Stevenson a déjà vu pire
Boxe vendredi, 7 juin 2013. 10:45 samedi, 14 déc. 2024. 19:02Adonis Stevenson s'apprête à vivre une expérience qui pourrait changer beaucoup de choses dans sa vie. Face à Chad Dawson, au Centre Bell samedi, il aura enfin l'occasion de se mesurer à l'élite de son sport.
À 35 ans et huit mois, il se fait déjà tard pour lui. Probablement trop tard pour espérer affronter Jean Pascal ou Lucian Bute. Ces deux-là ont des projets qui ne le concernent pas. Quand ils auront concrétisé leurs ambitions respectives, Stevenson, même s'il est considéré comme une force de la nature, commencera à se faire vieux.
Malheureusement, on ne peut pas effacer son passé et les erreurs qui s'y rattachent. À 20 ans, Stevenson sévissait dans des gangs de rue. Il a d'ailleurs payé le prix pour ses erreurs de jeunesse quand il a écopé d'une sentence de quatre ans pour proxénétisme. Il en a fait 18 mois. Comme c'est arrivé à beaucoup de gars dans son genre, il a été sauvé par la boxe. On peut imaginer la carrière qu'il aurait pu connaître s'il avait été initié à la boxe en bas âge.
Il a amorcé sa carrière amateur à 22 ou 23 ans. Il a percé chez les professionnels à 29 ans. Il n'avait que cinq combats amateurs dans le corps quand il s'est battu pour le championnat du Québec. Son expérience se limitait à 10 combats quand il a affronté Pascal dont c'était la septième défense de son titre en championnat canadien. Sa feuille de route n'est pas éreintante avec 38 combats amateurs et 21 batailles chez les pros.
Ça peut expliquer en partie pourquoi la prévente de ce combat de championnat est si difficile. Bien sûr, il y a le fait que les amateurs ont investi beaucoup d'argent (les tables se vendaient 10 000 $ pièce) dans un affrontement Pascal-Bute qui n'a pas eu lieu. Une majorité d'entre eux n'ont pas demandé à être remboursés. Dans leur cas, une deuxième sollicitation en peu de semaines a été ardue.
Il faut aussi admettre que Stevenson n'a pas la notoriété d'un Pascal et d'un Bute. Les profanes entendent parler de lui beaucoup plus souvent depuis un an ou deux seulement. Il ne s'est jamais mesuré à des boxeurs réputés. Dawson aime dire de lui qu'il n'a affronté personne. Bref, Stevenson n'est pas le meilleur vendeur. Pas encore. S'il l'emportait contre Dawson, il occuperait tout le plancher de la boxe locale pendant l'absence forcée de Pascal et Bute.
«Le fait qu'il ait été à l'ombre pendant un certain temps permet d'expliquer, dans une certaine mesure, pourquoi un tel combat se présente aussi tard dans sa vie, admet son promoteur Yvon Michel. Par contre, s'il n'avait pas connu un parcours aussi difficile, je ne sais pas s'il aurait fait carrière dans la boxe.»
Son mentor et ami personnel, Tiger Paul, 10e dan en karaté, l'a aiguillé vers le kick-boxing et plus tard vers la boxe. Outre les membres de sa famille, on dit qu'il est la personne la plus importante et la plus influente dans la vie de Stevenson. Quand il ne s'entraîne pas à Detroit, il le fait avec Paul à Montréal dans le gymnase du groupe GYM.
«Tiger m'a déjà dit que Adonis a ignoré ses conseils à deux occasions. La première fois, il s'est retrouvé en prison. À la seconde occasion, il s'est fait passer le K.-O. par Darnell Boone», raconte Michel.
On ne sait trop quand Stevenson a commencé à croire vraiment en ses chances d'atteindre le plus haut sommet de son sport. Il est bien possible que le déclic se soit fait en janvier 2012 quand il a pris la décision d'aller faire connaissance avec le réputé entraîneur Emanuel Steward, à Detroit. Il a fait faux bond aux entraîneurs du Québec parce que, disait-il, sa force de frappe était trop puissante pour tout le monde. On ne lui trouvait pas de partenaires d'entraînement adéquats ce qui, selon lui, l'empêchait de progresser. L'année qui allait suivre était la plus importante de sa carrière, avait-il expliqué. Il était déterminé à y mettre le paquet pour gravir rapidement des échelons.
