-t-il attaquer Grachev énergiquement, mais comme il livrera un combat qui pourrait être sans lendemain, il lui faudra aussi être prudent.
Même s'il tente de convaincre tout le monde qu'il a fait une croix sur le dernier combat, je ne suis pas sûr qu'il soit aussi confiant qu'il le prétend. Il serait étonnant qu'il soit aussi solide entre les oreilles que lors des neuf défenses de son titre. Si tout va bien dès le départ, il redeviendra le boxeur qui avait l'habitude de contrôler la situation. S'il se fait frapper rapidement, sa soirée pourrait être longue.
L'autre jour, Sylvain Guimond, spécialiste de la psychologie sportive depuis plus de 20 ans, mentionnait au collègue Jean-Luc Legendre son optimiste concernant la prochaine performance de Bute. Le docteur Guimond est de ceux qui croient que tous les athlètes québécois, qui font carrière à l'échelle internationale, méritent d'avoir le soutien et l'admiration de leur public, ce qui l'a peut-être incité à se montrer compréhensif à son égard.
Je lui ai demandé de m'en dire davantage. Selon lui, un athlète qui se retrouve dans la situation de Bute peut être motivé de deux façons. Il peut être stimulé par le plaisir d'obtenir quelque chose qu'il désire ardemment ou par la crainte de revivre un événement douloureux.
«La peur de perdre peut devenir un élément très inspirant. Ce qui pourrait motiver Lucian, c'est la peur de revivre ce qu'il cherche à oublier», explique-t-il.
Bute est un boxeur doué, discipliné et tout à fait exemplaire, l'un des athlètes les plus aimés au Québec. Parce qu'on n'a rien à lui reprocher, tout le monde lui veut du bien. Pour notre tranquillité d'esprit et pour la sienne, il est souhaitable qu'il remporte une victoire sans la moindre équivoque, samedi. Une victoire qui dissipera tous les doutes sur ses chances de redevenir champion.
Néanmoins, l'incertitude persiste. Il y a un petit quelque chose de différent chez lui. Comme si l'étincelle, qui a toujours allumé son regard, était manquante. Même Stéphan Larouche ne semble pas afficher sa confiance des grands jours. Faut dire qu'on ne peut pas s'amuser autant quand on passe d'un statut de champion à celui d'un aspirant qui tente de sauver sa carrière.
Ce n'est peut-être qu'une impression erronée, après tout. Peut-être que la flamme brûle toujours autant dans le coeur de son protégé. Dans trois jours, on saura si on a eu tort de s'inquiéter. On saura si Bute disait vrai.
Mais en même temps, comment peut-on affirmer d'une façon certaine qu'il est de retour? Comment être convaincu qu'il ne reste plus rien des effets de la terrible ruade qu'il a encaissée par un beau soir de mai, en Angleterre, alors que tout fonctionnait royalement bien pour lui.
Pour ce combat, on avait vraiment tout prévu, sauf ce qui s'est passé. À son entrée dans le ring, Bute affichait sa confiance habituelle. Il se doutait si peu que Carl Froch entretenait le noir dessein de le dépecer sur place qu'il s'était même permis, dans le comportement bon enfant qui le caractérise, de l'applaudir durant les présentations.
Stéphan Larouche et lui avaient assisté «live» à quelques combats de Froch. Comme ils croyaient tout savoir sur lui, ils n'ont jamais eu le moindre doute qu'il pouvait perdre. Bute a toujours eu énormément confiance en ses moyens, en son talent surtout. Quand on est champion depuis longtemps, on ressent un sentiment d'invincibilité. Il ne nous vient jamais à l'esprit que ça pourrait mal tourner.
Le Roumain n'a pas tenu compte qu'il s'en allait affronter un gars qui n'avait pas le droit de perdre. Comme ce sera le cas pour lui, samedi, contre Denis Grachev, d'ailleurs. Si Froch avait perdu devant les siens, c'était terminé pour lui. Il avait déjà encaissé la défaite contre Mikkel Kessler et Andre Ward. S'il avait été humilié par Bute devant son public, c'aurait été la fin. Or, Froch s'était juré que Bute ne serait pas celui qui allait mettre fin à sa carrière.
Bute semblait un peu au-dessus de ses affaires, ce soir-là. Il n'était pas prêt à se mesurer à une bête aussi férocement déterminée. Un observateur, qui garde l'anonymat pour éviter de s'immiscer dans les cuisines d'InterBox, a trouvé étrange ce qu'il a vu dès le début du combat.
«Bute semblait bien dans sa peau au départ, mais quand Froch s'est mis sérieusement au travail, Lucian a vu la rage dans ses yeux. Rapidement, on a pu lire la peur dans les siens. Bute n'était déjà plus dans le coup.
