Les erreurs passées d'Adonis Stevenson ne pouvaient pas être étalées avec plus de détails. Il sait qu'il aura à vivre avec la conséquence de ses actes pour aussi longtemps qu'il sera une figure publique, mais il ne s'attendait pas à ce qu'on en fasse une description aussi précise près de deux décennies plus tard.

On ne reviendra pas sur son passé criminel qui a été maintes fois mentionné et commenté au cours des derniers jours. Ce qu'on a remarqué, cependant, c'est que sa popularité a chuté chez certains amateurs de boxe qui ne se gênent pas pour lui souhaiter d'en payer le prix dans le ring.

Dans l'opinion publique, il est passé de champion mondial à batteur de femmes. Ses détracteurs ne se préoccupent pas qu'il ait expié ses fautes derrière les barreaux. Peu importe ce qu'il a accompli depuis ses graves erreurs de jeunesse et tout ce qu'il pourra réussir dans l'avenir, son passé le suivra toujours. Il l'empêchera d'enjoliver l'avenir, aussi prometteur soit-il.

« Après être né dans la rue, Adonis s'est adapté en fonction de ce qui existait autour de lui, affirme le promoteur Yvon Michel quand on lui demande s'il s'inquiète d'une baisse possible de popularité de son controversé boxeur. Peu de gens aiment ceux qui s'attaquent à des femmes. J'imagine que certaines personnes auront des restrictions, mais Adonis a souvent dit qu'il regrette ce qu'il a fait. Il ne peut pas faire plus que s'excuser et d'exprimer des regrets. »

Stevenson a sa propre opinion là-dessus: « Il y a des Juifs, des avocats, des animateurs, etc, qui ont fait toutes sortes de conneries eux aussi et qui ont bénéficié d'une seconde chance. J'interprète comme du racisme ce qu'on me fait subir. Quoi que je fasse, on utilisera toujours mon passé pour m'écraser. Je m'attends à ça. »

Dans le traditionnel face à face entre les deux boxeurs à la pesée, Tony Bellew, à qui on s'était fait un plaisir de traduire les journaux québécois, l'a traité de proxénète à deux pouces de son nez. C'est Bellew lui-même qui s'en est vanté devant les médias. Stevenson, qui a reçu un coup de tête de son rival, a dû répéter une bonne vingtaine de fois qu'il aurait voulu lui arracher la tête. Dans ce genre situation, on dit habituellement qu'un pugiliste est entré dans la tête de l'autre. On verra bien.

Bellew s'est dit satisfait de lui avoir faire perdre son sang-froid. « Il m'a donné un coup de tête. Pensez-vous que je vais contrôler mes émotions en pareille situation? Samedi, je vais régler cela. Il n'y aura pas d'émotion. Je vais le renvoyer à Liverpool », promet Stevenson.

Chose certaine, le champion mondial des mi-lourds du WBC ne manquera pas de sources de motivation. Ajoutez à cet incident le fait que Bellew l'a qualifié de nain cette semaine. C'était la première fois de sa vie qu'on utilisait ce qualificatif à ses dépens.

« Ça ne m'était jamais arrivé, dit-il. Je mesure quand même cinq pieds, 11 pouces et demi. Les mots ne m'affectent pas, mais quand on me frappe… »

Stevenson ne cache pas qu'il vient de traverser une dure semaine. Les révélations faites sur son passé l'ont dérangé nettement plus que les envolées oratoires de Bellew. Est-ce qu'il a trouvé la concentration difficile en vue du combat?

« Ai-je vraiment le choix de me laisser affecter? Je suis Superman », rétorque-t-il en affichant un sourire forcé.

Il en veut aux journalistes qui, selon lui, ont volontairement attendu le bon moment pour déterrer le rôle qu'il a joué au sein d'un gang de rue avant d'écoper de quatre ans de détention suite à la dénonciation d'une de ses victimes.

« Aux États-Unis, plusieurs boxeurs ont connu des problèmes dans leur vie et ils s'en sont néanmoins sortis, rappelle-t-il. Au Québec, dites-moi, qui a réussi à en faire autant après avoir connu le même genre d'ennuis? Personne, absolument personne. Il y a des médias qui ne veulent pas voir ce que j'ai accompli et qui relèvent mon passé dans le but de me déstabiliser. Il faut qu'il y ait parmi eux des racistes pour s'acharner sur moi de cette façon. Ici, on n'est pas habitué de voir un Noir se relever. J'ai probablement pris une trop grande place trop rapidement. À mes yeux, c'est un coup monté. Je ne veux pas mentionner de noms, mais on l'a sans doute fait pour me déconcentrer, pour me faire perdre ce combat et pour se payer ma tête par la suite.»

