L'idée de partir a commencé à germer dans la tête d'Adonis Stevenson quand le réseau HBO lui a récemment proposé de poursuivre sa carrière aux États-Unis. Ces gens-là peuvent être très convaincants quand ils laissent miroiter énormément d'argent à des pugilistes pour les inciter à se produire dans leur propre cour.

Stevenson est Montréalais. Jusqu'à aujourd'hui, il se disait fier d'être Québécois. Quand il a culbuté Chad Dawson de la façon la plus spectaculaire possible, il a déclaré à quel point il était heureux d'avoir donné au Québec un champion du monde.

Il s'est passé beaucoup de choses depuis. En fait, tous les événements qui ont déplu à Stevenson se sont produits durant la même semaine. Plus précisément, durant les jours et les heures qui ont précédé le combat de samedi qui aurait pu s'avérer catastrophique pour sa carrière si toutes les distractions qu'on lui a occasionnées en avaient entraîné d'autres, plus sérieuses encore, dans le ring face à Tony Bellew. La série de combats destinés à le rendre très riche déjà promise par HBO serait tombée à l'eau dans le cas d'une défaite.

Le journal La Presse a passé son parcours criminel au peigne fin en relevant les détails les plus scabreux de son adolescence perturbée. Il a encaissé le choc. Mal, mais il l'a encaissé quand même. Le vase a débordé quand le Journal de Montréal et le Journal de Québec ont ajouté au sensationnalisme de l'affaire en faisant la une, la veille du combat, avec les déclarations d'une femme ayant subi les sévices de Stevenson il y a plus de 15 ans, sévices pour lesquels il a été condamné à quatre ans d'emprisonnement. Cette autre tuile a d'ailleurs permis à son rival britannique de le tourner en dérision et de jouer avec sa tête à l'heure de la pesée, ce qui a provoqué le débordement que l'on sait.

« Cette affaire n'a rien de commun avec celle d'un politicien qu'on tente de salir parce qu'il s'en va en élection, a dit Yvon Michel. Adonis met sa vie en danger quand il monte sur le ring. Or, cette semaine, il lui a été impossible de bien se préparer et de se concentrer. Les médias qui ont fait cela n'ont peut-être pas agi sciemment, mais ils l'ont mis en danger. Son entraîneur, Sugar Hill, m'a dit qu'il n'avait pu obtenir son attention avant le quatrième ou le cinquième round. C'est dangereux ce sport-là si tu n'es pas préparé adéquatement. En fait, si on s'était rendu compte qu'il y avait un risque de perdre le combat à cause de cela, nous aurions préféré l'annuler. »

Stevenson tient promesse

C'est sûr qu'il aurait été préférable d'annuler la bataille plutôt que de risquer de la perdre et d'y laisser les riches ententes à la portée de Stevenson. Néanmoins, il est permis de douter qu'on serait allé jusque-là.

HBO n'aurait jamais permis qu'on fasse un cirque en bousillant un gala de boxe présenté outre-frontière.

« Je comprends qu'on se plaise à sortir des cochonneries quand une personne est mise en vedette quelque part, mentionne le promoteur. Toutefois, en agissant ainsi, on a fourni des munitions à Bellew pour jouer dans la tête d'Adonis et lui rendre le combat particulièrement difficile. Ce qu'on a ressorti dans les journaux, ça s'est passé il y a 15 ans. Adonis s'est pris en main depuis. Il a fait des efforts pour devenir un citoyen respectable, mais il a l'impression que cela ne sera jamais suffisant. Il croit que les Québécois lui ont tourné le dos. »

Est-il vraiment sérieux?

Stevenson est-il sérieux avec cette intention de quitter le Québec? Nul ne le sait vraiment. C'est arrivé comme un coup de tonnerre durant son point de presse aux petites heures du matin. S'il voulait passer un message très clair en souhaitant qu'on le laisse vivre sa nouvelle vie en paix, il lui fallait probablement poser un coup d'éclat. Yvon Michel ne s'attendait pas à ce qu'il oriente ses propos d'après-combat de cette façon. Stevenson n'avait pas prévenu sa femme de son intention de déménager sa famille sous d'autres cieux. « Je vais lui en parler. On va en discuter », m'a-t-il dit, simplement.

On peut compter sur les actionnaires du Groupe Gym et sur Michel lui-même pour tenter de le ramener à de meilleurs sentiments. Il est l'unique champion mondial de boxe en ville. Jean Pascal et Lucian Bute pourraient s'affronter deux ou trois fois, cela ne ferait pas d'eux des champions. Au moment où ses victoires spectaculaires viennent donner un nouveau souffle à la boxe montréalaise, qui avait bien besoin d'un remontant, on ne peut pas se permettre de laisser Stevenson franchir la frontière avec femme et enfants. Et dans un moment où sa mère, de surcroît, est en plein traitements de chimiothérapie.