Emanuel Steward avait atteint une étape de sa vie au cours de laquelle il pouvait se permettre d'être sélectif dans le choix de ses boxeurs. Il n'entraînait plus que l'élite. Quand le boxeur de Longueuil s'est présenté dans son gymnase, il n'avait que deux athlètes sous son aile. Il n'en cherchait pas d'autres. Il a toutefois été étonné de ce qu'il a vu. Il ne comprenait pas qu'un tel cogneur lui était totalement inconnu. D'où sortait-il? Quelle était son histoire?
À Yvon Michel, il a fait la prédiction qu'il allait devenir une «mega boxing star». Pour y arriver, il lui faut maintenant gagner d'une façon spectaculaire contre Dawson. S'il n'y arrive pas, ce sera une prédiction à oublier.
Dawson aura-t-il une surprise?
On peut comprendre Dawson de ne pas être effrayé à l'idée de se mesurer à un rival qui, à 35 ans, possède un bien maigre tableau de chasse. Il a déjà battu Antonio Tarver qui était une vedette au moment de ce combat. Il a fait de même avec Thomasz Adamek, Glen Johnson et Bernard Hopkins. Sa seule défaite chez les mi-lourds a été un verdict controversé contre Jean Pascal.
«À ses yeux, c'est impossible qu'Adonis soit rendu à son niveau, précise le patron du groupe GYM. Dawson a raison quand il dit qu'il n'a battu personne. Toutefois, Adonis a affronté tous les boxeurs que nous lui avons proposés. Il n'en a refusé aucun. Il y a un monde de différence entre les adversaires que ces deux-là ont affrontés, mais Adonis a «pulvérisé» la majorité de ceux qu'il a rencontrés.»
Stevenson a quand même vécu quelques expériences intéressantes qui ont confirmé son talent. On l'a déjà envoyé au Danemark pour servir de partenaire d'entraînement à Mikkel Kessler. Il devait être là-bas durant deux semaines, mais on l'a renvoyé après deux jours. On a fait la même chose avec Arthur Abraham et cela a duré une journée. Il a mis les gants durant une centaine de rounds contre Pascal qui ne l'a pas trouvé reposant. Il a envoyé Bute au tapis avec un coup au corps et les deux ne se sont plus jamais entraînés ensemble par la suite.
Dawson ne sait rien de tout ça. Il pourrait en être quitte pour une forte surprise.
Une défaite serait dramatique
Yvon Michel est d'avis qu'une défaite serait dramatique pour son poulain parce que plus personne ne voudra lui accorder sa chance volontairement. Il est gaucher; il frappe avec trop de puissance. Il sera obligé de refaire son chemin dans le but de redevenir un aspirant obligatoire. C'est un parcours qui pourrait prendre deux ans.
Stevenson a donc toutes les raisons d'entrer dans le ring avec le couteau entre les dents. Comme boxeur, il joue sa vie. Il a un désir profond de démontrer ce qu'il peut faire.
«Des gens prétendent que la seule façon pour lui de l'emporter, c'est par K.-O., dit Michel. C'est plutôt le contraire. La seule façon de perdre pour lui, ce serait par K.-O. Je ne crois pas qu'il puisse encaisser la défaite par décision.»
Une chose est certaine, compte tenu de son passé, Stevenson ne peut pas avoir peur d'un adversaire. Il a sans doute fait face à des situations nettement plus risquées dans la rue. En entrevue, il a déjà admis avoir eu peur en prison. Quand il en est sorti, il s'est juré de ne plus jamais y retourner. Il a tenu promesse.
S'il était retourné à ses vieux démons, il n'aurait jamais eu l'occasion de connaître son heure de gloire en plein Centre Bell, samedi. Juste de marcher vers le ring sous les applaudissements de ses fans, en quête d'un premier titre mondial, est déjà l'accomplissement de sa vie.