De la prison à la gloire

On peut difficilement reprocher à ses victimes de souhaiter qu'il rencontre son homme un jour. On ne peut pas leur en vouloir de ne pas tenir compte qu'il a payé sa peine par un séjour en prison au cours duquel il a dû se battre pour défendre sa peau. Encore moins quand elles réalisent que la boxe ne l'a pas juste sauvé. Elle lui a permis de connaître gloire et richesse.

Souvent, le repris de justice qui a servi sa sentence a beaucoup de mal à reprendre sa place dans la société parce qu'on ne lui fait pas confiance. Il trouvera généralement un emploi de peine et de misère à un salaire minimum. Stevenson a connu cela, d'ailleurs. Il dit avoir travaillé très fort pour se faire une place à sa sortie de prison. Il se levait à cinq heures du matin et gagnait sa vie à petit salaire avant que la boxe change totalement son statut en 2013. De la prison à la gloire, on ne peut s'empêcher d'imaginer un scénario de film intéressant.

« Je suis la preuve vivante que ceux qui traversent des périodes difficiles ne doivent pas se décourager, souligne-t-il. J'ai vraiment tout donné et j'ai finalement obtenu des résultats. Ce n'était pas évident d'arriver où je suis. Je réalise toutefois que seule la boxe aurait pu me rendre aussi visible sur la scène internationale. Je n'étais pas préparé pour la gloire, même si mon ex-entraîneur Emanuel Steward me l'avait prédit. »

Stevenson partage la vie d'une femme, enseignante au secondaire, dont il a fait la connaissance quelque temps après avoir purgé sa peine. Il lui a révélé tout de son passé en lui faisant lire tous ses dossiers juridiques. Ils en ont beaucoup jasé. Leur union les a finalement bien servis puisqu'ils sont les parents de trois enfants âgés de six mois à quatre ans et demi. Une famille dont l'avenir financier est maintenant assuré.

Stevenson, qui est déjà millionnaire, deviendra beaucoup plus riche après son prochain combat s'il gagne samedi soir, ce dont il ne doute pas. Après avoir connu la pauvreté, le changement dans sa vie est radical. Il assure toutefois que l'argent ne le changera pas. Pas question de perdre la tête. Son objectif est de bien encadrer ses enfants et de leur permettre de jouir d'une solide éducation. Il est soulagé d'avoir les moyens de leur faire profiter de ce qu'il n'a jamais eu durant son enfance.

De bonnes années devant lui

Il n'est pas donné à tous les boxeurs d'atteindre les plus hauts sommets avec une feuille de route comme la sienne. À 36 ans, il pourrait trouver dommage que cela se présente aussi tard, compte tenu de toutes les bourses importantes qu'il pourrait toucher dans l'avenir. Il aurait pu en profiter durant 10 belles années s'il était devenu champion, disons, à 28 ans.

La remarque le fait sourciller. « Mais j'ai encore 10 bonnes saisons devant moi, corrige-t-il. Ma carrière s'est amorcée sur le tard (29 ans), mon corps est jeune et je ne me fais pas frapper. Si je le voulais, je pense que je pourrais boxer jusqu'à l'âge de Bernard Hopkins (48 ans).»

Pour l'instant, l'objectif est d'en finir rapidement avec Tony Bellew qui a tenté de l'humilier à la pesée. Il refuse de voir trois ou quatre combats devant lui. S'il était maître de son sort, c'est Carl Froch qui serait son prochain adversaire.

« Tu ne peux pas savoir à quel point j'aimerais qu'il vienne m'essayer, dit-il. Quand j'étais à 168 livres, il a refusé de m'affronter. Il savait ce qui se serait passé. J'en ai discuté avec le vice-président de HBO. Ils vont travailler fort, HBO et GYM, pour organiser cela. Que ce soit pour Froch ou pour Hopkins.»

Chaque nouvel adversaire de renom ou chaque nouveau champion à détrôner devrait l'aider à enterrer de vieilles histoires qui n'en finissent plus de rebondir. C'est du moins ce qu'ils se souhaitent.