Je reviens à la question du début. Bute est-il de retour à son niveau habituel? Est-il toujours rongé par les mauvais souvenirs? Peut-être qu'une bonne partie de cette catastrophe professionnelle est derrière lui, mais il ne peut pas avoir tout oublié. La facilité avec laquelle les larmes coulent de ses yeux quand il en discute est un signe qui ne trompe pas. Il a pansé ses plaies, mais son orgueil est en lambeaux.
Un stimulant : la peur de perdre
Quand on a été si profondément humilié, on veut éviter à tout prix que cela se reproduise. Comment s'en assure-t-on? En rugissant à son tour. En se présentant entre les câbles avec le couteau entre les dents. En pourchassant son rival comme si sa propre vie en dépendait. Ce qui ne correspond pas à sa personnalité de boxeur, faut-il le préciser.
Bute est un excellent pugiliste, mais il n'est pas du genre très émotif dans un ring. C'est un boxeur méthodique qui semble bien suivre le plan de match. Il offre tout ce qu'on attend d'un styliste. Il ne serre pas les dents tel un fauve durant ses combats. C'est drôle à dire, mais il donne parfois l'impression d'aimer ses adversaires.
En comparaison, Carl Froch, on l'a vite senti, a cessé de respecter Bute dès que la cloche a sonné. Le président d'InterBox, Jean Bédard, l'a d'ailleurs remarqué durant les moments qui ont précédé le combat.
«Lucian était confiant, m'a-t-il raconté récemment. Nous étions tous convaincus qu'il ne pouvait pas perdre. Il marchait vers le ring avec l'aisance du gars qui s'en va à Disney World. Il était entouré d'une grosse machine. Froch, lui, est arrivé au volant de son auto. Il a mangé des oeufs au buffet. C'était le col bleu qui s'en venait travailler.»
Bute a-t-il appris quelque chose ce soir-là? Peut-il se battre avec la même rage, lui qui n'a rien d'un homme mesquin et sournois?
Une chose est sûre, il est supérieur à Grachev, même si le Russe n'est pas à prendre à la légère. L'ex-champion de kick-boxing cogne dur. N'a-t-il pas gagné son dernier combat à l'aide d'un coup imprévisible porté après avoir été largement dominé par son rival? Elle est là la plus grande menace pour le porte-étendard d'InterBox. Non seulement devra-t-il attaquer Grachev énergiquement, mais comme il livrera un combat qui pourrait être sans lendemain, il lui faudra aussi être prudent.
Même s'il tente de convaincre tout le monde qu'il a fait une croix sur le dernier combat, je ne suis pas sûr qu'il soit aussi confiant qu'il le prétend. Il serait étonnant qu'il soit aussi solide entre les oreilles que lors des neuf défenses de son titre. Si tout va bien dès le départ, il redeviendra le boxeur qui avait l'habitude de contrôler la situation. S'il se fait frapper rapidement, sa soirée pourrait être longue.
L'autre jour, Sylvain Guimond, spécialiste de la psychologie sportive depuis plus de 20 ans, mentionnait au collègue Jean-Luc Legendre son optimiste concernant la prochaine performance de Bute. Le docteur Guimond est de ceux qui croient que tous les athlètes québécois, qui font carrière à l'échelle internationale, méritent d'avoir le soutien et l'admiration de leur public, ce qui l'a peut-être incité à se montrer compréhensif à son égard.
Je lui ai demandé de m'en dire davantage. Selon lui, un athlète qui se retrouve dans la situation de Bute peut être motivé de deux façons. Il peut être stimulé par le plaisir d'obtenir quelque chose qu'il désire ardemment ou par la crainte de revivre un événement douloureux.
«La peur de perdre peut devenir un élément très inspirant. Ce qui pourrait motiver Lucian, c'est la peur de revivre ce qu'il cherche à oublier», explique-t-il.
Bute est un boxeur doué, discipliné et tout à fait exemplaire, l'un des athlètes les plus aimés au Québec. Parce qu'on n'a rien à lui reprocher, tout le monde lui veut du bien. Pour notre tranquillité d'esprit et pour la sienne, il est souhaitable qu'il remporte une victoire sans la moindre équivoque, samedi. Une victoire qui dissipera tous les doutes sur ses chances de redevenir champion.
Néanmoins, l'incertitude persiste. Il y a un petit quelque chose de différent chez lui. Comme si l'étincelle, qui a toujours allumé son regard, était manquante. Même Stéphan Larouche ne semble pas afficher sa confiance des grands jours. Faut dire qu'on ne peut pas s'amuser autant quand on passe d'un statut de champion à celui d'un aspirant qui tente de sauver sa carrière.
Ce n'est peut-être qu'une impression erronée, après tout. Peut-être que la flamme brûle toujours autant dans le coeur de son protégé. Dans trois jours, on saura si on a eu tort de s'inquiéter. On saura si Bute disait vrai.