Deux récents événements ont contribué à apaiser Adonis Stevenson, ce qui devrait l'aider, comme le souhaite son entourage, à prendre une décision mieux éclairée concernant sa décision de s'exiler.

Pendant qu'il était assailli de toutes parts au cours des jours qui ont précédé son dernier combat, il s'est senti particulièrement seul. Les encouragements d'un entraîneur ou d'un promoteur ne peuvent pas totalement combler le vide qu'on ressent dans une situation comme la sienne. Stevenson aurait eu besoin de se retrouver dans le confort familial que lui procurent sa femme et ses trois enfants, mais ce n'était pas possible. Son retour parmi les siens lui a fait grand bien, dit-on.

L'autre aspect, c'est l'invitation à rencontrer le président d'Haïti, Michel Martelly, à l'occasion d'une réception visant à souligner sa contribution à son pays. Elle lui a été transmise après la tumultueuse pesée de jeudi dernier. C'est arrivé comme une heureuse nouvelle dans une semaine où il n'y en avait que des mauvaises. Stevenson devrait se sentir apprécié et aimé quand il sera accueilli en héros parmi les siens, mercredi prochain.

Le champion incontesté des mi-lourds du WBC poursuit sa période de réflexion. On ne veut rien brusquer avec lui. On veut lui laisser tout le temps dont il a besoin pour décanter et analyser son avenir à court terme à tête reposée. Tellement, que la soirée de boxe qui devait lui permettre de défendre son titre, prévue pour le 22 mars, sera reportée à la fin d'avril ou début mai.

Tiger Paul, qu'on reconnaît comme son père spirituel, prétend qu'il avait dormi quatre heures au cours des trois journées qui ont précédé le combat. Quand il s'est présenté devant les médias après sa victoire contre Tony Bellew, tout était noir dans sa tête. Il ne voyait pas la fin de son cauchemar. Il a parlé sous le coup d'une forte émotion. Son unique porte de sortie semblait l'exil. Il ne pensait qu'à dénicher un endroit où il se sentirait plus apprécié.

Peut-être que le meilleur endroit pour lui est encore le Québec, qui sait? Peut-être en viendra-t-il à cette conclusion avec le temps.

« Il se sent mieux, précise Yvon Michel. On va prendre le temps de s'asseoir tous les deux et d'en discuter. Il faut trouver une façon de retourner cette situation pour qu'il devienne encore plus fort. »

Michel, qui est actuellement à New York pour discuter d'une entente lucrative à long terme avec les dirigeants du réseau HBO, accompagnera son boxeur à Haïti par la suite. Pendant les trois jours qu'ils passeront ensemble là-bas, ils devraient pouvoir s'accorder une profonde réflexion sur tout ça et déterminer la meilleure avenue à emprunter pour celui que les experts considèrent actuellement comme le meilleur pugiliste que le Québec ait produit.

Chose certaine, cela ne servirait personne si Stevenson poursuivait sa carrière sous d'autres cieux. Dans un moment où la boxe locale n'a vraiment que Jean Pascal et Lucian Bute comme autres grands centres d'intérêt, son départ causerait un énorme vide. GYM perdrait son meilleur vendeur. Michel sait mieux que personne ce que cela pourrait signifier pour son entreprise.

« Nous allons tout faire pour le convaincre, dit-il. Quand Adonis analysera tout cela dans un contexte plus calme, je suis sûr qu'il réalisera que pour sa famille et pour lui-même, le meilleur endroit pour vivre, c'est ici.»

Stevenson et Georges St-Pierre sont les uniques champions en ville. Le Canadien n'a pas gagné depuis 20 ans. Les Alouettes présentent l'allure d'une organisation en chute libre. L'Impact a été rapidement éliminé en séries. Les amateurs de boxe risquent de se lasser si on ne leur offre que l'affrontement Bute-Pascal, agrémenté d'une ou deux revanches, au cours de la prochaine année. Le Québec sportif a donc besoin de Stevenson.

Un conseil détaché

Le psychologue sportif Sylvain Guimond, qui analyse la situation de Stevenson à distance, se permet de lui offrir un conseil détaché.

« C'est normal d'avoir le goût de partir dans les circonstances, souligne-t-il. Quand tu ne te sens plus aimé, tu veux te voir ailleurs. Pour lui, toutefois, déménager serait une erreur car partout où il ira, les médias ressortiront son histoire passée. Pour eux, ce sera une nouvelle. Ici, ce n'en est plus une. Son histoire est bien connue maintenant. Si quelqu'un revenait là-dessus dans l'avenir, cela serait considéré comme de l'acharnement. Il a vécu ça une fois. Ça ne reviendra pas 10 fois. Par contre, peu importe où il se battra, il devra s'attendre à ce que son passé refasse surface. »

Guimond précise que Stevenson est champion dans un sport extrêmement difficile. « Comme boxeur, il mérite de recevoir énormément de crédit, dit-il. Par contre, son adolescence ne pourra jamais s'effacer d'elle-même. Nous ne sommes pas dans une société qui pardonne, même si ce qu'il a commis est inexcusable et impardonnable. S'il ne peut rien changer au passé, pourquoi ne s'inspirerait-il pas de cela pour empêcher d'autres jeunes de commettre les mêmes erreurs? »

Stevenson s'y applique déjà. C'était justement son intention de rencontrer des jeunes, soit en milieux défavorisés, soit en prison, pour les prévenir du danger qui les guette. S'il décidait de poursuivre sa carrière aux États-Unis, le milieu tourmenté dans lequel vivent ces jeunes perdrait un intervenant qui sait parfaitement quoi leur dire.

« Quand on y pense, ce n'est pas grave que son histoire sorte, ajoute Sylvain Guimond. Plus on en parlera et plus il lui sera facile d'en discuter avec les jeunes. Son passé a connu un dénouement désastreux, mais tout le monde a le droit de changer. »

Comme Stevenson l'a déjà expliqué, à 18 ans, il n'y avait pas un seul modèle Noir à Montréal pour l'inciter à éviter certains pièges. Le modèle pour les jeunes d'aujourd'hui, c'est lui. À la lumière de ce qu'il a remarqué dans ses contacts avec les jeunes, il croit en être déjà un. En espérant que cela l'incite à continuer de jouer un rôle social dans sa propre ville.

Quant aux amateurs de boxe, dont plusieurs à tort ou à raison le jugent toujours aussi sévèrement, ils seraient peut-être parmi les premiers à protester contre l'absence d'un bon spectacle s'il n'était plus là. La boxe est un sport qui vivotait par moment à Montréal avant l'année explosive que vient de connaître Stevenson. Quand on a la chance de posséder un champion, il lui faut s'assurer que son règne dure le plus longtemps possible. On ne peut pas perdre bêtement une perle rare quand les boxeurs de classe mondiale sont aussi difficiles à trouver.