De toute façon, Pascal ou Bute ne constitue pas une option pour lui. « Ils vont se battre entre eux. C'est long, leur affaire. Peut-être que l'un d'eux deviendra champion éventuellement, mais pour l'instant, c'est moi le champion. Je suis dans une position pour choisir mes adversaires. Pour m'affronter, Bute ou Pascal devra d'abord être champion », a-t-il précisé.

Le résultat fructueux de la seconde défense de son titre et de sa quatrième victoire en 2013 est devenu presque secondaire à la suite de sa déclaration inattendue. Au lieu de relater les différentes phases de la leçon de boxe qu'il a servie à Bellew, on s'est attardé davantage sur sa menace de s'exiler. Ce qui n'est pas rien, faut-il le préciser.

Habituellement, Stevenson se présente sur le podium souriant et exubérant après une victoire. Cette fois, son visage était dur, fermé. Il venait de remporter un combat qui lui permettra peut-être d'être consacré le boxeur international de l'année, mais on le sentait prêt à livrer un deuxième combat le même soir, cette fois contre les médias qui l'ont joyeusement dénigré.

« J'ai commencé à jongler avec cette possibilité durant la semaine, a-t-il dit une fois le point de presse terminé. Pourquoi voudrais-je rester au Québec si on refuse continuellement de m'accorder le mérite qui me revient? Dans un moment où tout va bien pour moi, on essaie de me dénigrer. »

Il aimerait se sentir utile

Après être sorti de la rue pour devenir une personnalité très en vue de la boxe internationale, Stevenson se croyait bien parti dans la vie. Non seulement a-t-il payé sa dette avec la justice, mais il aimerait pouvoir effacer totalement le passé qu'on lui reproche encore en utilisant son statut pour en redonner à la société en général. Il projette de travailler auprès des jeunes afin de leur éviter de vivre l'enfer qui a été le sien. Il ne fait pas que le dire. Il s'y consacre depuis un bon moment déjà.

« Moi, quand j'étais jeune, je n'avais aucun modèle pour m'inspirer, souligne-t-il. Aujourd'hui, je suis dans une position pour en devenir un. En fait, j'en suis déjà un pour les jeunes. Quand j'avais 18 ans, il n'y avait aucun Noir au Québec de qui j'aurais pu m'inspirer. Aujourd'hui, je suis celui qui pourrait jouer ce rôle auprès des jeunes Noirs d'ici et des jeunes en général. Je travaille là-dessus en ce moment. Il y a plein de délinquants dans les centres d'accueil et en prison qui n'ont rien devant eux. Je suis bien placé pour aller au-devant des jeunes en difficulté. J'ai le pouvoir de les aider. Je suis passé par là; je sais de quoi je parle. Toutefois, si les médias continuent de m'écraser, j'aurai de la misère à passer mon message. Ça sert à quoi de se réhabiliter si on ne peut pas accomplir ce qu'on veut faire? »

Stevenson est millionnaire. Il le sera plusieurs fois encore grâce aux projets qui s'annoncent pour lui. Sa nouvelle résidence est payée, sa famille est sécurisée. Il n'est pas sur le party. Il ne dilapide pas son argent. Il est plutôt terre-à-terre pour un gars qui n'avait rien et qui, subitement, a tout. Son compte en banque ne l'impressionne pas plus que ses adversaires, semble-t-il.

« J'ai de l'argent, mais je n'oublie pas d'où je viens, dit-il. Je respecte le monde. Ma nouvelle situation ne me changera pas. Mon bonheur, c'est de voir mes enfants et les jeunes réussir. »

Il ne le dit pas pour plaire à la galerie, mais il est croyant. S'il est devenu champion, ce n'est pas un hasard, croit-il. Tout semble se présenter au bon moment dans sa vie. Peut-être n'aurait-il pas aussi bien réagi si la gloire et l'argent lui étaient tombés dessus quand la maturité n'y était pas.

« Si j'avais été champion plus jeune, peut-être que ma carrière serait déjà terminée, admet-il. Je crois au destin et à Dieu. C'est grâce à lui si je suis ici. Il me protège beaucoup. »

Son protecteur de l'au-delà lui donnera peut-être la force de résister à la tentation de partir en laissant en plan la boxe québécoise et bon nombre de supporters. Il est un redoutable champion. Trois anciens champions du monde n'ont pas réussi à l'effrayer. Toutefois, en donnant suite à son projet de quitter les lieux, il laisserait l'impression d'avoir été mis K.-O. par une certaine presse. Or, Stevenson aime uniquement les K.-O. qu'il enregistre, pas ceux qu'on tente de lui infliger.

Ne serait-ce que pour cela, il faut s'attendre à ce qu'il reste. Ce serait contraire à sa personnalité que de le voir se sauver par la porte de côté.